Bonus Jai [2 ans avant Shannon]:

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- Il dois te manquer...

Ethan shoote dans un caillou. Je fourre mes mains dans les poches de mon jeans. Je suis toujours surprise de ne pas y trouver mon matériel, mais c'est une agréable surprise. Je me sens libre, du moins, plus qu'il y a trois mois.

- Non... plus maintenant.

Ce n'est qu'un demi-mensonge. Amon me manque tous les jours, mais ce n'est plus qu'une douleur lointaine. Il a laissé sa cicatrice sur Terre, et sur moi, mais j'en ai tellement eu que la sienne s'est perdue parmi d'autres, attendant de guérir tout à fait.

- Alors t'es vraiment décidée à partir?

- Ouais.

De retour dans sa petite chambre de bonne, au sixième étage, je le regarde s'asseoir à même le sol pour se préparer un shoot, concentré comme jamais. Puis je vois monter le produit en lui, ses yeux se perdent au loin.

Il est dans son monde. Autant partir.

- Ca fait longtemps qu'on ne t'a pas vu au Silencio, Jai! S'exclame Vincent.

- Pas eu le temps, grimacé-je.

Je ne sais même pas pourquoi je lui ment. Vincent a été mon Maitre durant un an, il sait tout de moi, il comprend mon corps sans une parole. Il aurait voulu me sauver de mon choix de vie destructeur, mais aussi bon qu'il était, il ne pouvait rien pour moi. J'étais trop loin. Il le savait. Alors un jour, il y a maintenant de ça un an et demi, mon collier est tombé entre nous.

- Joshua cherchait après toi, il n'a pas eu de tes nouvelles pendant une semaine.

- Je l'ai libéré il y a trois mois, dis-je avec un geste las de la main.

- Tu as fini par t'en sortir, hein?

- En partie, oui. Je vais pouvoir revenir. Tu sais très bien que, de toute manière, je ne faisais rien quand j'étais perchée.

Il sourit tendrement. Il a presque la quarantaine, des yeux bleus froids mais expressifs, et au-delà de notre lien D/s, nous partagions le même amour pour les même groupes de rock.

- Dans quel rôle tu reviendras?

- Je vois un Maitre de temps en temps, mais je n'ai pas de collier. Je vais voir si de gentils garçons se présentent à moi...

- Tu es trop loin pour la plupart d'entre eux. Joshua était une perle.

- Je suppose que tu seras là demain? Demandé-je.

Vincent acquiesce, un demi-sourire aux lèvres qui n'atteint pas ses yeux. Je sens tout mon corps se crisper. Nous avons partagé de très forts moments ensemble.

J'ai fait mes premiers pas au Silencio quand j'avais à peine seize ans. Peu après l'hôpital, et peu avant Amon. Lui et moi étions ensemble sans l'être. Une sorte de couple libre mais soudé. Il couchait avec d'autres filles, je couchais avec d'autres hommes, et on fermait les yeux.

Je suppose que lui et moi étions trop détruits pour même s'en rendre compte.

Par trop loin, Vincent laisse sous-entendre mon côté borderline. Et je pense à ces deux mots avec lesquels chaque psychiatre m'ont qualifié: sadique et masochiste. Je n'y peux rien, je suis comme ça.

J'ai besoin de la douleur pour combattre la douleur, même si les limites sont un peu floues.

Je chasse tout ça de ma tête avant de rejoindre Cyan chez elle, à Drancy. Elle habite encore chez ses parents et va à la fac, et nous rêvons de partir vivre à Londres. Je me raccroche à ce projet pour ne pas recommencer à couler. Je peux m'en sortir.

Je dois m'en sortir. Alors je continue de courir le matin, avant d'aller bosser. J'accumule six jobs dans la semaine pour pouvoir rester dans mon foyer jeune travailleur et mettre de l'argent de côté. Je ne peux plus rester, que ce soit à Paris, à Pantin ou ailleurs. Ce pays est hanté par mes fantômes.

- On pourrait peut-être regarder ça demain, baille Cyan. J'ai passé la nuit à lire des Yaoi, je suis crevée!

Je ricane doucement.

- Je retourne au Silencio, demain.

- Ils ont fini par arrêter de te voir seulement à travers ton âge?

- Non.

Et peut-être qu'ils n'arrêteront jamais. Quel que ce soit le degrés de perversité des gens, il y aura toujours quelqu'un pour juger les autres. Il est vrai que j'étais jeune, que je le suis toujours, et que les autres dominant/es me voient plus comme une ado dépravée plutôt qu'une vraie soumise ou domina... mais je connais mon rôle.

J'ai dépassé des limites dans un paradis noir où le pire est permis. Et je m'y plais. Et peu importe que j'ai des bleus sur tout l'arrière du corps pendant des semaines, ou que mon soumis soit à mes pieds toute la soirée. Je suis à ma place.

- J'ai envoyé des candidatures pour être fille au pair, dis-je. Si ça marche, ça sera plus facile pour que je me renseigne pour un appart, histoire de ne pas débouler sans rien.

Je jette un oeil à mes bras. Je me tue à la tâche pour me faire pardonner. Pour me rattraper. Pour une millième seconde chance.

J'ai été une mauvaise amie pour Cyan. Bien sûr j'étais toujours là pour elle, même dans un sale état, mais devoir lui mentir pour me sauver la face me bousille. On se connait depuis toujours et on parle de tout, sauf de ce trou noir en moi.

Je ne sais même pas si elle me croit quand je lui dis que ça va. Un jour, je lui dirai tout. Et j'effacerai ce gouffre qui nous sépare.

- 9 novembre 1938? Lance-t-elle.

- Nuit de Cristal.

C'est un de nos jeux. Elle lance une date ou un évènement au hasard, je dois lui répondre. Elle fredonne les deux premières notes d'une chanson et je dois trouver le titre. On traduit mot à mot chaque musique qu'on écoute, aussi.

Je souhaite à tout le monde de connaitre au moins une fois dans sa vie la même amitié indestructible qu'il y a entre Cyan et moi.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant