Chapitre 44

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Assises sagement autour de la table, les quatre étudiantes mangent en silence. Momoï a répondu avec enthousiasme à la proposition, tout en se demandant maintenant si elle n'est pas la source de l'inconfort actuel. Après tout, elle est la seule à ne pas être dans la même école, et elle ne connait que Tsuchida, et Iwabuchi de vue.

Elle se racle finalement la gorge :

- C'est super bon, ce que tu as fait.

- Merci, répond naturellement leur hôte avec un sourire crispé. Tu cuisine ? lui demande-t-elle en retour.

La musicienne manque de s'étouffer et son amie lui jette le pied dans la jambe. Elle en sursaute à peine, mais avale son verre entier en toussant.

- Tout va bien ? lui demande Iwabuchi en se penchant légèrement en avant.

- Oui, dit-elle en se raclant la gorge. Ça va. Je ne m'attendais pas à ça, c'est tout. Désolée. Oui, Momoï cuisine, poursuit-elle plus calmement.

- Sympa ! s'exclame l'amie de la danseuse. Je ne suis pas douée en cuisine, perso, je passe ma vie à la supérette pour acheter de quoi manger, mais en plats tous prêts. J'essaierais peut-être de m'y mettre plus sérieusement après les études. Ou quand j'aurais assez d'argent pour ne pas avoir à m'en soucier !

Tsuchida réfléchit à ce qu'elle vient de dire sans un mot, les yeux fixés à son assiette.

- Tu cuisines aussi ? lui demande-t-elle.

La musicienne répond sans relever la tête :

- Des boulettes et du riz. Je n'ai pas pensé à apprendre autre chose.

- Pourquoi ça, spécifiquement ?

Cette fois-ci, elle regarde Iwabuchi, qui lui a posé la question.

- Parce qu'en fin de journée, c'est facile à préparer et que les boulettes de dinde sont riches en protéines, et le riz permet de réduire les matières grasses dans le corps. L'association des deux permet d'améliorer l'endurance pendant un effort.

La danseuse vire au rouge nappe qu'il y a sous leurs assiettes, et elle ajoute les écarlates :

- Je ne parlais pas de ça !

- Je ne te pensais pas comme ça, Tsuchida, tu brises un mythe, là...

- Il fait du basket ! C'est normal que je me sois renseignée sur le premier plat à cuisiner pour lui ! Si tu savais les cours de massage qu'il a pris en ligne pour apprendre à me débloquer la nuque...

En essayant de se frayer une place dans la conversation, l'étudiante aux cheveux roses dit doucement :

- Oh, alors c'est pour toi qu'il a appris ? Il a essayé sur moi plusieurs fois, je ne comprenais pas pourquoi il s'agaçait de ne pas réussir...

- Tu sors avec quelqu'un ? s'étonne la quatrième.

Leur attention se tourne vers elle. L'amie d'Iwabuchi, si on peut considérer qu'elles sont amies depuis deux semaines au grand maximum, les dévisage toutes les trois, comme si elles étaient au centre d'un complot terrible. C'est une jeune femme aux cheveux courts, en carré plongeant, les mèches violettes, mais les racines noires, plus petite que Tsuchida. Mais si elles devaient statuer sur ça, elles diraient sans mal que c'est difficile de faire la même taille que Tsuchida de toute façon.

- Oui. Pourquoi ? demande-t-elle.

Elle n'a pas l'air ennuyée le moins du monde à répondre :

- Oh, eh bien, parce que les garçons de la classe de danse disent que tu ne devais pas avoir de copain, à travailler autant. Ça va briser des rêves, tu sais ?

La musicienne renifle un rire.

- Tant pis pour eux, je ne compte pas faire le tour de l'école pour l'annoncer. Ma vie ne regarde que moi.

- C'est qui... ?

Amusée à l'idée d'avoir une conversation normale avec quelqu'un d'autre, l'étudiante gigantesque se prête au jeu, et l'ambiance s'allège encore un peu :

- Il s'appelle Aomine. Aomine Daiki.

- Et quand elle l'appelle comme ça, c'est qu'il va se faire tirer les oreilles ! rit Iwabuchi.

Momoï hoche la tête avec un sourire, et Tsuchida poursuit :

- Il fait des études de basket, à Kanshou.

- C'est pas tout près, commente-t-elle. Vous faites comment pour vous voir ?

- Je prends le train. Il a un appartement, et pour le moment, je suis encore dans une chambre, donc c'est le plus pratique.

- Vous vous êtes rencontrés comment ?

Elle a posé son menton dans sa main, la fourchette à demi en l'air, attendant ce qui pourrait bien être le potin le plus croustillant qu'elle ait à présenter le lendemain en classe.

- On s'est rencontrés sur un toit, raconte Tsuchida. Je voulais être tranquille, et lui aussi. J'étais en train de composer. Il s'est juste allongé plus loin, et ça a commencé comme ça.

Les deux autres filles qui n'avaient jamais entendu leur histoire écoutent elles aussi avec attention, et sous leurs yeux, Tsuchida dévoile un talent de conteuse qu'elles ne lui connaissaient pas encore :

- Plusieurs jours plus tard, il s'est mis à regarder ce que je faisais. Je n'avais pas vraiment l'habitude, alors avec mon caractère aimable, je l'ai naturellement envoyé bouler un certain nombre de fois, mais on a finit par discuter pour de vrai. Il a un sale caractère aussi, et il est très sûr de lui. Mais pas prétentieux. Et ça m'a assez intriguée. On a parlé musique et basket pendant des heures, dit-elle en bougeant les mains. Et c'était incroyable, parce qu'il pouvait m'écouter des heures, et je pouvais faire pareil, c'était juste... j'ai adoré rencontrer une personne qui pouvait comprendre ce que j'entendais par « passion » pour quelque chose.

Elle se tait un moment.

- C'est comme si notre univers complet prenait son sens. Tout se met en place. On n'est pas fou, ou alors, on l'est à deux, et le talent comme la passion prennent une nouvelle dimension. Ce n'est plus un monde isolé, il fait partie d'un tout. Et à partir de là, on a commencé à se rapprocher encore. Il m'a aidée à développer mon envie de faire de la musique. J'ai adoré tout ce qu'il a fait pour moi. Même si ce n'est pas grand-chose. C'est la seule personne que j'ai jamais rencontrée qui ne m'ait pas imposé de limites, ou qui ait essayé de me faire revenir à ma vie. Je ne suis jamais coupée dans mon élan, ou dans mon inspiration. Il sait ce que ça veut dire, d'aimer au point de ne respirer que lorsqu'on fait de la musique. Il ressent la même chose pour le basket. Ça donne à note relation une intercompréhension inimaginable.

Les larmes en gouttes de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant