Chapitre 93

27 2 2
                                        




An 763, six ans et huit mois après Zegnautus

Hammerhead


J'avais remisé très loin dans un coin de mon esprit l'ersatz de menace d'Hector. Il avait dit vouloir me faire payer ce qu'il s'était passé ce jour-là à l'infirmerie, quand il m'avait attrapée contre mon gré et que j'avais usé de ma magie pour le repousser.

Ça s'était produit il y avait un an. Un peu plus, même, puisque nous étions alors en fin d'année. Par conséquent, je n'en avais parlé à personne. J'avais mis ça sur le coup de la colère d'Hector. Et cela avait été plutôt bénéfique, je devais dire. Au moins pour moi.

Je ne soignais plus que très rarement Hector, alors qu'avant il passait sous mes doigts toutes les semaines. Je ne savais pas quel changement s'était opéré chez lui à la suite de notre altercation, mais ç'avait été sacrément efficace.


**


La vie à Hammerhead suivait donc son cours. Je passais le plus clair de mon temps à l'infirmerie ou à aider Takka. Ou alors, dernièrement, à me reposer après de grosses séances de soins. Ma magie continuait de faiblir si lentement qu'il me fallait plusieurs mois pour me rendre compte que certaines choses me devenaient plus difficiles. Je me fatiguais plus vite, je récupérais plus lentement. J'avais les traits un peu plus tirés.

Bientôt six ans...

Prompto agissait toujours de la même façon : il chassait dans les alentours d'Hammerhead et rentrait tous les soirs. S'il ne sortait pas, alors il filait un coup de main à Cindy, à Takka ou à Cid.

Ce dernier fatiguait aussi, d'ailleurs, l'âge n'aidant pas. Il était un peu moins actif, plus parce que nous étions un peu tous après lui, à lui seriner de se ménager, que parce qu'il voulait vraiment lever le pied.

Ignis avait trouvé son rythme de croisière entre Hammerhead et Lestallum. Il passait neuf à dix jours là-bas, avant de revenir pour quatre à cinq jours. J'étais un peu triste de moins le voir, mais il s'était épanoui ainsi et ça me rendait heureuse pour lui.

Pour ce qui était de Gladiolus, il était toujours égal à lui-même. L'action coulait en lui comme un torrent et il avait besoin de bouger. Alors il chassait souvent, partant parfois trois jours avant de rentrer. Les années passaient, mais mon cœur débordait toujours de joie à son retour. Il était ma stabilité et ma force. Mon pilier sur lequel j'avais appris à me reposer.


**


Ce soir-là, j'étais au restaurant, assise à côté de la fenêtre, lorsqu'il revint de sa chasse. Il s'était absenté presque quatre jours. Ses yeux me trouvèrent rapidement et il traversa le parking, son sac sur l'épaule. Il s'arrêta en croisant Harvey et Dominik, qui venaient de sortir du restaurant en même temps que Renan et Hector. Ces deux-là étaient toujours fourrés ensemble. Harvey, lui, ne s'était toujours pas déclaré à Séréna. Prompto et moi nous étions déjà demandés s'il n'était pas temps de s'emmêler juste un peu... J'avais envie de lui donner un petit coup de pouce, mais j'étais tout de même réticente à me mêler de ce qui ne me regardait pas.

Gladiolus discuta un bon moment avec Dominik et Harvey, quelques éclats de voix me parvenant sans que j'en comprenne les mots. Hector et Renan étaient également restés un moment à discuter, un peu à l'écart. Je ne leur prêtais pas plus d'attention que ça. La fatigue ne me quittait pas depuis quelques jours et j'avais la sensation que chaque geste me coûtait.

Je finis par sortir pour rejoindre Gladiolus. Il avait un air renfrogné que je n'avais pas remarqué tout à l'heure et le regard dont il me gratifia m'arrêta net avant que je ne sois à sa hauteur.

— Rentre, me dit-il d'un ton plus rude qu'à l'accoutumée. J'arrive.

Je saluai de la main Harvey et Dominik et rejoignit le mobil-home pour l'attendre, me demandant ce qui m'avait valu d'être congédiée aussi vite. Il avait dû aborder un sujet épineux avec les deux autres chasseurs.

Je m'endormis comme une massue sur la banquette du salon, un thé encore fumant devant moi.

Je me réveillai d'un coup lorsque je sentis quelqu'un passer un bras dans mon dos et sous mes jambes pour me soulever. Me redressant par réflexe, j'agrippai ce qui passait sous mes mains : le tissu d'un tee-shirt et quelques mèches de cheveux.

— C'est moi, marmonna la voix grave de Gladiolus. Tu t'es endormie.

Encore un peu dans les brumes du sommeil, je posai ma joue sur son épaule, ses cheveux me frôlant en une douce caresse. J'étais déjà presque rendormie le temps de traverser le couloir. Je me tournai sur le flanc lorsque Gladiolus me déposa sur le lit, tirant la couverture sur moi. Je l'entendis sortir de la chambre et se doucher. Il prit tellement de temps que j'eus un mal fou à rester éveillée, mon esprit sombrant à moitié.

Enfin, il vint se coucher.

Sa chaleur ne m'emplit pas, le santal et la fumée restèrent un peu distants.

Il me tournait le dos et quelque chose dans sa posture me rendit triste. Je me rapprochai de lui et passai un bras autour de sa taille. Il serra un instant ma main avant de la relâcher et ne bougea plus.

J'eus froid, cette nuit-là.



À l'aube de ce mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant