Chapitre 87 [Shannon]:

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Jai dort, tête contre le hublot.

Elle est restée éveillée les sept premières heures du vol. J'ai regardé le premier film avec elle, et elle a tellement changé les paroles des acteurs qu'on a rit comme des cinglés et que notre voisin s'est mis à râler auprès des hôtesses.

J'ai mal au dos, comme à chaque fois que je prends l'avion, je déteste rester assis pendant des heures dans un espace restreint.

- Monsieur, vous voulez quelque chose à boire? Demande l'hôtesse avec un sourire.

A moins que ce ne soit moi qui rêve, elle passe souvent par ici, depuis que Jai dort.

Et même si je sais qu'elle ne me hurlera pas dessus si une femme me drague, sa confiance m'honore. Elle me fait confiance sans rien demander de plus que de lui retourner la chose.

C'est une femme imprévisible et difficile à approcher. Elle est méfiante et renfermée, mais on peut facilement rire avec elle. Elle est drôle, intelligente, attentionnée à sa manière et sait écouter. Elle est forte, sombre, solitaire. Un paradoxe ambulant. Timide, mais parait sûre d'elle. Exubérante pour cacher ses pensées noires, sombre sans jamais quitter totalement la lumière.

Derrière ses silences butés se cachent des fissures et derrière ses sourires se cachent des larmes.

- On va arriver, réveille-toi, chuchoté-je.

J'ai hâte de retrouver ma maison, mes habitudes, mon lit. J'ai hâte d'aller chercher Arès, chez ma mère. J'ai hâte de voir Jai et Boo dans le jardin. J'ai hâte de me réveiller, et commencer ma journée et la finir en sachant qu'elle est là.

J'ai hâte de vivre, tout simplement.

- Je hais les voyages en avion, déclare-t-elle en revenant des toilettes.

- J'avais pourtant proposé de venir avec toi.

Elle ricane, elle sait très bien de quoi je veux parler, mais ça ne fait pas rire notre voisin alors on en rajoute. Puis l'avion amorce sa descente, nous attachons notre ceinture, et la terre ferme se rapproche.

Jai se masse le poignet, je lui prends la main et la force à regarder par le hublot. Il est seulement neuf heures du matin ici, et le décalage horaire s'annonce dur pour au moins deux jours.

- Regarde le monde, Jai. J'ai envie de te le montrer.

Je veux tout lui montrer. L'emmener partout où elle veut aller. Je lui montrerai les aurores boréales, le Kenya, Jerusalem, le grand Canyon, les dunes colorées du Pérou, le parc Yellowstone... Mais aussi la vie, juste ces petites choses du quotidien qui sont belles.

- Je hais attendre pour ma valise, dis-je.

Elle se fiche d'attendre depuis une heure, elle a retrouvé son chien et le caresse et le serre contre elle aussi souvent que possible. Boo est complètement k.o. Je veux juste ne pas me faire repérer. Je n'ai pas le coeur à signer des autographes ou à me faire prendre en photos.

Ma voiture est toujours sur le parking, quotidiennement surveillée. Je ne l'utilise pas souvent, parce que je préfère me promener en vélo ou en moto, mais je n'ai pas le choix quand j'ai autant de bordel.

- Il fait chaud!

- Bienvenue en Californie, dis-je avec un sourire.

Je manque faire tomber mes clés en baillant, puis j'ouvre la porte, et je respire un grand coup. Enfin chez moi.

Quand elle pénètre timidement dans la maison, elle reste bouche bée. Je ris encore un peu et la conduit jusqu'au salon, là où Boo peut aller dans le jardin via le balcon. La pelouse est en friche et la haie a vraiment besoin d'être élaguée.

- Bienvenue dans mon palais. Fais comme chez toi. Tu peux t'y promener à poil, te faire à manger en pleine nuit ou brailler comme une dingue...

Elle rit un petit peu, contemplant le jardin depuis la baie vitrée. J'aime boire mon café sur le balcon, le matin, face à la nature. Je suis assez éloigné de la ville, ce qui me laisse un calme relatif.

C'est pour ça que je l'ai achetée. Quand je revenais de tournée, j'avais besoin de calme... mais maintenant, même si je m'y plais, je voudrais une autre maison. Trop de souvenirs ici... Et ma mère commence à être âgée, je voudrais prendre une maison assez grande pour qu'on ai chacun notre espace, peut-être en Louisiane ou au Colorado.

- C'est grand... Je m'y sentirai seule, à ta place.

En effet, mais je pouvais toujours aller chez mon frère, dont sa maison a une piscine... ce qui me fait penser qu'on n'a pas fini de la débarrasser pour la vendre. Il faudra que je le fasse avant l'ouverture de Black Fuel.

Et si je quitte la Californie, à qui confier mon café? Autant ne pas se poser trop de questions dans l'immédiat.

- Je vais aller chez ma mère. Je t'aurais bien emmenée, mais...

- Mais tu ne lui a rien dit de moi, t'en fais pas, je vais aller me rouler dans ton lit.

Elle lance un clin d'oeil et enroule ses bras autour de moi. Sa compréhension me laisse sans voix. Quelle fille aurait accepté que je cache son existence à ma mère?

Je vais jusque chez ma mère en voiture, même si la moto me fait de l'oeil. Je ne me vois pas ramener mon chiot sur ce bolide. Elle m'accueille avec un grand sourire, et sur la table m'attendent du café et des pancakes aux myrtilles, mes favoris.

- Comment tu as su que je viendrais?

- J'ai demandé à Tomislav à quelle heure arrivait ton avion... J'étais sûre que tu n'attendrais pas pour voir Arès, tu es trop impatient de nature, mon chéri.

Arès dort en boule sur le canapé. Il a déjà quatre mois, mais je ne me voyais vraiment pas lui apprendre la propreté. Il ne me connait pas, mais avec quelques bouts de pancakes, on arrive à tout.

- Tu vas rester, maintenant? Demande ma mère, pleine d'espoir.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant