Fin Alternative n°2:

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Le silence. Le vide. La désagréable sensation de savoir que quelque chose est arrivé. Et que ce quelque chose s'appelle suicide. Et que ça concerne Shannon.

J'ai saturé sa messagerie, ai envoyé des tas de messages sur messenger et instagram. Il ne lit rien, ne voit rien.

Il s'est tout simplement évaporé.

Mais finalement, après trois jours de silence, c'est Tomo qui a envoyé le message tant redouté. Et c'est comme si un étau se refermait sur moi, qu'il me broyait les os et réduisait tous mes organes en charpie sanguinolente.

Le sang rugit à mes oreilles et je dois m'affaler contre le mur parce que mes jambes refusent de me porter une seconde de plus. J'étouffe. Je meurs.

Respirer m'est douloureux, mais je cherche la prochaine bouffée d'oxygène, qui ne veut pas venir, ne veut pas entrer. Le froid glacial m'étreint, la mort me serre dans ses bras.

Tomo m'explique brièvement que l'enterrement sera fait d'ici quelques jours, après l'autopsie habituelle de chaque suicidé. Que je ne dois pas me soucier de mon visa, qu'il se portait garant de moi.

Je ne comprends rien, sinon qu'il faut que j'aille en Louisiane. Pour enterrer Shan. A côté de son frère, à qui il n'avait jamais rendu visite.

Dans la baignoire, je pisse le sang. En moi. Hors de moi. Quelle différence? C'est toujours les larmes par le sang. Je n'ai pas pleuré. Je n'y arrive pas. Je sais que c'est réel, qu'il est mort, mais dans un coin de ma tête et de mon coeur, je le refuse.

Sois vivant, je hurle. J'ai besoin de toi. Ne me lâche pas dans les ténèbres.

A l'aéroport, je me ruine pour un billet coûteux en direction de Shreveport, à neuf heures de vol de Londres. Peu importe. J'ai besoin de voir Shan. De lui dire au revoir. De faire quelque chose... maintenant qu'il est trop tard.

Je ne sais pas comment il y est parvenu... et j'ai peur de le voir défiguré. J'ai peur de ne pas le reconnaitre. Que sa froideur le retourne au rang d'étranger. De ne pas sentir sa présence.

Merde, mes deux voisines me lancent des regards. Je me rends compte que je suis sur le point d'exploser. Mon poignet me brûle, mes bras et mes cuisses sont couverts de pansements, et mes ongles sont plantés dans mes paumes.

- Personne ne restera seul, dit Tomo à mon arrivée.

J'ai la gorge nouée devant sa mine. Devant ses cheveux emmêlés et gras. Devant ses cernes et ses yeux gonflés de larmes. Devant sa douleur.

C'est dans ce petit appartement loué que je retrouve Vicki, Travis, Stevie et Emma. Et Constance. Je me sens étrangère, et je voudrais m'enfuir loin d'ici, parce que ce sont eux les vrais proches de Shan, pas moi.

- Ça sera fait demain matin, chuchote Tomo. En attendant, on peut aller... le voir... au funérarium.

- Je...

- T'es pas obligée. C'est juste que je ne veux pas qu'il se sente seul...

Il éclate en sanglots, ce qui déclenche ces larmes brûlantes qui me coulent sur les joues. Nous nous raccrochons l'un à l'autre, vacillant de douleur, sanglotant doucement dans le couloir pour ne pas alerter les autres.

- Ca fait peur, là-bas.

- Je veux le voir.

En effet, la petite pièce est grise et il fait un froid glacial, et Shan est habillé d'un costume noir, les mains croisées sur son torse, les yeux fermés.

Son col de chemise ne cache pas la profonde marque sur son cou. Celle que la corde a laissée.

Ses doigts sont froids, sa joue aussi. Il ne sent plus son odeur. Il est perdu. A disparu. Je ne le sens plus près de moi. Ma gorge est si serrée que je peine à respirer. C'est le premier mort que je vois en vrai.

Je n'avais pas eu le droit de voir Amon, parce qu'il s'était éclaté le crâne d'une balle. Ni Sam et Simon, complètement brûlés.

- J'aurais sauté dans le premier avion si tu m'avais dit que ça n'allait pas, chuchoté-je.

Assise sur la chaise, je cale mon menton sur mon poing, sur le bord de la table métallique. Sous le froid, mes larmes me brûlent la peau. Je renifle comme une gamine. Pitoyable.

- J'aurais pu être là.

Je pose ma main sur les siennes. Tu sens ça, Shan? Je t'ai pas abandonné. Jamais. Pas une seconde. Je te portais en moi. Toujours.

- On aurait fuit, si tu l'avais voulu.

Seul les bruits de la ventilation et le tic-tac de ma montre me répondent.

- On aurait vécu loin de tout le monde. Du monde. Si ça aurait pu te permettre d'aller mieux.

Je me rends compte que je suis seule dans la pièce. Que Shan n'est pas vraiment là. Qu'il a poursuivi sa route, vers quelque part où il arrêterait d'avoir mal. Et je le comprends. Et je lui pardonne. Même si j'ai mal à en crever.

Et je me surprends à me demander s'il a souffert de la solitude en ma présence, et si je lui avait fait du mal, et si j'aurais pu empêcher ça. Combien de nuits a-t-il passé, allongé à côté de moi dans le noir, a envier les morts, comme je le faisais?

- Pas même un mot gentil, Shan. Etais-tu en colère? As-tu agi sur un coup de tête? Ou c'était prévu? Est-ce que tu savais qu'une corde t'attendait?

Tout ce qu'il a laissé avant de partir, c'est quelques mots gribouillés sur une feuille.

Il ne semble pas qu'il y ait d'issue à ma vie, c'est pourquoi j'ai décidé d'agir ainsi.

Et moi, dans tout ça?

- Tu te rappelles la fois où j'ai crié que c'était maintenant ou jamais, et que tu as dit que ce ne serait pas jamais?

On avait rigolé comme des gamins en sautant dans les flaques d'eau, défoncés et trempés. Je l'ai pris comme une promesse, même si Shan était tout aussi franc à jeun que bourré ou défoncé.

Il était ma bouée, perdu en pleine tempête.

- Tu m'as fait voir de belles choses. Tu m'as fait imaginer la vie sans la mort. Et j'ai pas pu te sauver.

Mes mains sont aussi froides que les siennes, maintenant. Ça serait bien si je pouvais le rejoindre. Tout irait mieux. Mes pleurs redoublent d'intensité à la pensée que je l'ai perdu à jamais, et que jamais, c'est vraiment long.

- Tu vas me manquer chaque putain de jour de ma foutue vie.

Je me lève, pose mes lèvres sur son front, ses paupières, son nez, sa bouche, puis sur la profonde marque sur son cou. Sa dernière cicatrice.

- Mais vas-t'en, c'est l'heure.

Il me faut toute la force du monde pour m'arracher à lui, à le laisser seul dans cette chambre mortuaire glaciale et flippante.

- T'es libre, Shan. Je t'aime.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant