Chapitre 30 [Shannon]:

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- Si ça se trouve, j'ai des frères et soeurs, quelque part dans ce foutu monde.

Ok, c'est le signal d'alarme. Changer de conversation, de lieu, d'ambiance. Parler de sa famille est une mauvaise chose, Jai s'enfonce dans ses pensées noires.

Peut-être que oui, sa mère a refait sa vie après son abandon, mais je ne veux pas qu'on parle de ça.

Elle serre son poignet gauche avec force, puis le frotte, et recommence encore et encore. Suicide. C'est ce qu'elle m'a confié quand on était bourrés. Elle se brûle le poignet avec son autre main quand elle y pense trop fort.

Elle va mal, si mal que sa douleur s'est transformée en rage. Mais en pensant à son corps sans vie, j'éprouve une douleur dans le ventre. Je me suis attaché a elle, et c'est ridicule. Ne pas s'attacher à un suicidaire est la règle numéro une de survie.

- Tu ne résoudras rien en choisissant l'heure de ta mort, dis-je quand même.

- Mais tout s'arrêtera pour moi, et c'est ce que je veux.

- Pourquoi?!

Elle se lève brusquement, shoote dans un caillou qui vole et rebondit sur une voiture, l'impact faisant fuir un chat caché en-dessous. Elle est furieuse mais tente de se calmer, ses poings s'ouvrant et se refermant à allure régulière.

- Parce que j'ai pas envie de vivre, Shannon. Merde! Et puis, en quel honneur tu me fais une leçon de morale alors que c'est toi qui allait sauter sur les rails, hein?

- Tais-toi...

Ma voix n'est qu'un écho chuchoté, je me sens faible à l'intérieur, blessé par ses reproches. De quel droit me reproche-t-elle d'avoir voulu faire ce qu'elle veut aussi faire?

Elle tape dans un mur et grogne avant de s'éloigner à grands pas, et je reste figé sur place quelques secondes avant de la rattraper.

Ne me fuis pas. J'ai besoin de toi. Regarde-moi encore comme si j'étais quelqu'un de formidable. Fais-moi me sentir vivant.

Je la rattrape et la colle contre la façade de l'hôtel, plaquant mes lèvres froides contre les siennes. Elle est si surprise qu'elle met quelques secondes avant de me rendre mon baiser, brutal, bestial.

Je ne peux plus rien contrôler. J'ai besoin d'elle. Maintenant.

- Je veux te toucher, haleté-je contre sa joue.

Elle gémit mon prénom, les mains accrochées à la ceinture de mon jeans. Je sens l'hésitation derrière le désir, son esprit pas raccord avec son corps. Mais elle est prête. Je m'en fous de ses cicatrices, je veux lui montrer que son corps n'est pas si moche qu'elle le pense. Je veux lui montrer mes propres fissures, me perdre en elle et tout oublier le temps d'un instant.

Elle semble avoir compris que j'ai pigé la raison de son freinage soudain.

- On éteindra la lumière, si tu veux.

Elle hoche doucement la tête, et je l'entraine à l'intérieur, vers l'ascenseur, le coeur battant à tout rompre. Le mec à l'accueil nous regarde passer avec un regard concupiscent, et on pourrait très bien hurler qu'on va s'envoyer en l'air qu'il n'aurait pas l'air plus satisfait. Super.

Sitôt la porte de ma chambre ouverte, je jette le pass dans un coin en reprenant possession de ses lèvres. Elle sent le café et l'odeur aigre de l'herbe qu'on vient de fumer. Mes mains froides se débattent avec ses vêtements pour la mettre à nue devant moi alors qu'elle en fait de même avec moi.

Aucune douceur. Juste cette luxure qui brûle la moindre cellule de mon corps, cet empressement qui rend bestial la scène.

- Shan...

Je gémis contre ses lèvres et appuie mon érection contre son ventre. J'aime quand elle m'appelle Shan. J'ai l'impression d'être important pour elle, d'avoir une place spéciale.

J'envoie mon coude dans l'interrupteur pour nous plonger dans le noir et l'entraine jusqu'au lit, où je farfouille maladroitement dans le tiroir de la table de chevet pour y trouver un préservatif. Elle s'en charge. Mon corps entier hurle de douleur tellement je suis excité.

Alors je n'attends pas une seconde de plus quand elle enroule ses cuisses autour de mon bassin.

A ce moment, je comprends à quel point ces derniers jours m'ont été importants, vitaux même, dans le chantier qu'est ma vie. A l'instant où mon prénom est murmuré dans l'obscurité de cette chambre qui a abrité tant de chagrin, je comprends que je peux me relever.

Que tout n'est pas terminé.

Elle est mon ombre, je suis son ombre. Nous sommes le reflet de l'un et de l'autre, indissociables dans ce que j'appelle notre course contre la vie.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant