Chapitre 18

140 12 51
                                    

Les mains refermées sur les plis de sa jupe, Tsuchida s'éloigne de la fête quelques minutes. Il y a du monde, les adultes sont d'un bruyant monstre, et les garçons sont coincés dans une discussion sur le basket dont personne ne saurait les défaire, avec un ancien joueur visiblement sénile, les premières NBA.

Mais elle ne le plaindra pas. A l'âge qu'il semble avoir... Elle entre dans l'une des pièces de referme la porte. Loin de se douter que la représentation de koto qui a ouvert l'anniversaire serait finalement aussi rapide que la suite serait longue, Tsuchida s'en veut un peu d'y avoir passé autant de temps, et d'énergie, alors qu'elle aurait pu tout simplement profiter des autres.

La personne assise derrière le piano sursaute en l'entendant arriver, et elle le détaille longuement, avant de s'avancer vers la fenêtre, indifférente.

- Ne vous dérangez pas pour moi, dit-elle en ouvrant le battant.

Elle soupire de soulagement en sentant l'air frais fondre sur son visage, et le son du tabouret raclant brusquement le sol la fait sursauter. Tsuchida se retourne, surprise, les mains encore sur la balustrade.

- Qu'est ce que vous faites ? demande le jeune homme inquiet.

Elle l'observe attentivement, avant de rire :

- Je prends l'air. Mon groupe a été pris par surprise dans une embuscade. Qu'est ce que vous croyez que je faisais ?

Il déglutit.

- Vous aviez l'air morne, alors j'ai cru...

- Sauter du premier étage serait une idée stupide, pour mourir. Je veux dire, c'est assez haut pour se faire mal, mais aussi pour finir dans un fauteuil roulant toute sa vie.

Gêné, il détourne les yeux. Il est jeune, remarque-t-elle. Pas assez pour être un véritable adulte, mais trop pour avoir le même âge qu'elle. Alors, les mains dans le dos, elle demande :

- Mais je ne suis pas la seule à me sauver, n'est-ce pas ?

Il se tortille les mains, mal à l'aise.

- J'ai le trac.

Il a les cheveux en bataille, et ses mèches blondes foncées se sont emmêlées. Elle ne le reconnait pas. il ne doit pas être un ami proche, ou alors, il est venu accompagner quelqu'un. Ou Akashi aurait mis un point d'honneur à le présenter à eux. A moins qu'il n'ait pas eu le temps de le faire, ou que l'individu à peine plus grand qu'elle ne se soit déjà sauvé.

- Le trac ?

- Je... devais offrir un solo, pour l'anniversaire. Mais je n'arrive pas à le jouer. Et je n'arrive pas à l'écrire non plus.

- C'est ambitieux.

- Vous trouvez ? s'inquiète-t-il.

- Je n'ai pas dit que c'était une mauvaise idée, reprend-elle pour calmer le jeu. Mais vous avez déjà joué devant autant de monde ?

- Pas encore, soupire-t-il en se rasseyant au piano. Je... je n'ai pas beaucoup d'expérience. Mais je suis en train d'apprendre. Mon niveau doit être bon, je suis à Orugouru depuis avril.

Elle ne peut retenir le franc sourire qui lui tire le visage en deux.

- Oh, mais alors, on va sûrement s'y croiser ! Je commence dans deux ans.

C'est à son tour de la dévisager.

- Vous... avez quel âge ? demande-t-il curieux.

- Dix-sept ans. Dix-huit en février. Pourquoi ?

- Vous êtes déjà inscrite ?

- Pour les auto-inscriptions, oui. Je ne suis pas dans une grande école et je ne connais pas de grand musicien pour me parrainer, alors...

Il baisse la tête. Ceux qui sont « parrainés », comme elle dit, ont leur candidature près d'un an plus tard à passer que les « auto-inscrits ». D'abord parce que leur talent est reconnu, mais aussi pour être sûr que les autres ont le niveau, puisqu'ils sont plus jeunes d'un an. En résumé, la fille devant lui a réussi à se faire inscrire avec son niveau à lui, mais un an plus jeune.

- Ce doit être un monstre.

Il frissonne.

- Je m'appelle Arata.

- Tsuchida. Enchantée, dit-elle en s'inclinant légèrement.

- On a le même âge, alors on pourrait se parler... formellement, non ? propose-t-il gêné.

Elle acquiesce.

- Besoin d'aide ? Pour te préparer, ajoute-t-elle devant son incompréhension.

- Oh, euh, pourquoi pas...

Elle fait un pas de plus quand la porte s'ouvre sur Aomine. Elle lui fait un sourire doux, étirant encore une fois ses lèvres rougies de maquillage, et il s'approche d'elle, avant de remarquer l'autre personnage. Il hausse un sourcil intrigué, et pose sa main sur sa taille.

- Tout va bien ? demande l'immense basketteur.

Elle acquiesce.

- Oui. Devine quoi, Arata fait partie d'Orugouru.

Le regard bleu sombre passe de sa copine au pianiste, et il se détend un peu.

- Rien que ça. Tu vas avoir quelques tuyaux, alors, sourit-il.

Elle ouvre de grands yeux ravis, et il se rend compte qu'elle n'y avait même pas pensé. Mais sa bonne humeur mise à part, elle semble aller bien, et les cernes qu'elle avait encore en entrant dans la salle de réception semblent s'atténuer encore.

- Ne te fatigue pas trop, réclame-t-il en l'embrassant sur le front. Je vous laisse tranquilles. Mais pensez aussi à sortir de temps en temps.

Elle prend la remarque pour elle quand Arata le prend comme une menace, et la porte se referme.

- Il est grand, soupire-t-il.

Tsuchida éclate de rire à nouveau :

- Pas vrai ? Et c'est un ours, un grand ronchon. Montre-moi ce que ça donne, je vais t'aider à le retranscrire, dit-elle en sortant de quoi griffonner de son sac à main.

D'un regard d'abord nerveux vers la porte, il finit par forcer une détente, et amorce sa composition. Ce n'est pas un grand travail, mais c'est un morceau original sur lequel il a travaillé plus d'un mois. Il a le mérite de pouvoir le présenter à quelqu'un, après des heures de recherche et de travail. Et récompensé par l'attitude posée de son interlocutrice, Arata joue six minutes d'affilés le cœur léger.

Il s'arrête enfin, les doigts encore sur le piano, et lui demande, relevant la tête vers elle :

- Alors ?

- C'est vraiment très bien, dit-elle en hochant la tête.

Elle écrit encore les notes qu'elle a entendues, tâchant de toutes les remettre à leur place, à demi-couchée sur l'instrument noir, les jambes croisées, et les coudes rafraichis par le bois vernis.

- Tu crois que tu pourras me la rejouer ?

- Ah, euh, oui. Bien sûr.

Il rive à nouveau les yeux sur ses mains, et touche après touche, le morceau reprend.

Les larmes en gouttes de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant