À l'aube de ce monde

Chapitre 87

An 756, cinq mois après Zegnautus

Hammerhead

Iris avait fait un passage à Hammerhead une fois les derniers citoyens d'Insomnia bien installés. Elle était arrivée avec Cor, qui avait l'air d'avoir plus envie d'affronter une armée de géants de fer que d'être ici. Il resta trois jours avant de repartir. Avec Clarus. Et ce malgré ses multiples protestations. Il semblait impossible de faire céder le bouclier de l'ancien roi lorsque celui-ci avait une idée en tête.

J'avais été ravie de retrouver la cadette des Amicitia. Elle m'avait littéralement sauté dessus pour me serrer dans ses bras. Nous avions passé tout notre temps ensemble et avec les garçons, lui racontant tout ce qu'il s'était passé depuis la dernière fois que nous l'avions vue, avant de partir pour le Niflheim. Elle savait déjà ce qui était arrivé à Noctis, Gladiolus l'ayant prévenue, aussi ne fut-elle pas surprise par cette partie du récit.

Elle resta un peu moins de trois semaines avant de partir en direction de Lestallum. Elle préférait s'installer là-bas, d'autant plus que Monica s'y trouvait avec Lunafreya qui apportait son aide dès qu'elle le pouvait. Iris avait dans l'idée d'accompagner l'Oracle dans ses déplacements futurs, car cette dernière ne comptait pas rester les bras croisés. Elle souhaitait prévoir quelques voyages à travers les régions de Leide, Duscae et Cleigne pour apporter sa bénédiction aux personnes en ayant besoin. Avec les événements récents, Iris avait décidé de suivre les traces de sa famille dans la garde royale. Elle avait convenu avec son père qu'accompagner l'Oracle serait un bon début, à condition qu'avant elle trouve le temps de s'entraîner au maniement des armes.

Je fus un peu triste de voir Iris partir pour Lestallum. Gladiolus la regarda s'éloigner en voiture, les bras croisés sur la poitrine. Je savais qu'il était fier qu'elle souhaitât entrer dans la garde royale. Je lui avais demandé s'il n'avait pas envie de la suivre à Lestallum pour rester près d'elle.

— Non, avait-il répondu en secouant la tête. Iris a grandi maintenant, elle n'a plus besoin de moi comme avant. Je serai toujours là pour elle. Mais ma place est ici.

Près de moi, complétai-je mentalement.

Bien que nous ayons des moments où nous parlions à cœur ouvert, la plupart du temps nous avions, l'un comme l'autre, encore un peu de mal à être spontanés et à dire tout ce que nous pensions. Gladiolus ne disait pas certains mots. Je savais néanmoins qu'il les pensait ; ses gestes parlaient pour lui. La réciproque était vraie également : il avait tendance à voir quand je n'arrivais pas à dire quelque chose et déployait des trésors d'ingéniosité pour m'aider à communiquer.

Je m'en voulais quand même un peu que Gladiolus reste à Hammerhead parce que j'y étais et qu'il soit ainsi séparé de sa sœur. Mais tant que j'aurais de la magie, je serais plus utile ici qu'à Lestallum.

Je m'étais plus ou moins engagée auprès de Cid et Takka, ainsi que de la communauté des chasseurs, à soigner les blessés dans la limite de mes moyens.

Après que le lien qui m'unissait au Cristal se soit rompu, il y avait eu une sorte de réunion avec Cid, Cindy, Takka et les chasseurs présents pour expliquer, dans les grandes lignes, que j'étais capable de soigner les blessures. Il y avait eu des exclamations étonnées – quelques-unes – mais surtout de l'incrédulité – beaucoup. Certains pensaient qu'Ignis et moi nous moquions d'eux, que ce n'était pas possible.

Gladiolus, toujours très patient, diplomate et pas du tout excessif, en avait eu marre des tergiversations. Devant tout le monde, il avait invoqué Masamune et s'était allègrement tranché l'avant-bras sur le fil de la lame. J'avais soupiré tellement fort que Prompto m'avait tapoté l'épaule en guise de soutien. J'avais alors entouré son bras de mes mains de sorte que tout le monde puisse voir ce qui se passait. Puis, j'avais opéré comme toujours, ma magie se manifestant par des étincelles, dévalant mes bras en me picotant, galopant vers lui comme une horde d'anaks. Une fois sous sa peau, elle l'avait guéri sous les yeux éberlués des chasseurs qui ne savaient plus quoi dire.

Quelques limites avaient tout de même été posées, afin que je ne m'épuise pas à la tâche, ainsi qu'en prévision d'une diminution de mes pouvoirs – ou disparition. Je ne soignais que les blessures assez sérieuses, pas les petites écorchures. Et si les plaies étaient vraiment trop importantes, je me réservais le droit de ne pas les soigner complètement mais suffisamment pour que la vie du chasseur ne soit pas en danger et qu'il puisse guérir facilement.

En vérité, c'était Ignis qui avait posé ces limites, autant pour les chasseurs que pour moi. Et je lui en étais reconnaissante. Je ne doutais pas que Gladiolus avait d'ailleurs dû discuter de ça avec lui quand j'avais émis l'idée de rester ici pour aider à ma façon. Lestallum était un gros pôle où transitaient beaucoup de chasseurs, mais la ville ne manquait pas de structures de soins. Or, à Hammerhead, il n'y avait rien d'autre que le garage, le restaurant de Takka, les armuriers qui venaient encore jusqu'ici, et la zone logement avec les mobil-homes.

Nous étions d'ailleurs en train d'agrandir cette partie. C'était une chose que nous avions pris en charge avec Prompto. Avec l'aval de Cid et de Takka, nous avions pu faire amener quantité de nouvelles grilles afin de repousser les limites de la localité du côté des mobil-homes. Deux autres grands lampadaires devant repousser les daemons avaient également été installés. Le plus long, maintenant, était de trouver de nouveaux logements, de les faire amener jusqu'ici, les routes étant continuellement dangereuses, et de les remettre en état.

Pendant que nous occupions une partie de nos journées ainsi, Ignis aidait à la logistique d'Hammerhead, notamment en ce qui concernant les livraisons de matériel et denrées alimentaires, et chassait quelques fois. Gladiolus, lui, sortait souvent pour honorer des contrats de chasse seul ou, de façon très rare, avec un autre chasseur. Ça me faisait un peu drôle de le voir partir sans quelqu'un du groupe. Je comprenais toutefois que rester ici n'était pas sa tasse de thé, il avait besoin d'un peu plus d'action. Et, même s'il ne le disait pas, il voulait garder sa forme de bouclier du roi jusqu'au retour de Noctis. Je m'inquiétais, bien sûr. Mes entrailles se tordaient, même. Mais je n'avais pas à l'empêcher de quoi que ce soit. À chaque fois qu'il partait, je glissai ma tête dans son cou et lui murmurai d'être prudent. En retour, il me disait de ne rien faire de dingue. Et mon cœur bondissait à chaque fois que je le voyais passer les grilles d'Hammerhead ou la porte du mobil-home.

Ignis et Prompto avaient pris leurs quartiers dans le mobil-home qu'avait occupé Clarus, nous laissant seuls, Gladiolus et moi, dans l'autre. Ce n'était pas du luxe car nous commencions à être à l'étroit et à nous marcher dessus. Et puis... j'aimais me retrouver seule avec Gladiolus.

Cinq mois, déjà, que Noctis avait été englouti par le Cristal, et quatre que Bahamut avait brisé le lien entre nous. Le temps était à la fois long et court. Les journées chargées nous occupaient, mais la nuit continuelle nous rappelait sans cesse ce que nous espérions.

Chacun de nous s'attendait à voir surgir Noctis à tout moment. Je surpris plusieurs fois chacun des garçons à lorgner les grilles d'accès, donnant l'impression de guetter quelque chose. Je le faisais moi aussi.

Je me demandais où il était.

S'il allait bien.

Quand est-ce qu'il allait revenir.

Reviens, Noctis.Reviens.