Les larmes en gouttes de pluie

Chapitre 23

Le temps doit rendre le professeur Oka aigri. C'est une affirmation qui passe de cerveau en cerveau quand il change totalement le sujet de la classe qu'il a l'après midi même. Manque de chance inouïe, le sujet n'autorise pas le baratin, et la réflexion doit sembler plus vraie que nature.

A cet instant où les premières années maudissant ce changement, la cause même se lève dans le gymnase pour applaudir bruyamment les joueurs. Assise à côté de Seirin dans les gradins, elle regarde la remontée difficile de Tôô face à Rakuzan, pour le dernier match de la Winter Cup. Le dernier grand tournoi officiel auquel les uns et les autres membres de la Génération Miracle ne participeront plus.

La crise de nostalgie de Tsuchida passée, celle d'Aomine avait bien mis six mois à poindre, avant que tout ne s'efface avec ironie. Leur année de terminale est bien trop remplie pour leur laisser le loisir de se plaindre. Les examens et matchs s'enchaînent et le temps semble s'écouler plus vite qu'il ne le devrait.

L'adolescente l'a senti aussi. Elle a monté le rythme de son club à un point difficilement rattrapable, et alors qu'elle avait ce concours Grand ce matin, auquel la troupe a raflé la troisième place, elle a passé une heure dans le train pour arriver à ce match à l'heure.

Le concours Orchestral à tour bonnement été mis de côté cette année au profit de concours aux prix budgétaires, leur faisant économiser assez pour deux concours extérieurs payants. Le genre d'endroit où on ne retrouve pas les petits clubs de lycée, mais les orchestres montés par des professionnels, dirigés par des professionnels, et subventionnés par des professionnels. La bande d'amateur grandissante à pourtant gagné l'un des prix. Avec des musiciens aussi normaux et jeunes, c'était leur maximum.

Quand Tsuchida a monté son club, il a majoritairement été rejoint par des secondes, qui ne connaissaient pas encore les frères et soeurs Kiyokawa, ce qui lui a permis de garder majoritairement le même groupe, jusqu'à l'arrivée de nouveaux élèves après le départ d'Akustu. Maintenant, elle sait que le club restera, et avec plus de deux musiciens.

Une passe est faite en bas, et l'un des dossards blanc et bleu ciel marque. Elle serre la mâchoire et les poings. Mais le ballon repasse dans l'autre sens et elle ferme les yeux, épuisée. Après plusieurs heures de concours, puis une bonne heure de marche, elle n'aurait jamais cru qu'elle était à ce point lasse de sa journée.

- Tout va bien ? s'inquiète Kagami en se penchant vers elle.

Un verre apparait brusquement devant elle et elle ne prend pas la peine de sursauter, remerciant Kuroko d'un marmonnement vague. Il hoche la tête, et la mi-temps est sonnée. Ils se rassoient après avoir arpenté sur quelques pas la balustrade en se chamaillant, et elle remarque que la fin de l'année se sent. Seirin a perdu contre Kaijo, qui a perdu contre Tôô.

- Vous savez quand vous allez vous refaire une après-midi ensemble ? demande-t-elle soudain.

- Sûrement pour mon anniversaire, répond le plus petit avec un léger sourire. C'est maintenant qu'il faut en profiter. On va moins se voir, après.

- Moins que moins de deux fois par an ? ironise Kagami. J'aimerais être du voyage, si tout le monde est d'accord. J'aimerais en profiter avec tout le monde.

- Et pourquoi pas la semaine prochaine ? demande Kise en s'incrustant dans le groupe. Je suis arrivé en retard, Aominecchi a morflé, on dirait.

Le regard de Tsuchida se perd en bas.

- Il va tomber malade, s'il ne se sèche pas les cheveux, dit-elle sérieusement.

Le petit groupe s'arrête, pour regarder l'imposante silhouette qu'ils surplombent. Aucun d'entre eux ne sait quoi répondre à ça, mais elle n'a pas l'air d'attendre de réponse, et cherche Momoï des yeux. Quand elle la trouve, elle réfléchit à un moyen d'attirer son attention, et finalement, les doigts dans la bouche, elle siffle.

L'adolescente cherche le bruit dans la foule en fronçant les sourcils, avant de croiser la silhouette sombre qui lui fait un grand signe de la main. Elle lui sourit, s'agite, et comprend rapidement le message, puisqu'elle lance une serviette sur la tête de son meilleur ami, avant que les garçons ne retournent au vestiaire pour les minutes de pause accordés.

Les yeux sombres d'Aomine se lève vers elle, elle Tsuchida ne peut réprimer un léger rictus, en réponse à la provocation qu'il lui adresse silencieusement.

- Je ne sais pas si on te l'a déjà dit, commence le mannequin doucement, mais tu es un sacré phénomène.

- Je ne peux quand même pas le ramener à sa mère avec un rhume. Si quelqu'un doit être malade chez les Aomine, c'est moi.

Elle tourne les talons, cherche des yeux une fontaine à eau pour remplir le verre qu'elle a légèrement aplati, et le rempli, pour l'avaler sèchement. Un faible vertige l'habite depuis plusieurs minutes, mais elle n'arrive pas à déterminer si c'est à cause de la fatigue, ou parce qu'elle n'a pas eu le temps de manger, le midi. Un mélange des deux, statue-t-elle quand le vide de son estomac semble se contenter momentanément de l'eau qu'elle y a ajouté. Elle pourra prendre un paquet de chips au distributeur à la fin du match, et manger pour deux en rentrant.

Le match reprend, et elle croise les doigts, littéralement, en retournant à sa place. Elle sait que c'est égoïste de le penser, mais terminer victorieux à la Winter Cup après avoir été jusqu'au bout de l'Interlycée, ce serait une façon de finir en beauté l'année. Leur dernière année. L'année où ils ont tout fait ensemble.

Le temps défile, les paniers se font discrets, l'écart se resserre, la tension monte encore un peu. Mais elle écrit encore quelques note sur le papier froissé qu'elle a abadonné en début de match. Celui sur lequel elle a gratté quelques notes en pattés, attachés par les bavures invisibles du crayon de papier.

La mine brusquement suspendue au dessus de la feuille, elle fixe ses yeux sur ce ballon qu'elle entend rebondir dans sa poitrine, le bras qui se tend, le lâche, la sueur qui brille autour de la sphère en mouvement, et elle ferme les yeux.

Tap. Flop.

Tôô a gagné.