Chapitre 43

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Iwabuchi s'assoit, essoufflée et regarde Tsuchida reprendre la chorégraphie encore une fois. Elle est certaine qu'avec encore un peu d'entraînement, sa camarade musicienne pourrait intégrer l'option danse, au semestre prochain. Sa progression est impeccable, même si elle manque de subtilité. C'est ce qui fait que Tsuchida ne pourra jamais être une grande danseuse. Bonne, oui, grande, non. Mais la jeune femme ne s'en inquiète pas : ce n'est pas ce que Tsuchida voulait, quand elle lui a demandé de lui donner quelques cours.

La musique se relance, et Iwabuchi éteint le poste.

- Je pense que c'est assez pour aujourd'hui. Tu vas te faire mal, si tu es trop fatiguée.

Tsuchida acquiesce en attrapant la bouteille d'eau. Elle ne pourra jamais se donner corps et âme à la danse comme le fait sa professeure de fortune. En saisir les nuances lui semble pourtant important. Et la fatigue physique, c'est de la bonne fatigue, pour elle. Trois fois par semaine depuis qu'elle est revenue de chez Aomine. De quoi la faire frissonner de sommeil.

- Tu veux manger chez moi ? demande la danseuse en rangeant ses affaires.

Il leur suffit d'une heure et demie pour conclure la journée, et Tsuchida hoche la tête encore une fois.

- Avec plaisir. Tu cuisine super bien.

Iwabuchi éclate de rire.

- Toi et la nourriture, alors ! Encore heureux, que je cuisine. Il faut que je mange bien, pour les cours de pratique.

La musicienne se tourne vers la fenêtre et l'autre étudiante la regarde faire. De ce qu'elle lui a dit, Tsuchida fait bien moins de pratique, pour ne pas dire, aucune, dans ses semaines chargées de théorie. Et le vieux violon qu'elle traine avec elle dans les salles de répétitions vides le midi ne fait que lui confirmer son manque.

- J'ai faim, c'est tout, dit-elle au bout d'un moment. Et je ne sais pas faire la cuisine. Ça ne m'intéresse pas vraiment.

- Et Aomine ? Tu ne veux pas savoir comment lui faire à manger ?

Tsuchida ricane en attrapant ses affaires, et elles se dirigent vers le vestiaire.

- C'est lui, qui fait à manger. Et crois-moi, c'est mieux, parce que c'est tellement mauvais quand c'est moi qui m'en occupe qu'il mange en secret juste après le repas, quand je vais prendre ma douche. A la longue, je commence à le connaître, ironise-t-elle.

- T'es sûre que tu n'en fais juste pas assez ? Je sais que je ne mange pas beaucoup, mais j'ai des gens dans ma classe qui bouffent comme quatre. Essaie d'en faire plus, pour voir. Dans tous les cas, c'est délicat de sa part, de ne pas vouloir te vexer.

- Tu dis ça parce que tu ne me connais pas comme lui. Je ne suis pas du genre à me vexer pour un point faible que je suis la première à me reconnaître. Il y a des limites à l'orgueil.

Elles se déshabillent en silence, et Iwabuchi ne reprend qu'une fois qu'elles sont sous l'eau :

- Je ne le voyais pas comme ça. Toi non-plus, d'ailleurs. Vous êtes différents de ce à quoi on s'attend, quand on vous voit. La manière dont vous parlez l'un de l'autre, ou même le comportement que vous avez tous les deux. Vous êtes plus doux et plus calmes dans ces moments-là. Le reste du temps, vous avez l'air ronchon, préoccupé, ou ennuyé.

- J'ai l'air ronchon ? Moi ? s'étonne-t-elle.

La danseuse sourit.

- Eh oui. T'en n'as pas l'impression, hein ? Mais moi. Tu fais vraiment même peur, parfois.

- Super nouvelle...

- C'est pour ça que je précise que vous avez l'air différent, quand vous êtes ensemble. C'est... c'est à cette occasion qu'on commence à vous cerner. D'ailleurs, poursuit-elle en fronçant les sourcils, c'est un secret ? Que vous sortez ensemble ? Je veux dire, quand on le sait, ça se voit, mais vous n'êtes jamais...

- Jamais quoi ?

Cette fois, Iwabuchi semble gênée, de l'autre côté de la paroi.

- Vous n'êtes pas très contacts physiques, si ?

Un blanc suit sa question, et Tsuchida éclate de rire à s'en tenir au mur. En fait, elle en rit à en avoir mal au ventre, penchée sous le jet d'eau chaude, les cheveux coulant le long de son visage. Rien que là, dans cette cabine, il lui manque. Et c'est d'autant plus risible qu'ils passent plus de temps à faire l'amour qu'à discuter quand ils sont dans une chambre. Quoi que maintenant qu'il vit tout seul, la localisation précise de leurs activités a tendance à varier.

- C'est difficile pour moi de... enfin... c'est... comment expliquer ça ? C'est difficile pour moi de rester dans la limite des relations physiques en public, quand je suis avec lui. Et il a su me prouver qu'il était dans le même cas. Et comme je ne suis de toute façon pas très à l'aise à l'idée de...

Elle est interrompue par le rire de sa voisine, et tourne à la tomate en rallumant le jet d'eau.

- Tu voulais savoir, je te l'ai dit. D'accord ?

- Je n'aurais jamais imaginé un truc pareil !

- T'as quand même l'air bien moins gênée, tout à coup... marmonne-t-elle en se savonnant les cheveux.

Elles terminent leur douche tranquillement, et c'est en en sortant qu'Iwabuchi demande, téléphone en main :

- On sera trois, ce soir, finalement. Une amie à moi demande si elle peut venir, ça te dérange ?

- Pas du tout, répond Tsuchida en frictionnant ses longueurs noires. C'est qui ?

- Tu ne la connais pas. Je te la présenterais.

La musicienne roule sa serviette et la fourre dans son sac.

- Tu veux inviter une amie à toi ? Il me semble que la fille aux cheveux roses, l'ancienne manajeuse de l'équipe de basket fait ses études pas loin.

- Momoï ?

- Tu te sentirais peut-être plus à l'aise, et ça ne me dérange pas, j'aime avoir du monde.

Tsuchida réfléchit. A deux, c'est décidément un repas tranquille en milieu de semaine. A quatre, ça commence à devenir "une soirée filles", et elle n'est pas sûre que ce soit une bonne idée. Elle venait danser pour mieux dormir, au départ.

D'un autre côté, si elle pouvait en profiter pour voir Momoï...

- Je l'appelle pour lui demander.

Les larmes en gouttes de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant