Course Contre La Vie

Bonus 1 [Shannon]:

Je m'assieds sur le canapé et fixe un moment Jai, qui lit, blottie sous un plaid dans mon fauteuil. Elle a l'air dans son monde, concentrée à l'extrême, se passant parfois le doigt sur les lèvres. Je l'entends souvent râler ou parler seule quand elle lit.

Mais je veux des réponses à mes questions.

- Cette nuit, tu m'as dit que j'étais ta première relation vanille. Ça voulait dire quoi?

Elle sursaute et pose prudemment son livre. Je la vois se masser un moment le poignet sous le plaid et soupirer.

- J'étais à moitié en train de dormir. Tu tiens vraiment à le savoir?

- Ouais.

Je veux tout savoir, mais je crains que ça ne la fasse péter un plomb, comme quand elle m'a parlé de son ex, dont elle a le prénom tatoué sur le doigt..  j'étais plutôt jaloux de cette encre, jusqu'à ce que je sache toute l'histoire.

- Ecoute, je sais que ça peut paraitre chelou mais...

- Attends, la coupé-je. Tu m'as dit ça pile après qu'on ait fini de baiser!

- Je ne suis pas sénile, assène-t-elle. Je disais...

Jai frissonne encore et seule sa tête dépasse de son cocon, elle a la crève à force de se baigner dans l'océan trop froid. Elle se fait soudainement timide.

- Tu es mon premier avec qui je...

Elle s'arrête et cherche ses mots en sirotant son thé encore brûlant. Je commence à m'impatienter. Le premier de quoi?! Je peux être tout, sauf celui qui l'a dépucelée. Elle doit sentir mon énervement, car elle relève la tête et me fixe droit dans les yeux.

- Tu es mon premier petit-ami, enfin avec qui je fais ça normalement...

- Comment ça, normalement?

- Le numéro sur mon pied... C'est celui que mon premier Maitre m'a fait tatouer pour prouver au reste de la sphère que j'étais à Lui. Je ne suis pas...

8462368. Je connais ces chiffres par coeur, parce que je n'ai jamais compris ce qu'ils voulaient dire, et j'ai pensé à pleins de trucs étranges, du genre un hommage à un déporté de la Shoah, un taré qui l'aurait marqué comme sa proie, un jeu macabre...

Je déglutis en assimilant peu à peu ses paroles. Son Maitre. La sphère. Etre à lui... Bordel de merde, elle est pas en train de me dire ce que je pense?!

- Tu veux dire que t'es dans le délire Cinquante Nuances et tout? Grimacé-je.

Elle râle et lève les yeux au ciel, exaspérée.

- Pourquoi faut-il que tout le monde ramène le sm à cette trilogie? Ce livre n'est rien de plus qu'une lecture érotique quelque peu épicée, rien à voir avec ce que je connais.

- Raconte-moi, alors.

Mais j'ai une boule d'angoisse dans la gorge, parce que je ne suis pas comme ça. Je ne suis pas l'animal en sueur que tout le monde croit que je suis, je ne suis pas cette bête aux besoins hard comme les fans le disent tout le temps dans leurs écrits. Je ne suis pas contre la fessée pendant l'acte ou une légère strangulation, mais rien de trop méchant. Je ne fais pas de mal aux femmes.

- J'ai été soumise à un homme pendant plus d'un an, il m'a tout appris. Vincent m'a aidé dans mon quotidien, j'avais besoin de ce qu'il m'infligeait... puis j'ai eu un autre Maitre, que j'ai un peu initié, mais j'ai rompu le contrat quand il est tombé amoureux de moi...

Mes poings se serrent dans un réflexe. Je n'aime pas entendre ces mots-là de la bouche de Jai. Pas plus le fait qu'elle soit dans ce milieu qu'un autre mec soit tombé amoureux d'elle.

- Puis je suis passé de soumise à dominatrice. J'ai éduqué quelques soumis, et je me donnais parfois à des Maitres... selon mes envies et mes besoins. Après ma cure, j'ai repris mes activités au Silencio, puis dans un donjon à Londres. Tu sais tout.

J'ai quelques visions d'elle fouettant un mec à ses pieds, puis elle en train de se faire baiser par un inconnu alors que le métal des menottes s'enfonce dans sa chair.

Je ne m'y attendais pas. Je veux dire, je savais que Jai était très décomplexée niveau sexe, qu'elle aime toutes les pratiques, ne rechigne pas à être nue et à exprimer ses envies... mais rien ne m'aurait fait penser à ça.

- Mais ce qu'on fait, alors... c'est pas ça qui te fait kiffer? Dis-je en essayant de rester impassible.

Je garde le masque, parce que mon ego s'étale en ce moment même par terre, pareil à une flaque. Je suis vexé, ma queue aussi.

Elle a l'air de s'en rendre compte, parce qu'elle bondit du fauteuil et se retrouve sur mes genoux une seconde plus tard. Ses mains chaudes sur mes joues me forcent à lever les yeux sur son visage.

- Ta mère a raison, t'as vraiment l'air d'un gamin qui boude quand tu es vexé.

Elle ricane un peu.

- J'aime ce qu'on fait, Shan. C'est juste nouveau pour moi, toute cette douceur et cet amour. Avant toi, je ne connaissais que la baise rude, la violence et les visages qui défilent...

Elle pose un baiser sur chacune de mes paupières closes et ses mains glissent sous mon t-shirt. Une giclée de sang est directement propulsée dans ma queue, que le bassin de Jai compresse. Je grogne, la respiration lourde et courte.

- Continue, dis-je, sans trop savoir si je parle de son récit ou de sa main dans mon pantalon.

- J'aime le sexe, Shannon. Dans tous ses aspects, j'ai tout essayé. Je n'ai pas honte, mais avant d'assumer cette face de moi, je me dégoutais parfois à un point où je ne me faisais prendre que par derrière pour éviter de voir leurs visages...

Son poing se serre plus fort autour de ma queue palpitante et son pouce passe sur mon point faible. Mon corps est connecté au sien, mes hanches balancent dans le même rythme, mes neurones disjonctent et mon coeur est sur le point d'exploser.

- Dis-moi que je suis pas le moins bien monté que tu ai eu...

Elle rit un peu dans mon cou et son autre main pince mon téton droit. Merde, je ne peux même plus contrôler mes pensées. Je m'étais juré de ne jamais lui demander ce genre de truc dont seul un mec peut se préoccuper.

- Crois-moi, j'ai eu pire, bien pire...

Mais j'ai eu mieux. Voilà ce qu'elle ne dit pas. Aucune importance, c'est mon nom qu'elle prononce quand on baise, et c'est autour de moi qu'elle jouit.

- Ça ne te parait pas fade après tous ces fouets et ces je-ne-sais-quoi?

- Parfois, ça me manque... mais je suis avec toi. Tu es le seul, maintenant.

Mon corps est sur le point de lâcher. Je gémis quand elle ralentit. J'aime quand elle fait ce genre de chose, sans prévenir. Parfois, ça arrive. On fait jouir l'autre puis on retourne vaquer à nos occupations. Rien de plus.

C'est la meilleure chose à faire, parce que si on tombe dans la routine, je vais finir par m'enfoncer dans l'impuissance.

- Je veux que tu me raconte ce que tu faisais quand tu le faisais...

Nouveau sourire contre ma peau, puis ses dents qui s'enfoncent dans ma clavicule.

- Je peux te montrer, si tu veux, chuchote-t-elle.

J'ai le coeur qui s'emballe, aussi bien par la montée de mon orgasme que par cette proposition aussi flippante qu'indécente.

- Je ne peux pas être ton dominant...

- Tu pourrais être mon soumis, juste pour une fois.

- Je ne suis pas un soumis... Je ne sais même pas comment on fait.

- Laisse-toi guider.

Plus tard, je l'entends chanter dans la salle de bains tout en se brossant les dents, et je somnole, le corps rompu de fatigue. Merde, elle m'a peut-être donné le meilleur orgasme de ma vie, mais ce n'est pas quelque chose que je recommencerai.

Définitivement relation vanille, le Shannon Leto. Je gobe les deux comprimés qui étaient dans ma main et range vite le flacon orange avant de fermer les yeux au son du refrain de Burn It Down.