Chapitre 65

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La présence de Kise chez elle prouve à Tsuchida que ce qui manquait réellement à Aomine et qu'il avait retrouvé dans sa musique, c'était ce sentiment de familiarité, de bien-être d'être avec des gens qu'on connait par cœur, qui nous soutiennent, qui rient avec nous. Et c'était quelque chose qui devait suffisamment lui manquer pour qu'il se perde dans son propre jeu de basket. Elle garde cette pensée tout au long de l'après-midi, écoutant ce que qui a à dire, tout en entendant en sourdine la musique de la radio qu'elle a allumée pendant le déjeuner.

Elle les fait tous sursauter quand soudain, elle se lève de la table qu'ils n'ont pas quitté depuis quatre bonnes heures, renversant une bouteille d'eau vide dans une assiette et la chaise sur le sol :

- Elle est à moi, c'est moi qui l'ai composée ! crie-t-elle en mettant le son affreusement trop fort.

Tsuchida va jusqu'à s'asseoir devant la console pour mieux percevoir toute une sorte de choses dont les autres ne connaissent pas l'existence, reconnaissant tout de même la bonne qualité du morceau.

Elle leur expliquera après qu'elle n'est réglée que sur le canal de trois chaines de ville ou petite agglomération, les plus susceptibles de passer des morceaux qu'elle a vendu, et le plaisir palpable qu'elle sort de ces écoutes les plonge dans un nouvel état de passion comme elle s'était calmée une demi-heure plus tôt.

Pour le moment, en tout cas, l'étudiante bouge la tête et les épaules en rythme d'une musique populaire, levant de temps à autre les bras, et chantant les refrains à tue-tête. La normalité de ces comportements fait sourire les jeunes encore installés à table. Ça y est, Tsuchida se fond de plus en plus dans le décor.

Et quand le morceau s'achève, loin de l'euphorie, c'est pourtant une profonde mélancolie qui la secoue. Elle reste une minute fixée sur le poste, avant de se relever, se raclant la gorge d'embarra, mais focalisée sur autre chose lorsqu'elle dit doucement :

- Désolée, je ne l'avais pas encore entendue passer. C'est pour ça...

Aomine rit de bon cœur à mi-voix :

- Habitue-toi, tu risque de t'entendre souvent.

Momoï lui fait signe qu'elle l'applaudit, et Kise s'exclame :

- Tu es bien la seule personne que je connaisse qui passe à la radio !

Tsuchida secoue la tête. Le morceau ne repassera que plusieurs fois, avant que l'onde ne décide de sa mise en écoute. La question n'est pas de savoir si ça leur plait à eux, mais à combien d'autres personnes ça a plu.

La sonnerie de son téléphone la réveille un peu, même si elle reste sommairement perdue dans ses pensées. C'est le bassiste du groupe en question qui l'appelle. La musicienne ne décroche qu'une fois qu'elle s'est demandée ce qu'il pouvait bien lui vouloir, sous le regard curieux de ses invités.

- Oui, Tsuchida, j'écoute ?

- Tsuchida ! Je suis désolé de te prévenir aussi tard, le morceau vient de finir, mais on est passés à la radio ! La programmation devait être pour la semaine prochaine, sauf que lorsque Goda y a été hier, pour donner le disque, apparemment, il a rapidement fait le tour du studio, et tout le monde aurait tanné Matsuda pour qu'il le passe aujourd'hui ! Tu te rends comptes ? Le critique de l'onde musicale a présenté notre chanson en disant que c'était la meilleure qu'on lui avait fait écouter de la semaine ! Et on est samedi !

Elle acquiesce à chacune de ses phrases, incapable d'en placer une. Mais à la seconde où il laisse un blanc, elle répond tout de suite :

- Oui, j'ai pu l'entendre. Ma radio était allumée.

- Oh ! Mais c'est carrément génial ! Dis, avec le groupe on va boire un verre pour fêter ça, ce soir, ça te tente de te joindre à nous ?

Elle aurait envie de lui répondre « Pourquoi attendre ce soir ? », mais ça pourrait commencer par perturber les trois étudiants derrière elle, et elle ne sait pas combien de temps elle va les avoir avec elle. Et... « Petites vacances tous les deux ? », elle avait déjà invité Momoï et Kise pour le déjeuner, et possiblement le diner.

- Non, je suis désolée, ce ne sera pas pour ce soir, j'ai d'autres plans, désolée, dit-elle à la place.

- Oh, sérieux ? Pour ton premier passage à la radio ?

- Oui, il y aura, je l'espère, d'autres premières fois, répond-elle avec un sourire.

Aomine lui fait signe pour lui demander ce qu'elle est en train de refuser. Elle lui explique sans mots rapidement qu'elle est invitée à une soirée, et que ce n'est rien de bien important.

- Bon, d'accord. On se revoit dans la semaine pour se reboire un verre, alors ?

Elle acquiesce.

- Parfait, concertez-vous, et dites moi quand.

- Pas de soucis, on fait ça. Au bar habituel ?

Elle hoche la tête une seconde fois :

- Oui, ça me va.

- Je t'envoie ça rapidement alors ! Bonne aprèm, l'artiste !

- Bonne soirée à vous, et félicitations.

- Merci, à toi aussi bye !

Elle raccroche et repose le téléphone. C'est une première depuis quelques semaines : elle n'a pas la moindre envie de sortir boire ce soir. Et elle sent que l'envie ne la prendra pas plus le lendemain.

- Parce que Daiki est à la maison, réalise-t-elle.

Décidément, c'est la journée des premières fois.

Elle leur dit expéditivement que l'un des membres du groupe l'a appelée pour la prévenir que leur musique était passée, mais qu'elle préfère profiter de leur présence à eux que de celles des musiciens qu'elle juge plus faciles à rencontrer.

- Ils ont quand même plus disponibles. Et puis, on ne sait toujours pas à quelle heure vous partez, donc... poursuit-elle en se rasseyant.

Son malaise n'est pas encore tout à fait parti, et prend une tournure particulière. La seule chose qu'elle semble pourtant remarquer, c'est le sourire grandissant du basketteur aux cheveux foncés installé en face d'elle.

Kise comprend avec gêne qu'elle n'inclue pas Aomine dans « ceux qui partent », tout en se sentant réconforté par la familiarité et l'habitude que le couple a l'un envers l'autre. Les petites attentions et les regards de tendresse rendent l'atmosphère légère, et agréable.

- Ils ont sûrement déjà l'habitude de vivre ensemble, en quelque sorte. C'est dingue...

Tsuchida se raidit un peu soudainement, une sueur froide lui coulant dans le dos : son malaise vient de lui échapper totalement, et elle en a cerné l'origine aussi facilement que si elle lui était écrite devant le visage :

- Je viens de faire passer Daiki avant la musique.

Et elle n'avait jamais fait une chose pareille de sa vie.


Les larmes en gouttes de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant