Chapitre 71

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Le trajet est tellement long qu'elle sent à peine sa mâchoire à force de la serrer, quand le train s'arrête. Aomine l'embrasse sur la tempe en lui disant de rester là, et il se lève comme un diable pour sortir les quatre valises qu'elle a remplies de toutes ses affaires et livres de la voiture. De l'autre côté de la fenêtre du train, elle peut voir sur le quai quelqu'un attraper les bagages au vol, et le basketteur revient rapidement pour l'aider à prendre son sac de cours, et sa veste, lui permettant de se lever elle-même.

Ils ont à peine mis les pieds dehors que l'un des cheminots siffle le départ imminent, mais elle soupire et les portes se referment derrière eux. La présence haute d'Obata lui fait lever la tête lentement, et l'expression qu'elle lui voit afficher lui fait baisser immédiatement.

- Bonjour, dit-elle tout de même. Merci pour le coup de main.

- Mais ma belle, c'est normal, réplique Awa en resserrant les pans de son manteau autour d'elle. Regarde-toi... Venez, on y va, y a trop de monde, ici, termine-t-elle en avisant les regards autour d'elle.

Elle attrape une valise et se dirige vers la sortie, tandis que les deux garçons encadrent la musicienne, pour lui éviter de se prendre quelqu'un, dans le chaos du trajet. Tsuchida ne s'en plaint pas. Elle ne dit rien tant qu'ils ne sont pas arrivés à l'appartement. Mais il faut monter les marches, et le petit espace pour se faire ne l'encourage pas. Les valises sont montées en premier, et Aomine redescend les marches en sautant.

- Je viens de me rappeler que le lit n'est pas très grand, dit-il gêné. Je veux dire, moins que ton presque-trois-places...

Elle amorce un haussement d'épaules qu'elle stoppe en cours de route.

- Si besoin, je dormirais sur le canapé.

Il pince les lèvres, et détourne les yeux, se plaçant derrière elle pour l'aider à monter, son bras droit tendu en béquille à côté de sa hanche à elle.

- Tu ne dormiras pas sur le canapé, dit-il fermement plusieurs marches plus tard.

- Daiki... soupire-t-elle en s'arrêtant.

Il l'imite pour ne pas lui rentrer dedans, et elle reprend son ascension en l'absence de réponse.

La porte n'est plus très loin, et l'autre couple les attend à l'intérieur, près de l'entrée. Sans doute parce qu'ils ne savent pas que leur ombre est projetée sur le sort du couloir, et qu'ils espèrent être discrets.

- Ne leur en veux pas, murmure-t-il.

- C'est pas mon genre, râle-t-elle en retour, arrivant sur le pallier.

Elle s'avance et il l'interpelle :

- Koike ?

- Oui ?

Elle ne se retourne pas, plus pour s'économiser que par volonté réelle, et le présentant, il la contourne pour se placer devant elle.

- Je... je voulais faire un truc spécial pour l'occasion, alors... j'espère que ça te plaira quand même, parce que j'avais pas prévu de te ramener ici dans ces conditions là... lui explique-t-il nerveux.

Elle dévisage Aomine un moment, fatiguée par le voyage au point d'avoir du mal à le suivre. Une fois que l'information a fait son chemin, elle lui sourit, amère :

- Je comprends. Ne t'en fais pas.

Il souffle pour se donner un peu de courage, et l'accompagne jusqu'à la porte. Les deux autres étudiants se sont éclipsés dans le salon mais n'ont pas pris leurs aises comme elle le pensait parce que... le centre de la pièce est vide. L'endroit où le canapé avait vu passer toutes leurs paresses est vide.

- Qu'est ce que...

Elle se tourne pour regarder son compagnon et avise soudainement la silhouette noire et rectangulaire plaquée contre le mur. Un meuble qui n'était pas là la dernière fois. Elle lâche la main d'Aomine, pour s'avancer vers l'instrument : un piano droit dont le bois a très mal vécu le propriétaire précédent. Plusieurs planches ont commencé à se creuser, cintrer, ont été dévorées par des petites bêtes en tout genre, mais le plus important à ses yeux, est la fleur de cerisier qui est gravée et peinte sur le couvercle du clavier. Un couverte gondolé par l'humidité, mais encore bien solide.

Il n'y a pas de doutes pour elle, le bois est encore froid, un sèche-cheveux est branché derrière et posé à côté, sur la table de la cuisine. Aomine a peut-être sauvé la vie d'un instrument qu'on ne produit plus depuis une dizaine d'années, d'une marque disparue, mais vraiment très réputée.

- C'est pas vrai, souffle-t-elle. C'est pas vrai !

Elle se retourne si vivement vers lui qu'elle manque de tombe, geint de douleur, mais que l'ayant vu venir, le basketteur l'a rattrapée au vol.

- Il te plait ? Il est vieux et un peu moche, mais...

- Il est magnifique ! Mais où est-ce-que tu as trouvé un trésor pareil ?

Il la regarde une minute. Sous les taches violacées de son visage, il la retrouve. Sa Koike.

- Le petit magasin, où on a acheté les meubles. Il n'arrivait pas à le vendre.

- Et tu as vendu ton canapé ? demande-t-elle en se sentant un peu coupable.

- Je l'ai échangé contre une partie du prix, ouais.

Elle secoue la tête et serre ses bras autour de lui, se collant le plus fort qu'elle le peut sans se faire mal.

- Bon sang, ça a du te couter une fortune.

- Un piano dans cet état ? s'étonne Obata. Mais t'as fait comment pour le payer, t'as pas un rond !

Awa, Bulle dans toute sa splendeur, lui donne un coup dans l'épaule. Il grogne, mais Aomine répond pour Tsuchida :

- J'ai accepté de faire des tests pour une marque de basket. Ça m'a permis de payer le reste.

Elle secoue la tête, émue.

- Je n'aurais jamais pu me payer un instrument pareil, tu es génial.

- Tu ne vas pas en avoir pour trop cher, de le retaper ?

- Non, rit-elle. C'est l'avantage d'avoir travaillé dans une lutherie, je me débrouille, avec les instruments à corde. Merci beaucoup.

Elle lui fait signe de se pencher vers elle pour l'embrasser, et seul Obata reste perplexe, ses immenses bras croisés :

- Mais si elle est plus riche que lui, combien coûte son épave, exactement ?!


Les larmes en gouttes de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant