Chapitre 42

8 2 0
                                    



— Quand j'étais plus jeune et jusqu'au lycée j'étais le « petit gros », continua Prompto en mimant les guillemets. Celui qu'on laissait de côté, qu'on ignorait, qu'on choisissait en dernier pour jouer, dont on se moquait.

Je grimaçai. Les enfants étaient donc aussi cruels entre eux que les adultes ?

Il m'expliqua, d'une petite voix, qu'il s'était toujours senti seul. Il n'avait pas d'amis. Il passait son temps le nez dans les livres ou à observer la nature, la vie, les autres. C'était de là qu'avait découlé sa passion pour la photo. Il s'était mis à adorer capturer les moments de joie et de quiétude dont il ne pouvait profiter lui-même. L'entrée au lycée ne changea rien à sa situation, si ce n'était que certains ados étaient encore moins sympas avec lui. Il insista plusieurs fois sur l'expression « petit gros » et j'eus du mal à me le représenter autrement qu'il était maintenant. Pas en termes de poids ; Prompto serait toujours Prompto. Mais j'avais du mal à concevoir qu'il puisse être moins enjoué et souriant, manquer d'enthousiasme. Être éteint, en quelque sorte.

À mesure qu'il parlait, je compris que ces années qu'il avait passées à être brimé lui avaient laissé pas mal de marques qu'il s'était efforcé de cacher au fil du temps.

La première fois qu'il avait rencontré Noctis il était sûr de ne pas être digne d'être son ami, ni même de le côtoyer. Après tout, il était un prince et lui... il était juste lui, issu d'une famille modeste, ignoré par tout le monde, renfermé sur lui-même, sans grand intérêt, avec un physique qui le dégoûtait de plus en plus.

J'étais partagée entre rage et peine que Prompto ait eu cette image de lui – et peut-être était-ce quelque chose qu'il traînait toujours derrière lui, comme un boulet fantôme.

— Mais Noct s'est toujours adressé à moi comme si j'étais n'importe qui d'autre. Il me parlait même plus qu'aux autres, ce qui en a fait enrager plus d'un, se rappela Prompto. J'avais toujours ce sentiment de ne pas être digne de lui... alors j'ai décidé de faire tout ce que je pouvais pour le devenir. J'ai changé, un peu radicalement c'est vrai. J'ai essayé de prendre de l'assurance, mais ça n'était pas facile avec tous les autres qui...

Il soupira et jeta un œil à Noctis. Il semblait plongé dans une discussion à voix basse avec les deux autres garçons, mais peut-être restait-il tout de même attentif à nous.

— Noct a commencé à me défendre et ça a été plus facile après ça. On m'embêtait un peu moins. Il m'a fallu presque un an pour perdre suffisamment de poids pour que je me sente mieux. À la rentrée, j'étais presque méconnaissable et certains élèves ne me reconnurent pas. À partir de ce moment-là, je suis devenue plus à l'aise et je suis vraiment devenu ami avec Noct. Parce que... j'avais encore du mal à accepter son amitié. Je voyais toujours le prince alors que lui s'en fichait de ça. Il me voyait moi... et j'ai appris à le voir lui aussi tel qu'il est. Ensuite, il m'a fait rencontrer Ignis et Gladio.

— Les gens sont cruels entre eux, soufflai-je doucement. Il ne faut pas les écouter, tu sais.

— C'est ce que Noct n'arrêtait pas de me dire. Et tu sais..., hésita-t-il en regardant à nouveau à la dérobée Noctis, souvent je ne me sens toujours pas digne d'être là, de faire partie de la bande.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Bien sûr que tu es digne d'être là.

— Je n'étais même pas garde royal à la base. J'ai été formé sur le tas parce que Noct voulait que je vienne avec eux. Mais je ne sais pas vraiment me battre. Je n'ai pas de compétences particulières, aucune connaissance des combats ou de la stratégie.

— Mais, Prompto ! dis-je un peu plus fort et attirant l'attention des garçons – heureusement sans réveiller Talcott et Iris. Tu regardes trop derrière toi, regarde plutôt ce qui t'entoure. Tu n'es parti de rien et tu as appris à manier les armes à feu. Tu es un tireur exceptionnel. Tu es la joie incarnée et la bonne humeur de ce groupe. Qu'est-ce qu'on s'en moque si tu n'y connais rien en stratégie. Chaque personne à ses points forts et ses points faibles, c'est pour ça qu'elles se complètent. Ta place est parmi eux, tu l'as méritée, assurai-je avec un mouvement de tête vers le trio. Ça se voit. C'est une évidence. Vous êtes complets quand vous êtes tous les quatre. Tu dois le ressentir là, non ?

J'effleurai brièvement du bout des doigts son cœur. Son regard se perdit un instant puis il sourit.

— Oui... c'est vrai.

Noctis se leva pour venir s'asseoir de l'autre côté de Prompto et lui donna une bourrade dans l'épaule. Ignis et Gladiolus se rapprochèrent également.

La conversation dévia rapidement vers quelque chose de plus joyeux et, alors que Talcott et Iris dormaient comme des loirs, nous restâmes éveillés encore un moment.

Les garçons partirent se changer dans leur chambre et je fis de même, enfilant ma grande chemise noire. Je ne fus même pas surprise de voir Prompto avec un tee-shirt sur lequel figurait un chocobo. Ignis me regarda et haussa un sourcil un bref instant mais ne dit rien.

Chacun prit finalement place sur son matelas et je poussai la couette à mes pieds pour éviter d'avoir trop chaud. Ignis éteignit la lumière et plus personne ne parla.


**


Bien sûr, dormir ça aurait été trop beau et trop pratique. Une longue traversée en mer nous attendait le lendemain, ça aurait été dommage de ne pas être fatiguée.

Un peu amère, après m'être tournée et retournée sur mon matelas et avoir cogné trois fois Prompto qui n'avait même pas cillé, je me levai. La fenêtre n'avait pas de volets et la lune permettait d'y voir de façon correcte. J'allai jusqu'à la table de chevet attraper le carnet du roi et me dirigea vers la sortie.

Je manquai de hurler quand quelque chose agrippa ma cheville.

— Mais ça va pas de faire ça ! criai-je en chuchotant – du moins dans la mesure du possible – et ravalant un juron.

— Vas-où ? marmonna la voix ensommeillée de Gladiolus qui desserra un peu sa prise.

Par les Six, il me surveillait encore plus que le roi et qu'une maman chocobo réunis.

— Toilettes, mentis-je.

Je ne compris pas ce qu'il répondit, et peut-être qu'il ne le comprit pas lui-même. En tout cas, il me lâcha et se retourna sur son matelas, Ignis empiétant d'ailleurs dessus car Noctis dormait avec les bras étendus. Je me faufilai hors de la chambre et me rendis sur le perron de la maison, laissant la porte un peu entrouverte pour entendre quelqu'un qui descendrait.

Je m'assis sur les marches, le carnet sur les genoux. La lune était presque pleine et me permettait d'y voir suffisamment. Je devrai un peu plisser les yeux, mais je n'avais pas envie d'allumer la lumière.

Après une hésitation je fis défiler les pages du carnet, relisant quelques passages comme si j'espérais un changement quelconque. Ma gorge se serra.

Je ne pouvais pas changer le passé. C'était quelque chose d'immuable.

Peur. Feu.

Mais ça faisait mal quand même.

Monstre d'Orvelam.

Mal de savoir les horreurs qu'on avait faites sans en avoir conscience.


À l'aube de ce mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant