Chapitre 66 [Shannon]:

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Je tape encore et encore sur la porte, de plus en plus fort malgré mes poings douloureux, jusqu'à ce que la concierge ouvre, vêtue d'une robe de chambre à froufrous immonde.

- C'est pas bientôt fini, ce bordel? Crie-t-elle.

Je la bouscule sans ménagement et je suis déjà sur le palier du premier étage quand elle arrête de menacer d'appeler la police et me demande ce que je fais ici.

- Rendez-vous utile et appelez une ambulance, hurlé-je à mon tour. Faites vite, putain!

Je veux lui donner le nom de famille de Jai, quand je me rends compte que je ne le connais toujours pas. Tant pis. Elle sait qui je suis et où je suis. La porte d'entrée du quatrième étage s'ouvre sans problème et les deux chiens me sautent dessus comme des fous. Personne dans la pièce ouverte que forment le salon et la cuisine, personne dans les chambres, salle de bain fermée.

Cliché. Trop cliché. Flippant.

- Jai? Jai! JAI!

Un coup de pied, deux, douleur atroce dans le pied et la jambe, trois, quatre. J'en pleure presque de douleur et de peur. Pas le moment. La porte s'ouvre avec fracas et cogne contre une jambe. J'ai le coeur qui rate un battement.

Un collant noir et un sweat dix fois trop large pour une si petite femme.

Jai est couchée sur le côté, ce qui ne me permet pas de voir son visage, mais la panique se répand dans tout mon corps. Je tombe à genoux et la secoue en l'appelant. Rien. A la lumière, son collant se révèle humide de sang et tâche le carrelage blanc. Son visage est d'un teint crayeux que je n'aime pas du tout.

Boo s'asseoit à la porte et hurle à la mort trois fois avant de se mettre à gémir, comme s'il savait. Mais non... le coeur de Jai bat encore.

- Répond! Ouvre les yeux! Fais un effort, s'il te plait, Jai! Me laisse pas comme un con!

Ma voix n'est qu'un pitoyable gémissement et je ne parviens pas à faire quoi que ce soit d'autre que la tenir contre mon torse en la berçant. Sauf qu'il y a urgence, les boites vides de cachets en témoignent.

J'allume le jet d'eau de la baignoire et la traine dedans, positionné derrière elle, sans prêter attention au fait que je sois habillé. Mes mains tremblent. J'enfonce mon index et mon majeur aussi profondément que possible dans sa gorge.

Son corps a un spasme.

Je recommence, frigorifié par l'eau froide. Sa tête roule contre mon épaule et elle vomit par jets en s'étouffant. Je recommence encore. L'eau qui s'écoule dans le siphon est un mélange de sang et de vomi.

Elle crachote mais ne renvoie plus rien.

J'en suis presque à hurler de rage quand j'entends la sirène d'une ambulance. L'eau me fouette le visage, je protège le nez de Jai avec ma main, qui a perdue son bandage dans la panique.

- Jai... Fais un effort, putain... J'aurais pas dû partir... Je suis désolé.

A travers la porte d'entrée ouverte, je distingue des voix, des pas précipités. Il faut que je me reprenne. Je n'arrive même pas à articuler.

- On est là, parvins-je à crier. Elle est là!

Deux ambulanciers se précipitent, munis d'une trousse de secours rouge. Le plus grand arrête l'eau pendant que l'autre s'empresse de fouiller dans ses affaires.

- Tentative de suicide. Vous l'avez fait vomir?

Je hoche la tête, paralysé.

Ils prennent Jai pour l'allonger sur le brancard avant de vérifier son pouls, ses pupilles et ses voies respiratoires.

- Vous lui avez sûrement fait évacuer une bonne dose, vous avez eu le bon geste. On va l'intuber et lui faire un lavage d'estomac, mais pourriez-vous la sécher et nous donner de plus amples renseignements?

Mes vêtements dégoulinent de partout alors que j'essuie Jai au maximum pendant qu'ils s'occupent d'elle, et je les laisse lui enfiler une blouse à la place de ses vêtements.

Le deuxième infirmier me propose une couverture, que je refuse. Je dois trouver son nom pour remplir la fiche, et son carnet de santé, parce que je ne connais pas ses antécédents médicaux.

- Je peux vous accompagner?

Un troisième homme, vraisemblablement le conducteur de l'ambulance, est venu aider pour transporter Jai. Le deuxième, Neil, secoue négativement la tête, l'air désolé.

- Non. Vous allez vous changer, prendre le temps de vous calmer, et vous viendrez ensuite. Je vous marque l'adresse de l'hôpital, vous n'aurez qu'à demander son nom à l'accueil. En attendant, on fera tout notre possible... Ok?

Tout notre possible. Une chose cruelle qui me dit que Jai n'est pas sortie d'affaire, que chaque seconde de perdue est une seconde où Jai peut s'en aller à jamais. Et je refuse d'envisager cette possibilité.

Le temps nous est compté. Le temps lui est compté.

J'appelle Tomo, stressé. Il me dit qu'il sera là aussi vite que possible.

J'arrive pas à croire qu'elle l'ait fait. Elle semblait aller bien et... Et moi, j'étais prêt à baiser une fille dans des toilettes pendant qu'elle se préparait à mourir.

Pas une deuxième fois.

Quand elle m'a demandé si je croyais aux étoiles, j'ai très vite compris. Il n'y avait pas une seule minute à perdre. Voilà pourquoi elle m'a dégagé, plus tôt.

- Va te doucher, dit doucement Tomo.

Il me tend un sac, et je prends le temps de nettoyer la petite flaque de sang par terre et toute l'eau avant de retirer mes vêtements et de me doucher, glacé jusqu'aux os.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant