Chapitre 104

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An 766, dix ans et trois mois après Zegnautus

Hammerhead


J'étais en train de faire la vaisselle même si Gladiolus avait râlé.

Il ne me laissait plus faire grand-chose. Ça me faisait lever les yeux au ciel, mais je devais bien reconnaître que je n'étais plus en mesure d'en faire beaucoup. J'étais plus affaiblie que je ne l'avais jamais été, sans cesse fatiguée, chaque geste me coûtait. Ma magie n'était plus qu'une ombre fugace. Intérieurement, je l'avais longuement remerciée d'avoir tant fait pour moi. De m'avoir accompagné presque trente ans, même si nos débuts avaient été un peu volcaniques. Nous avions fait du mal, elle et moi, mais, une fois que je l'eus comprise et sus ce que j'étais, nous avions essayé de faire le bien autour de nous.

Cette fois, la fin était vraiment toute proche. La falaise approchait. Il était temps de mettre de l'ordre dans mes affaires, comme on disait.

Il n'y avait pas beaucoup de choses à régler en réalité. Comme je n'utilisais plus mes pouvoirs pour soigner les chasseurs, n'importe qui pourrait me remplacer à l'infirmerie. Sans Cristal, mon rôle de Gardienne n'avait plus lieu d'être. Je n'avais pas d'autres compétences particulières. En somme, je ne manquerai pas au monde. Pourtant, des griffes se plantaient dans mon cœur à chaque fois que je voyais mes amis. Prompto, Ignis, Iris, Lunafreya. Clarus et Talcott, aussi. Et même les chasseurs d'Hammerhead à qui je m'étais habituée, Cid, Cindy, Takka. Et c'était encore pire concernant Gladiolus.

Je leur avais confié à tous à quel point je sentais la fin proche même s'ils ne voulaient pas en entendre parler. Je n'avais pas abordé ce sujet pour attirer leurs regards larmoyants – d'autant plus que ça faisait des mois qu'ils me couvaient tous des yeux comme un œuf de chocobo sur le point de se faire gober par un béhémoth – mais juste pour qu'ils sachent que ça n'allait plus tarder à se produire. Qu'ils s'y préparent, si c'était possible. Et pour me donner le courage de m'y préparer aussi. Leur parler, ça rendait tout plus tangible.

Je pleurais beaucoup, aussi, même si j'aurais préféré m'en passer. Je ne maîtrisais pas les émotions qui me submergeaient alors j'évacuais le trop plein de tout ça le soir, m'accrochant désespérément à Gladiolus. Parfois, je le réveillais. Quand ça arrivait, il me serrait contre lui, son corps s'emboîtant contre le mien, et il me parlait de tout et de rien, me consolait, me rassurait. Il me promettait le jour et la mer. C'était aussi beau que ça me faisait mal, parce que j'aurais donné tout ce que je pouvais pour partager cela avec lui.

Ce jour-là, j'avais envoyé mon inventaire à Ignis avec seulement trois jours de retard parce que je l'avais oublié, et je n'avais rien de prévu pour le reste de la journée. Il était prévu que je passe l'après-midi avec Gladiolus et je savais d'avance que sa tête finirait posée sur mes cuisses alors qu'il lirait un livre. Je n'avais jamais compris comment il faisait pour ne pas se le faire tomber sur la tête... Le soir, j'avais invité Prompto à venir lorsqu'il serait rentré de sa chasse. J'avais prévu de transformer le salon en tente géante et de plumer les garçons au poker, ce qui promettait une soirée intéressante – pour moi, en tout cas.

En attendant, je faisais la vaisselle sous l'œil désapprobateur de Gladiolus, qui avait cessé de me faire des remarques pour ne pas se recevoir l'éponge sur le visage. C'était arrivé une unique fois, et j'en entendais encore parler.

Une stridulation éclata dans mon crâne.

Ça ne dura qu'une seconde ou deux, mais j'en lâchai le verre que je lavais qui éclata en plusieurs morceaux.

À l'aube de ce mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant