Chapitre 60

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Il fallut un long moment pour que je quitte complètement le plan du Cristal où Ardyn continuait de l'attaquer. Une sorte de scission s'était produite entre nous puisque je ne réagissais plus aux assauts répétés du Grand Chancelier. Le chant était toujours présent, mais plus lointain. Je percevais tout de même sa colère et son impuissance ainsi qu'une certaine forme de douleur. En réaction ma magie grondait et palpitait avec force, cognant contre ma peau. C'était néanmoins nettement plus supportable que ce qu'il s'était passé dans la pièce de métal.

La chambre de motel redevint la seule chose que je voyais et percevais. Je mis quelques minutes de plus à me rendre compte de la situation.

J'avais dû réveiller Gladiolus en parlant. Je ne savais pas s'il avait compris que j'étais en quelque sorte coincée dans le plan du Cristal et que ce qu'il s'y passait me faisait souffrir. En tout cas, il était venu sur mon lit, se calant le dos contre le mur et avait étendu ses jambes de part et d'autre de moi. Il m'avait serré contre lui et c'était la pression de ses bras autour de moi et de son torse contre mon bras que j'avais ressenti.

Une larme coula et je n'arrivais que péniblement à l'essuyer. Je levai lentement la tête, mes muscles m'obéissant difficilement. Je croisai son regard grave et y décelai quelque chose d'autre. De l'inquiétude, peut-être.

— ça va ?

Je pouvais faire abstraction du chant et de la fatigue, mais pas de la douleur qui continuait d'irradier dans mon corps.

— ça ira, répondis-je après un moment.

Je ne bougeai pas pour autant. Gladiolus continuait de me serrer contre lui. Au lieu d'exécrer son geste, je l'appréciais.

— Et pour de vrai ? insista-t-il.

Il bougea un peu pour se redresser et glissa l'un de ses bras sous mes jambes pour me rapprocher de lui. Le mouvement m'arracha un gémissement que j'étouffai vite. Il me fixait de ses yeux d'ambre brillants.

Je baissai les paupières et posai la tête sur son épaule nue.

— Mal partout, avouai-je. Je ressentais tout pour le Cristal. Il tient bon, mais il souffre. Son chant est plein de colère et de douleur.

Gladiolus me serra un peu plus fort. Je ne protestai pas, savourant sa présence, et il posa son menton sur le sommet de mon crâne.

— Je t'entendais parler. C'est ça qui m'a réveillé. Tu avais les yeux presque blancs... À un moment, tu as dit qu'il allait te tuer si tu restais. C'était Ardyn ?

— Oui, murmurai-je. Il essaie de briser le Cristal, de le faire ployer. J'ai vraiment cru que c'était moi qui allais céder si je n'arrivais pas à partir. Le Cristal m'a aidée, je crois. Et je t'ai senti et entendu.

— Tout ça sera bientôt fini, dit-il avec lenteur. Tu veux en parler ?

Alors je lui racontais tout, depuis mon réveil jusqu'à ce que je revienne complètement dans la chambre. Durant tout mon récit, aucun de nous ne bougea. Je restais contre lui, son menton sur ma tête, mon front près de son cou. Ses cheveux me chatouillaient et il sentait encore le shampooing et une odeur plus profonde de santal et de fumée que je respirais profondément.

Gladiolus dit que nous parlerions de tout ça aux autres le matin, quand nous serions à l'abri des oreilles indiscrètes. Il nous restait quelques heures pour nous reposer.

— Dis-moi quand tu voudras que je te lâche, dit-il à voix basse après un moment en desserrant ses bras.

Dix réponses fusèrent dans ma tête en même temps, couvrant le chant du Cristal qui n'était plus qu'un murmure.

— Tu n'es pas obligé de rester près de moi si tu n'en as pas envie.

— Je sais. Je ne ressens aucune obligation.

— Alors ne me lâche pas.

Je posai une main sur son épaule, faisant glisser un doigt sur la tête de son aigle et inspirai son odeur de santal et de fumée. Elle avait quelque chose de rassurant qui me donnait envie d'enfouir la tête dans son cou.

Après l'épisode d'Eronos j'avais passé les trois dernières années à fuir les contacts parce qu'ils m'éprouvaient. Mais, là, dans cette chambre de motel, je voulais rester contre lui des heures durant. Écouter distraitement son cœur battre, sentir ses cheveux frôler mon front, me fondre dans ses bras.

Je ne voulais pas que demain arrive et que ce moment cesse pour ne devenir qu'un souvenir.

— S'il te plaît, murmurai-je d'une voix emplie de tristesse.

L'un de ses bras me serra plus fort tandis que son autre main glissait sur mon cou puis dans mes cheveux. D'une pression, il me fit redresser un peu la tête. Mes muscles protestèrent mais je me laissai faire.

Il baissa la tête vers moi et me fixa quelques secondes.

— Je suis là, chuchota-t-il en se penchant jusqu'à ce que ses lèvres effleurent mon front. Et je le reste.

Il déposa un léger baiser sur mon front et se redressa un peu.

— Je suis le monstre dont tu as besoin, sourit-il.

— Merci, dis-je tout bas en posant une main sur sa joue, frôlant sa barbe. Mais je n'ai pas l'utilité d'un monstre. C'est de toi dont j'ai besoin.

Je détournai bien vite les yeux et me mordis la langue. Comme s'il avait envie d'entendre ça venant de moi. Je laissai retomber ma main le long de son bras, effleurant les plumes de son tatouage.

Gladiolus remua un peu et je m'apprêtai à le voir s'éloigner. Il n'en fit rien et, à la place, il passa par-dessus sa tête le collier qu'il portait continuellement, fait de perles noires et beiges ainsi que d'une croix. Je me rappelai avoir fait glisser mes doigts dessus à Cap Caem, lorsqu'il m'avait rejoint sur la falaise après que j'ai lu le carnet du roi.

Avec surprise, je le vis me passer son collier autour du cou. La croix retomba naturellement sur ma poitrine.

Il glissa à nouveau une main dans mes cheveux pour que nos regards se croisent. Il resta ainsi, puis il posa son front contre le mien. Nos nez se touchèrent et il pencha un peu plus la tête. Je sentais son souffle chaud sur mon visage.

— Garde-le si tu le veux. Il est à toi. Tout est à toi, murmura-t-il.

Nos lèvres se frôlèrent à chacun de ses mots. Il n'y avait plus que lui, son corps contre le mien, ses bras et ses mains, son souffle et sa bouche si près de la mienne. Lui, et mon cœur qui tambourinait dans ma poitrine.

— Gladio, soufflai-je.

Il reposa doucement ma tête sur son épaule. Je restai ainsi, tout contre lui, à dessiner de mes doigts le contour des plumes de son aigle sans qu'il ne desserre jamais son étreinte.

J'entendis une dernière fois sa voix avant de sombrer dans le sommeil.

— C'est la première fois que tu m'appelles Gladio.



À l'aube de ce mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant