Chapitre 16

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Tsuchida rejoint le reste de la troupe d'amis pour le diner, encore fébrile et euphorique. Elle en tremble presque de trop pour couper sa viande, et se mure dans ses réflexions silencieuses.

- Alors ? demande Akashi soucieux.

Il n'a pas eu le temps de passer voir comment ça se passait et il s'en sent coupable. Il ne s'attendait néanmoins pas à la faire sursauter aussi violemment. Elle en lâche sa fourchette.

- Hein ? demande-t-elle perdue.

Elle a compris qu'on s'adressait à elle, mais n'a pas du tout entendu ce qu'on lui a demandé.

- Attends.

Elle perçoit distinctement la voix d'Aomine,qui se lève de sa chaise, pour la sortir de table, en la traînant par la main. Les autres le regardent faire, curieux, mais l'adolescent ne s'en préoccupe pas pour deux sous, et ma fait asseoir dans le couloir.

- Là, dit-il, reprends tes esprits, ne te presse pas.

Elle se redresse vivement en s'accrochant à sa chemise.

- C'est terrible, s'anime-t-elle, je n'ai jamais vu ça, c'est tellement fou ! Et les partitions...! Elles dansent les unes sur les autres. Et le son que ça donne me donne...

Elle ouvre la main pour s'expliquer sans trouver comment formuler son idée, et fixe longuement ses doigts. Il rit en glissant sa main dans la sienne et elle la serre en hochant la tête.

- Oui. Je me sens comme ça, dit-elle le regard perdu.

Il la sonde un moment, sans savoir quoi répondre. Elle se sent réconfortée ? Calme ? Accompagnée ?

- C'est ta chaleur. Il y a de ta chaleur dans la musique, et de la musique avec toi. Je ne peux pas... mieux expliquer que ça. C'est incroyable. Fantastique.

Elle tremble si fort qu'il se demande si c'est l'euphorie, les larmes qu'il ne voit pas monter, ou de l'épuisement. Et pourtant quand elle se redresse pour planter ses yeux dans les siens, il ne voit rien de tout ça. Il n'y a que de l'assurance.

- Je veux faire de la musique.

Il s'assoit devant elle.

- Tu n'en fais pas déjà ? demande-t-il intrigué.

Elle secoue la tête.

- Je veux créer de la musique. Faire quelque chose qui n'existe pas. Avec mes notes, avec mes doigts. De veux faire de la musique.

Il sourit doucement.

- Ça y est, tu es revenue parmi nous.

Tsuchida se penche en avant pour l'embrasser dans un sourire.

- Avec toi, je ne suis jamais bien loin.

Il glisse sa main derrière, sur sa colonne, et la fait monter sur ses cuisses, à califourchon. Il se penche vers elle quand elle recule.

- Si on ne s'arrête pas maintenant, ça va très vite être trop indécent pour être dans un couloir.

- Alors on va se trouver une chambre, propose-t-il en se penchant à nouveau.

Elle se laisse happer, et écrase ses lèvres contre les siennes. Elle se presse d'avantage contre lui, quand il les lève d'un bon tout à coup.

- Nan, t'as raison, ça ne se fait pas, en plus, ils doivent nous attendre.

La musicienne se mord la lèvre et lui donne un coup dans l'épaule. Il se retourne vers elle en fonçant les sourcils.

- Aïe.

- Tu ne peux pas dire ce qui t'arrange et rêveur en arrière dès que tu te rends compte que ce n'est pas raisonnable, ça ne se fait pas.

- Et c'est une raison pour être brutale ?

- Parce que ma frustration n'est pas brutale, peut être ?

Elle le plante là, furieuse, et il la regarde s'éloigner. Aomine sourit soudain, narquois et la rattrape comme il peut. Il l'attrape par la taille avant qu'elle n'ouvre la porte, lui murmure quelques mots à l'oreille, et pousse le battant, la laissant écarlate sur le pas de la porte.

Bonne joueuse, elle grommelle, avec un sourire en coin :

- Toi...

Elle se rassoit comme si de rien n'était, passant sa serviette sur ses genoux, et attrapant sa fourchette, la main encore tremblante, mais pas impotente pour autant. Cette fois, le couteau glisse sur la viande et la coupe d'un seul coup. Akashi la regarde faire un moment, avant de lui demander si elle va bien.

- Oui, désolée, j'étais encore un peu extatique. Les instruments sont de très bonne qualité, le groupe est soudé, et sait comment travailler ensemble. Ils sont bons, mais ont besoin d'encore un peu d'entraînement. Je pense que la partition n'est pas tout à fait adaptée à leur niveau, mais je n'en sais pas assez pour pouvoir la modifier. Il faudrait que je regarde ça de plus près, et que je lise un livre ou deux sur le sujet. Sinon, s'ils sont capables de jouer un morceau modifié sur le tas, ou à la dernière minute, ce sera parfait. A moins qu'ils ne puissent se passer de feuilles de composition, et dans ce cas, je dois étudier les notes, plus que les annotations. Enfin, de toute façon, il me faudra faire les deux à un moment donné.

Elle enfourne tranquillement son choux fleur dans sa bouche, et tourne la tête vers son interlocuteur. Nerveux, Akashi se mord la joue imperceptiblement, et met un temps à répondre. Il ne voit pas trop comment poser la question sans avoir l'air de ne pas avoir compris ce qu'elle vient de dire, mais elle prend les devants en raccourcissant :

- Je pense que ça va être un peu laborieux, mais le résultat sera bon. Quand arrive le chef d'orchestre ?

- Demain en début d'après-midi, soupire-t-il.

Elle pince les lèvres et réfléchit.

- C'est lui qui a proposé la partition. Il ne les connaissait pas. Il n'y a pas de chef d'orchestre pour le koto, normalement. Comment un chef d'orchestre peut-il proposer ou imposer un morceau à ses musiciens s'il ne les connait pas ? demande-t-elle, curieuse.

L'adolescent aux cheveux rouges la considère longuement, et le silence pèse peu à peu dans la pièce.

- Je ne sais pas du tout, dit-il finalement. Mais j'avoue que je n'ai jamais pensé à ça dans ce sens. Pourquoi ce ne serait pas aux musiciens de s'adapter à leur chef d'orchestre ? Après tout, n'est-il pas celui qui dirige ?

- Eh bien, pour diriger, ne faut-il pas savoir qui on dirige pour savoir comment le faire ? Pourquoi un groupe devrait-il s'adapter à une seule personne ? Surtout si cette personne est plus qualifiée qu'eux, pourquoi ne devrait-elle pas user de son savoir pour se mettre à leur niveau, et trouver le moyen de les élever ensuite ?

- Mais ça ne marche que si le chef d'orchestre est compétent, remarque Midorima en s'ajoutant à l'intellectuelle conversation.

Momoï se penche vers Aomine, murmurant, surprise :

- Mais de quoi elle parle ?

Il rit doucement, et regarde sa compagne s'animer.

- Elle parle de musique, c'est évident, non ?

Les larmes en gouttes de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant