Chapitre 8

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- Si tu maltraite tes mains comme ça, tu vas te blesser, dit-il plus rapide qu'elle.

Elle fronce les sourcils.

- Je m'en fiche pas mal. Mon but, ce n'est pas d'être musicienne.

- Tu dis ça maintenant, mais si tu ne peux pas fermer la main demain, est-ce-que tu diras la même chose en t'asseyant devant un piano ? Ça fait déjà un moment que tu as les mains raides. Ça ne te fait pas mal ?

- Qu'est-ce qu'il se passe, ici ? demande l'homme discrètement à sa femme.

Cette dernière répond d'un air préoccupé :

- Tsuchida-chan s'est disputée avec son père. Elle joue depuis qu'ils sont sortis de l'école, tous les deux.

Il entre dans le salon pour voir son fils assit sur une chaise, juste à côté de la lycéenne, lui massant la main droite.

- Tu me dis, si ça fait mal. Même si tu ne penses pas en avoir besoin, tu comprendras quand tu seras ennuyée, d'à quel point c'était nécessaire.

Il se lève :

- Ne bouge pas, je vais te faire une infusion. La chaleur détendra tes muscles.

Puis, il se retourne, au dernier moment :

- Ne joue pas, hein.

L'homme la regarde poser à nouveau ses doigts sur le piano, mais à sa grande surprise, elle n'appuie pas sur les touches. Elle se contente de les regarder.

- Bonsoir, papa, dit son fils en passant à côté de lui avec la tasse entre les mains.

Il referme le couvercle du piano, pose une serviette en papier dessus, pour finir par y poser la tasse à son tour.

Tsuchida enroule ses doigts autour de la tasse, et soupire.

- Je vais oublier la suite, à cause de toi.

- La suite ?

Il semble réellement s'y intéresser.

Elle acquiesce avec douceur.

- La suite...

- Tu ne l'oublieras pas. Pas quand c'est la suite de quelque chose. Ne t'en fais pas. Je suis sûr que tu t'es encore laissée des indices.

Elle sourit en hochant la tête un peu plus vigoureusement.

- Tu as raison. J'en ai laissé.

Lorsque l'infusion a refroidit, elle l'avale tout en laissant Aomine lui masser une deuxième fois les mains.

- Je dois terminer quand même, dit-elle quand il a fini. J'irais plus doucement, mais je dois terminer quand même.

Il hoche la tête.

- Vas-y doucement.

Il attrape la tasse, la serviette et la chaise, et range le tout à sa place, tandis qu'elle se remet à jouer, avec légèreté, cette fois-ci. Caressant les touches blanches et noires.

On sonne à la porte, et la maîtresse de maison sort de la cuisine où elle aidait son mari à ranger les courses pour aller ouvrir.

- Tsuchida-san ? Bonsoir, sourit-elle sans savoir trop quoi dire.

Le père de l'adolescente est sur le pas de la porte, l'air aussi fatigué qu'en colère, et affligé de devoir aller frapper à la seule porte qu'il connait pour chercher sa fille.

- Bonsoir. Koike est-elle ici ?

Elle ne répond pas tout de suite, mais le son du piano fait froncer les sourcils à son interlocuteur.

Aomine-san sourit, et le laisse passer.

- Suivez-moi.

A mesure qu'ils entrent dans la pièce, le piano s'intensifie, et bientôt, Tsuchida ne caresse plus les touches, elle appuie dessus avec vigueur, et une note de désespoir.

Elle ne veut pas rentrer chez elle. Pas maintenant. Pas quand il sait qu'elle lui a mentit. Pas maintenant. Pas encore. Il doit comprendre ce qu'elle ressent quand elle joue. Il doit comprendre à quel point elle a besoin de ça pour vivre.

Il la regarde longuement, et l'écoute, perdu dans l'ensemble de sons qu'il a banni de chez lui après la mort de sa femme, et qu'il n'accepte plus d'écouter nulle-part. Cette musique lui rappelle de trop à quel point c'était cruel de sa part d'empêcher sa seule enfant de faire la seule chose qu'elle savait faire les yeux fermés, et pour laquelle elle souriait de toutes ses petites dents.

Petite, il se souvient qu'elle allait trifouiller les boutons de la radio, pour monter le son et danser sur la table basse, ou qu'elle empruntait le violon de sa maîtresse, certains week-ends, sans avoir la moindre idée de réellement comment y jouer...

Il ne peut pas passer à côté du progrès monstrueux qu'elle a fait en si peu de temps.

- Ah !

La musique se désordonne et s'arrête, et la pianiste se tient la main, les dents serrées, gémissante.

Le basketteur dans la pièce traverse la salle en quelques enjambées, et attrape son poignet :

- Montre.

Il la tire vers lui et l'emmène dans la cuisine. Là, il fait couler de l'eau chaude et bouche l'évier, pour poser la main de Tsuchida à plat dans le fond.

- Aïe ! Arrête, ça fait mal !

Elle ne peut même pas l'ouvrir en grand, à cause de la douleur.

- Je te l'avais dit, ou pas ?

Elle grogne.

Après de gros efforts et un long massage, elle parvient à ouvrir suffisamment la main pour la poser dans le fond.

- Il suffisait de mettre plus d'eau, non ? demande-t-elle en marmonnant.

- Nan, il fallait la détendre au max avant, si tu ne pouvais pas l'ouvrir. Ça va mieux ?

- Oui. Merci.

- Je vais chercher de la crème pour les muscles. Ça chauffera un peu plus.

Il la laisse là pour courir dans les escaliers, et redescendre tout aussi rapidement avec ladite crème, avant même que Tsuchida-san n'ai mis un pied dans la cuisine.

- Koike.

Elle sursaute, sa main gauche toujours dans celle d'Aomine.

- Il faut qu'on parle, poursuit-il.

Elle rentre la tête dans les épaules.

- Je n'en n'ai pas envie, honnêtement, répond-elle sans le regarder.

Il n'insiste pas. Le père d'Aomine a déjà quitté la pièce pour les laisser parler tous les deux, et la mère tente d'emmener son fils, qui la repousse doucement, en roulant de l'épaule :

- Je reste. Je vais lui expliquer, moi.


Les larmes en gouttes de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant