🦋C É L E S T E 🦋

II ✔️

— Arrête ton cinéma ! Tu te rends compte que désormais Ezra ne renoncera pas. Il va d'autant plus s'acharner sur moi (j'avance d'un pas ferme pour intensifier mes propos). Il va me tuer.

— Je ne le laisserais pas faire.

Je secoue la tête, me rendant compte qu'il ne cerne pas l'ampleur du problème. Je me recule de lui sentant les larmes s'accumuler dans mes yeux.

Il ne comprend décidément pas que je ne pourrais pas vivre indéfiniment sous leur toit, il faudra bien qu'un jour je reprenne ma vie.

Je soupire longuement m'astreignant à freiner la montée de larmes.

— Tout ça aurait été bien plus facile si tu t'étais contenté de rester dans ton coin, murmuré-je sachant qu'il peut m'entendre.

— Comme tout aurait été plus facile si je ne t'avais pas sauvé. Sauf que je l'ai fait. Alors tu auras beau m'en vouloir autant que tu voudras, ça ne changera rien.

— Là n'est pas la question (je fais deux pas dans sa direction). J'étais à deux doigts de récupérer ma liberté et toi, tu me l'as arraché ! Pourquoi as-tu fait ça ? Tu cherches à ce qu'Ezra me tue ! Si c'est le cas il fallait le dire plus tôt, et me balancer par la fenêtre avec un écriteau où serait inscrit « À table ! »

Il cligne des yeux avant de les rouvrir me fixant comme si j'étais devenue folle. Son torse se gonfle avant de laisser échapper un soupir.

— Tu n'es pas simple comme fille.

— Toi non plus. Dis-moi pourquoi tu es intervenu chez Nathan.

Un moment s'écoule dans le silence. Il me tourne le dos de son imposante carrure. Ses épaules sont étrangement tendues.

— Je...

Ses poings se serrèrent et se desserrèrent contre ses flancs.

— Je... je ne sais pas comment le décrire, ça ne m'était jamais arrivé auparavant.

Je reste sans un mot, partagée entre un sentiment d'impatience et d'angoisse, sur ce qu'il s'apprête à me révéler.

— Je ressens le besoin incontrôlable de te protéger. J'ignore pourquoi.

Mes yeux s'agrandissent aussitôt.

— Comment ça ?

— Quand j'ai senti la présence d'Ezra chez Nathan je n'ai pas pu m'en empêcher. Je ne sais absolument pas ce qui m'a pris, et... j'ai foncé.

Je tressaille.

— Tu es en train de me dire que... quoiqu'il m'arrive, tu as besoin de me protéger ?

— J'essaie pourtant de m'en débarrasser, mais je n'y parviens pas ! C'est comme s'il y avait une chose en moi qui m'y obligeait.

La peur s'insinue à nouveau dans ma poitrine.

— Une chose comme quoi ? demandé-je d'une voix trahissant mes émotions.

Klein se retourne face à moi.

— Je n'en sais rien (il s'interrompt et semble jauger mon expression). C'est la première fois que ça se produit.

Je demeure immobile et silencieuse, complètement absorbée par ce qu'il vient de m'avouer. C'est un des moments de ma vie où je ne sais pas si je dois pleurer, rire ou m'enfuir le plus loin possible. Partagée entre un sentiment réconfortant et de désespoir, je tâche de trouver mon lien dans cette annonce. Comment est-ce possible ? Pourquoi moi et pas une autre ?

— Ça arrive... souvent ce genre de chose, chez les ailés ? (je plonge mon regard vitreux dans le vide).

— Non, jamais à aucun d'entre nous. Ça n'a aucun sens.

Se pourrait-il que ce soit pour cela qu'il me trouve étrange depuis le début ? Quel qu'en soit la raison, je m'aperçois qu'au plus j'essaie d'en savoir et au plus j'ai l'impression que jamais je ne pourrais m'extraire de ce cauchemar.

Je passe mes mains fébriles dans mes cheveux, quand un rire nerveux s'échappe de ma gorge.

— Alors pourquoi expliquer que ça arrive à moi ? Je suis une fille ordinaire, dans la moyenne la plus banale qui soit (la tristesse prend le dessus). Je ne suis pas populaire et je fais tout pour ne pas l'être. Je mange les pizzas avec mes dix doigts laissant le bord croustillant dans l'assiette. Ce qui fait de moi une personne totalement normale. Comment se fait-il que ma chance d'être sorti indemne de cet éboulement au lycée, se transforme en une poisse plus grosse qu'une maison quand j'apprends que ta protection peut autant bien me sauver que me tuer !

Il hausse son sourcil noir charbon.

La seule chose qu'il a retenue et plus improbable est :

— Tu manges la pizza avec les dix doigts ?