Chapitre 34

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La nuit précédente, quelque part sur une route de Duscae


J'avais somnolé au début du trajet, Cor étant concentré sur la route et ne décrochant pas un mot. Ceci dit, moi non plus je n'étais pas très bavarde.

Je pensais donc pouvoir dormir, mais c'était sans compter sur un immense daemon qui apparut sur la chaussée, là où quelques lampadaires étaient manifestement en panne. Cor dû faire un écart assez brut et piler pour éviter d'encastrer la voiture dans le rail de sécurité. Je fus tout à coup bien réveillée et horrifiée par la silhouette gigantesque, presque aussi haute que large, qui avait émergé de la terre.

— Un géant de fer, avait grommelé Cor.

Un géant, ça c'était sûr. Et il pouvait bien être de ce qu'il voulait.

Le général avait manœuvré pour se remettre correctement sur la route, profitant de la lenteur du daemon à se mouvoir. Il avait accéléré, le géant commençant à nous suivre, traînant un cimeterre aussi gros que la voiture derrière lui. Il se stoppa net, grondant avec la force d'un orage, lorsque nous fûmes à nouveau dans la lumière.

J'avais passé le reste du trajet jusqu'à Insomnia avec les yeux bien ouverts. Le café du thermos de Cor embaumait l'habitacle et un silence pesant s'était installé jusqu'à ce que l'aube soit proche. Seulement alors, il me posa quelques questions, cherchant à savoir comment j'étais passée de « quinze ans cachée au palais » à l'extérieur. Comment j'avais rejoint le roi élu et « sa bande », comme il disait.

Je lui racontais alors, essayant de deviner les paysages qui se dessinaient paresseusement dans l'aube naissante.

Les explosions ressenties, le sol qui tremblait comme s'il allait s'ouvrir sur les enfers, des tirs étouffés, l'impression d'entendre des pans de murs entiers s'effondrer au loin, des cris. Le Mur qui enveloppait Insomnia s'effondrant. Et puis, au milieu de tout ça, le commandant Drautos qui avait surgi de nulle part, m'intimant de le suivre. Voyant mon incrédulité, il avait ajouté avec une pointe d'agacement que le palais était attaqué, qu'il s'agissait d'un ordre du roi. Il avait hurlé de me dépêcher alors que je me retournais pour attraper quelques affaires. Je ne pus qu'attraper les pochettes où je rangeais mes couteaux, les jeter dedans, prendre le carnet que Clarus m'avait confié la veille et enfiler mes chaussures.

Drautos m'avait traînée derrière lui et nous avions rejoint une jeune fille à l'extérieur du palais avant de sauter dans une voiture. Iris avait ensuite eu la bonté de m'expliquer dans les grandes lignes ce qu'il se passait. Je ne savais même pas qu'un traité de paix devait être signé.

— Tu n'étais pas au courant de ce genre de chose ? avait demandé Cor d'un air suspicieux.

— Non. Je ne savais rien de ce qu'il se passait au-delà de ma dépendance, ou très peu.

— Mais comment est-ce que tu...

— Ah, non, l'interrompis-je avant de me dire que c'était une mauvaise idée. Si vous vous demandez comment j'ai pu passer quinze ans comme ça, je vous invite à discuter avec Gladiolus qui se posait les mêmes questions.

J'avais pris soin de ne pas le regarder. Mon instinct de survie défaillant me criait un peu tardivement que ce n'était pas une bonne idée de se mettre le général immortel à dos.

— C'est comme ça, c'est tout, ajoutai-je plus bas, comme si c'était une réponse acceptable.

Un silence s'en était suivi et je m'attendais à ce qu'il se poursuive jusqu'à ce que nous arrivions. Mais Cor avait à nouveau posé une question.

— Mais qui étais-tu vraiment pour le roi ?

— La question n'est pas tant qui je suis, mais ce que je suis. Et la réponse pourrait être : une espèce d'arme, j'imagine.

Comme Prime, ajoutai-je en moi-même. Un couteau dans des mains expertes.


**


Cor venait de se garer sur le bas-côté pour laisser passer les autres véhicules.

— Entrer, rejoindre Clarus, récupérer les carnets, sortir, aller à Hammerhead, me rappela-t-il.

Je hochai la tête et jetai un regard à l'heure sur le tableau de bord. Il était neuf heures tapantes.

Les portes de la ville s'ouvraient. Sous le contrôle des impériaux.

À peine étais-je sortie de la voiture que Cor se faufilait dans la circulation pour faire demi-tour. J'avançai, les mains dans les poches de mon short, essayant de ne pas avoir l'air suspecte alors que j'avais la désagréable sensation que mon corps entier transpirait le mensonge.

— Je reviens de Lestallum où j'ai passé un peu de temps en famille, marmonnai-je le plus doucement possible. Mon oncle m'a raccompagnée à l'entrée de la ville, mais il ne pouvait pas rester avec moi.

Je rejoignis la file pour entrer à pied à Insomnia. Quatre soldats étaient là. L'un vérifiait les papiers d'identité, un autre fouillait les personnes entrantes et les deux derniers surveillaient, une main posée sur la crosse de leurs fusils. Je serrai les sangles de mon sac à dos et concentrai ma magie dans mes yeux en baissant la tête.

On me demanda pourquoi je me présentais au barrage. Je répondis ce que j'avais appris par cœur tandis que le garde observait avec la plus grande des attentions mes papiers.

— Lunettes ? fit-il en se penchant vers moi.

— Je suis tombée et je les ai cassées. J'ai acheté des lentilles, mais elles ne me vont pas. Ça pique et j'ai les yeux rouges.

Caché derrière son casque, le soldat se pencha un peu plus pour m'observer. Je suppliai les Six que mes yeux restent bleus, que ma magie ne vacille pas.

Les gardes affectés aux barrages ne ressemblaient pas tout à fait aux soldats magitech, bien qu'ils soient également recouverts de la tête aux pieds par une armure. Ils devaient être bien humains. Et puis, est-ce que les robots parlaient ?

— Allez voir un médecin, finit par dire le garde en me rendant mon carton jaune.

— Oui. Dès aujourd'hui, bredouillai-je.

— Fouille, ajouta-t-il en désignant du menton son collègue.

J'avançai et lui tendis mon sac. Rien ne l'intéressa à l'intérieur et j'y rangeai mes faux papiers quand il me le rendit. Il me fit écarter un peu les bras et commença à me palper les épaules, les bras, les flancs, jusqu'à mon soutien-gorge et mes chaussures. Je détestais cette sensation. Je ne voulais pas qu'il me touche.

Je regardai loin devant, au-delà des grilles de la ville, et je tentai de me convaincre que c'était comme lorsque Prompto s'était assis contre mon dos ou qu'il avait passé un bras autour de mes épaules.

Mais ça n'avait rien à voir.

Heureusement, cela cessa rapidement. Les deux gardes qui bloquaient le passage s'écartèrent, d'autres personnes commençaient à se faire contrôler derrière moi. Je remis mon sac sur l'épaule et entra dans Insomnia dans encombre.




À l'aube de ce mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant