Chapitre 47 [Jai]:

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Shannosaure: Un verre au Poutinegrad?

2 janvier. J'ai enfin des nouvelles de Shan, après des jours de silence. Je suis plutôt en colère. Il m'a abandonné seule pendant une semaine, dans l'enfer qu'est ma tête.

Cyan est rentrée hier, parce que comme moi, elle a repris le travail aujourd'hui. L'ambiance à l'hôpital est plutôt bonne; deux enfants sont rentrés chez eux, et aucun n'est mort pendant mes vacances.

Jai: Généralement, on dit bonjour... 😒 Je te rejoins après le boulot.

Je sais où le rejoindre. Le bar ne s'appelle pas réellement Poutinegrad, ça c'est juste parce que Cyan et moi avons vu le sosie de Poutine, assis à boire une vodka. C'est donc resté.

- Dure reprise? Rigole Noah.

- M'en parle pas, grimacé-je. J'ai failli venir en pyjama tellement je suis morte.

- J'ai une gueule de bois non-stop depuis dix jours. Vous avez de la chance que je n'ai pas dégueulé partout, termine Scarlett.

Le reste de la journée s'amène plus vite que je ne l'aurais cru, et me voilà en train de prendre la direction du Poutinegrad, la boule au ventre.

J'ai eu du mal à me faire une raison, mais j'ai finalement cessé de consulter mon téléphone, qui a été silencieux ces dix derniers jours.

- Jai, je suis là!

Shannon agite la main, à une table près de l'étroite fenêtre, qui ne fait rien pour arranger l'obscurité enfumée de la pièce. Une ambiance que j'aime malgré tout. Je m'assieds, et il appelle le serveur du doigt.

Il porte une casquette à l'envers... Il n'a plus de cheveux.

- T'as finalement rasé tes cheveux?

- Ouais... Toi aussi.

- Mmmh.

Un café en main, je regarde partout, sauf lui. Mon coeur lui hurle qu'il m'a abandonné, ma tête hurle encore plus fort que ce n'était qu'une question de temps... Et moi, je me dis que je savais que cette histoire ne durerait pas.

L'ambiance entre nous est tendue, nous sommes déjà en train de redevenir des étrangers.

- Je repars à LA vendredi matin...

Je ne m'attendais pas à ce que cette annonce me provoque un tel choc. Mes poumons ne veulent plus faire entrer d'air, mes mains sont crispées sur ma tasse et ma tête bourdonne. Alors, ça y est...

- Dis quelque chose, murmure-t-il.

Je ravale un sarcasme et toute ma haine, lui sourit aussi largement que possible et m'appuie contre ma chaise.

- C'est bien que tu ailles retrouver... ta vie.

- Tu ne le penses pas une seule seconde, sombre menteuse.

- Va te faire foutre, dis-je, lasse.

Le café a un goût horrible, ou peut-être que j'avais déjà ce goût amer dans la bouche. Il se remet à neiger, et de gros flocons volent doucement devant la fenêtre, à la lueur des lampadaires et des phares.

- Jai?

- Mmmh?

- Tu m'en veux?

Oui.

- Non. J'ai aucune raison de t'en vouloir. T'es libre. T'as une vie. Des gens qui t'attendent. Je savais que tu finirais par t'en aller, un jour.

- Et toi?

- Quoi, moi?

- Ca va aller?

Peu importe si ça va aller, Shan. Il ne me reste plus beaucoup de temps. Le temps de me remettre de ton départ, et je m'en irai à mon tour. Je n'ose même plus regarder devant moi, le bout du tunnel est trop loin.

- Ouais.

- Tu pourras quand même me joindre, t'en fais pas.

C'est là que toute ma colère explose en moi, réduisant ma cage thoracique en terrain miné explosé par un obus, et tous mes organes semblent exploser et s'éparpiller partout.

- Je dois y aller.

Ne pas faire de vagues. Rester indifférente. Ne pas regarder ce suçon violet qu'il a dans le cou, juste sous son tatouage. Ne pas regarder ses yeux, ceux que j'ai appris à connaitre. Ne pas regretter.

Au moment où je me lève, il ne fait rien pour me rattraper, les bras ballants, le visage incompréhensif.

Josh et Eliott ne posent pas de questions, sortent des bouteilles et un sachet. Ils savent où sont mes limites, et à quel point j'en ai bavé pour en sortir, alors ils ne sortent pas plus que du shit.

- Ma mère a pété une sale durite quand elle a su que je n'avais pas mis les pieds au bahut depuis des semaines, raconte Eliott. Et là, elle apprenait en même temps que j'étais gay et que je me défonçais. Elle n'a rien trouvé de mieux à faire que m'envoyer dans un pensionnat pourri à Dublin.

- T'avais quel âge?

- Quatorze. Elle a dit que j'étais une vraie pourriture de la société, comme mon père.

- Quelle vie de merde.

- Ouais, s'exclame Josh. Vous savez quoi? Je les emmerde tous, ces connards. On va boire et fumer jusqu'à danser sur leur sale gueule de cons.

J'éclate de rire, avec une vive douleur dans la poitrine.

Sur la table, mon téléphone vibre, mais ce soir, ce n'est pas de mon ressort. Je ne veux pas faire semblant. Je ne veux plus mentir en faisant croire que ça va, alors que plus rien n'arrête ma chute.

Cyan: Chat-non est là. T'es où?

Shannosaure: Pourquoi, Jai? T'es où? Pourquoi tu m'en veux?

Cyan: C'est pas marrant meuf, ramène ton cul, je dois partir chez Danioooool.

Aujourd'hui, Jai est silencieuse. Absente. Faudra qu'ils s'y habituent.

Course Contre La VieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant