Chapitre 63

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Par question de fierté, Tsuchida écrit tout de même à ses enseignants, précisant qu'elle sera absente encore une journée, avant de reprendre les cours le lundi. Elle a découvert bien avant qu'on ne lui fasse remarquer que les musiciens avec lesquels les étudiants ont l'occasion de travailler rodent autour de l'école, et non pas de leurs « partenaires », qu'elle a déjà vu laissés tombés après plusieurs semaines pour des artistes plus prometteurs. De cette façon, en peu de temps, on lui a proposé tellement de travail qu'elle devrait arrêter ses études pour satisfaire toutes les commandes, si elle se laissait faire. Et elle doit avouer avoir eu un moment de faiblesse en remarquant quel prix exorbitant les gens seraient prêts à l'acheter.

Elle se lève, s'étire, sort du lit, de la chambre, et referme la porte qu'ils ont laissé ouverte en entrant comme des animaux tout à l'heure. Elle détaille le linge en vrac dans la grande entrée, et le salon, les laissant là sans aucune gêne, pour fouiller sa bannette de vêtements propres, qu'elle enfile nue dans l'appartement, sans pudeur.

Elle s'attache ensuite rapidement les cheveux, et s'approche de la table, sur laquelle elle a posé la pochette pleine d'idées qu'elle traine un peu partout. Un peu parce que si c'était le cas, elle risquerait de la perdre, et partout, seulement dans l'appartement. Elle s'installe, et commence à l'ouvrir. L'avantage de se laver tout de suite après l'une de leur séance intense, et juste avant de fermer les yeux, c'est d'avoir enfin l'opportunité de ne pas avoir à le faire lorsqu'on est occupé ou en retard le lendemain, ou mieux encore : de ne pas dormir dans une chambre qui sent le fauve et la sueur, en plus du reste.

Aomine sort de la tanière deux bonnes heures plus tard, et la table ne suffisait plus à la musicienne depuis un moment déjà. Mais à la réflexion, l'étudiant se dit qu'elle n'a jamais été mieux que par terre, pour composer, se relire, corriger, compléter. Elle a glissé un crayon dans ses cheveux, certainement pour le retrouver plus facilement lorsqu'elle le cherchera dans ses feuilles éparpillées, et se passe le doigt sur les lèvres, posant une page, pour en attraper une autre.

- Tu as... bien dormi ? lui demande-t-il lorsqu'il est sûr qu'elle a senti sa présence.

Elle acquiesce.

- Parfaitement. Je me sens bien reposée. Et toi ? Pas trop de courbatures, après le match d'hier ?

Elle ne le regarde pas, et le double sens de sa phrase fait à demi rougir son partenaire de la nuit.

- Tout va bien, merci. J'ai bien dormi.

Depuis un moment, Tsuchida travaille sur un tas de choses différentes, mais l'ensemble de feuilles cornées qui sont dans un coin n'a rien à voir avec le reste, il le remarque tout de suite. Il s'assoit donc tout près, pour en tourner les pages. La jeune femme relève la tête pour le regarder faire, souriant légèrement avant de se remettre au travail.

Aomine découvre le support qui a permis la création des pistes qu'il écoute depuis un mois, annotées, complétées, et griffonnées. Il voit les textes dans les marges, en haut et en bas, les morceaux de partitions rajoutés sur des lignes tracées entre les autres lignes. Il se doutait déjà de l'ampleur du travail, sans penser qu'il se verrait aussi facilement sur les pages qu'il décompte d'une centaine de feuilles au moins.

Les bras qu'elle enserre autour de ses épaules le font sursauter.

- Qu'est ce que tu fais ? demande-t-elle.

- Je lis ce que tu as fait, répond-il. Je ne l'avais pas fait depuis un moment, j'ai un peu de mal, c'est un si, ça ?

Elle acquiesce, l'embrassant sur la joue :

- Oui, c'est un si. Mais est-ce-que tu entends la mélodie quand tu la lis ?

Avec un rire léger, il l'embrasse à son tour.

- Non, je n'en suis pas capable.

Elle tend le doigt vers la feuille, pour suivre une partie de la partition en fredonnant, à peine audible, mais détachant chaque note pour les désigner à chaque fois.

- C'est la piste trois ? demande-t-il en pensant reconnaître. Le match entre Kise et Seirin ?

- C'est ça. Tu as bonne mémoire.

Il ouvre la bouche pour lui dire qu'il l'a écoutée plusieurs fois, et se tait, finalement :

- Pourquoi tu m'as laissé ces morceaux ?

Elle réfléchit, posant son nez dans le creux de son cou. Elle pense si longtemps qu'il se demande si elle ne s'est pas endormie en cours de route. Sauf qu'elle répond soudainement :

- Je ne voulais pas te laisser tout seul. Et je ne savais pas quoi faire d'autre de ces morceaux, que j'avais composés. Alors que je les avais composés en pensant à toi. Donc je te les ai donnés.

Il garde le silence une seconde, deux, trois... et déclare finalement :

- Donc je me retrouve avec des... heures de musique, parce que tu ne savais pas quoi en faire ?

Il est éberlué par sa réponse, et en même temps... elle aurait pu les donner à n'importe qui. « Je les ai composés en pensant à toi. », lui a-t-elle dit. Ce n'était sûrement qu'une question d'ordre des choses. A croire qu'elle n'avait que cette idée là en tête, et qu'elle n'avait pensé à personne d'autre. C'était comme ça, dans son esprit, et c'est tout.

- Mais pourquoi me les donner à moi ?

Elle cligne des yeux, jette un coup d'œil rapide autour d'eux, les fiches étalées dans tous les sens sont disposées d'un ordre bien précis pour elle, elle sait qu'elle s'y retrouvera toujours. Mais peut-être que passer autant de temps en solitaire a rouillé sa façon de se faire comprendre des autres, et elle n'apprécie pas ça.

- J'aurais dû garder plus de contact avec les gens qui m'entourent, et vraiment discuter avec eux. Pas des cours, ou de mon emploi du temps, mais de ce que je fais, et comment.

Tsuchida se détache de lui pour s'assoir à demi face à lui, juste en diagonale.

- Tu es la personne qui en fera le meilleur usage. Je ne voulais pas qu'elles profitent à quelqu'un qui en ferait de l'argent, ce serait comme vendre les photos souvenir que j'ai prises avec toi. Ça n'avait pas de sens. Je te les ai données pour que tu t'en serves. Et elles t'ont visiblement été très utiles. Plus que je ne le pensais.

- Koike. Tu te rends compte de ta progression, depuis que tu es dans cette école ?

Elle secoue la tête :

- Pas vraiment. On n'a pas beaucoup d'occasions de faire beaucoup de pratique.

- Mais je ne te parle pas de ta pratique, dit-il en secouant la tête à son tour, les sourcils haussés, je te parle de ton raisonnement, de l'agencement de tes notes. Tu as réussi à retranscrire des matchs entiers d'abord en notes de musiques, puis en musique, tu n'en n'étais pas capable, avant.

La musicienne le dévisage longuement :

- Je ne sais pas si j'en étais capable ou pas, je n'avais juste pas pensé à essayer, c'est tout.

Alors Aomine réplique, catégorique :

- Dans ce cas, tu devrais essayer plus de choses. Parce que tu ne connais pas encore tes propres limites.

- Parce que tu connais les tiennes, peut-être ? dit-elle avec un sourire légèrement provocant.

Avec un rire surpris, il conclut :

- Je les sentais, et grâce à toi, je les repousse.


Les larmes en gouttes de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant