À l'aube de ce monde

Chapitre 73

L'avantage d'être derrière tout le monde, c'était que personne ne me voyait essuyer le liquide chaud qui coulait au coin de mes lèvres. Le chant allait et venait par vague strident et je ressentis quelques pulsations qui manquèrent de me couper le souffle. Le sang affluait un peu trop régulièrement dans ma bouche. Je ne savais pas ce que trafiquait Ardyn, mais ça mettait Bahamut en colère et, en même temps, il n'arrivait pas totalement à se défendre.

Et soudain, alors que je parais un coup de hache d'un soldat magitech et que du sang coulait sur mon menton, Bahamut se tut. Un silence écrasant le remplaça. Cela me donna une drôle de sensation. Ce n'était pas comme un vide, mais plus comme si... on avait regardé à l'intérieur de moi pour y dénicher tous mes secrets. C'était idiot, bien sûr. Non seulement parce que ce n'était pas possible, bien qu'Ardyn me donnât parfois l'impression de voir en moi – mais ça ne restait qu'un fichu mauvais ressenti –, mais également parce que je n'avais pas grand-chose à cacher. Plus précisément, pas grand-chose à cacher à ceux qui connaissaient mon existence.

Le soldat magitech que je repoussais tomba lourdement par terre, des étincelles crépitant autour d'un orifice en plein centre de son front. Prompto avait tiré par-dessus mon épaule sans même que je m'en aperçoive. J'avais plutôt intérêt à me reprendre.

Je le remerciai en rangeant mes dagues et essuyai à la hâte mon menton avant de me retourner.

— Je ne sais pas ce qu'a fait Ardyn, mais je n'entends plus Bahamut.

— C'est une bonne chose, non ? demanda Noctis qui haletait, penché en avant avec les mains en appui sur les cuisses.

— Je crois.

Il aurait été plus proche de la vérité de dire que je n'en savais rien mais, dans la mesure où j'étais la seule à entendre le chant du Dragonéen, j'aurais eu bien du mal à expliquer le ressenti que j'avais eu.

— Allez, on avance, lança Gladiolus. Encore quatre étages.

Les armes des garçons disparurent et notre groupe reprit sa progression, cherchant l'accès à l'étage supérieur. Car il aurait été bien trop simple ne n'avoir à utiliser qu'un seul escalier. Celui qui avait conçu Zegnautus n'avait clairement pas pensé à la circulation à l'intérieur. C'était un enfer pour s'y retrouver ; on prenait un escalier pour monter d'un étage sauf qu'il n'allait pas plus haut et qu'il fallait alors chercher un autre escalier... Et ainsi de suite. Prompto avait tenté de négocier pour utiliser les ascenseurs. Noctis et Gladiolus avaient ronchonné d'une même voix en expliquant que c'était comme sonner notre arrivée aux oreilles d'Ardyn.

Trois berserks plus tard, nous montions d'un étage. Plus que trois avant d'arriver au Cristal – normalement. Ce niveau s'avérait beaucoup plus haut sous plafond que les autres et, aussi, plus animé. Dès la sortie de la cage d'escalier, nous tombâmes sur une rangée de soldats magitech qui nous attendaient patiemment. Gladiolus trancha dans le tas avec Masamune, Noctis s'éclipsa derrière eux pour les attaquer dans le dos. Ignis et moi fonçâmes sur les soldats les plus éloignés et Prompto faisait mouche à chaque tir.

Les combats que nous menions n'en étaient pas vraiment, ils avaient surtout pour but de nous occuper et de nous fatiguer. Ce qui marchait plutôt bien d'ailleurs. Même s'il n'y avait pas grand-chose de difficile, notre endurance en pâtissait.

Après une troisième salve de soldats rencontrés, Prompto et moi étions hors d'haleine, adossés contre une paroi alors que Gladiolus trépignait d'impatience.

— Eh, dis-je après une nouvelle œillade, on n'est pas bouclier du roi, nous. On a besoin d'une minute.

— Je crois que je vais perdre un poumon, geignit Prompto.