Chapitre 72

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Les mains dans les poches, Awa regarde la rue autour d'elle, en attendant que son énorme camarade de couche sorte de la double-porte étriquée de l'immeuble. Elle a été effarée de revoir la discrète mais très aimable musicienne dans un état pareil. Et le fait est qu'elle ne s'attendait pas à la voir aussi digne, ni aussi vivante. Un accident pareil l'aurait secouée au point qu'elle ne sorte plus de chez elle des semaines, à sa place.

- On y va ?

Elle se tourne vers Obata, et le regarde une seconde avant de lui lancer un sourire à faire fondre les neiges d'un hiver glacial :

- Bien sûr !

Obata et l'étudiante en architecture ne sortent pas ensemble. Ils s'étaient mis d'accord sur le sujet, et le sont toujours : ils s'entendent bien, couchent ensemble, mais n'ont pas de temps à mettre dans une relation plus poussée. Regarder Aomine et Tsuchida dans leur moment de tendresse lui a rappelé à quel point elle pouvait se sentir seule elle-même. Non pas qu'elle ne puisse pas compter sur son compagnon de route. C'est juste que... ce ne sont devenus que de très bons amis. Et les études passent avant tout.

Peut-être devrait-elle demander au jeune couple qu'ils viennent de quitter comment ils font pour rester ensemble, avec toute cette distance, cette pression, ce temps qu'ils ne peuvent pas passer ensemble. Et pourtant, ces quelques heures au cours desquelles ils semblent se retrouver comme s'ils étaient les seuls êtres de leur univers.

- Bulle ?

Elle lance un regard en biais à celui qui l'interpelle.

- Je t'écoute.

- Tu vas bien ?

- Oui. Ça m'a juste... retourné un peu, de la voir comme ça. Il ne t'a pas dit ce qu'il s'était passé ?

- Non, soupire-t-il en secouant la tête. Il n'a pas voulut. Il m'a dit que ça ne me regardait pas, et qu'il n'avait pas à parler de la vie de sa copine à la planète entière.

Awa rit doucement.

- Vu la façon dont elle nous a regardés en partant, je crois que Tsu-chan n'aurait pas apprécié qu'on demande. Elle avait l'air soulagée qu'on ne le fasse pas. C'est une fille courageuse. Je n'aurais pas...

L'étudiante frissonne en repensant aux quelques fois où elle avait été persuadée que les choses allaient mal tourner pour elle, les gens qui la suivaient dans la rue quand elle rentrait de soirée, ceux qui étaient trop insistants pour un numéro de téléphone... Si ça n'avait été qu'une broutille, ils leur auraient expliqué.

- Elle a l'air solide, ouais. C'est pas habituel de voir Aomine aussi solide, d'un autre côté. Je veux dire, il a pas cette tête-là, d'habitude.

- Sa copine n'est pas couverte de bleus, d'habitude, réplique-t-elle tranquillement.

Il s'arrête en arrivant devant la porte de son appartement, et elle songe à regret qu'il va la laisser là, sur le pas de sa porte, et rentrer chez lui.

- Tu... ne reste pas un peu, ce soir ? demande-t-elle l'air de rien.

Il secoue la tête.

- Nan. J'ai un pote à remettre sur pieds, je vais l'emmener manger un truc, ça lui fera du bien.

- Il attend encore ses résultats ?

Obata acquiesce, et elle sent toute l'inquiétude qu'il a accumulée depuis le matin. Le cas d'Aburaya le préoccupe beaucoup.

- Je comprends. Embrasse-le de ma part. Enfin... tu vois ce que je veux dire.

Le basketteur ricane et hoche la tête.

- Je vois, oui. Merci. Bonne soirée.

Fidèle à lui-même, il attend qu'elle soit entrée, et que la porte principale se soit refermée pour s'en aller vraiment, trainant un peu sur le départ, pour garder la porte dans son champ de vision. Retrouver Tsuchida dans un état pareil lui a mis un grand coup au moral. Ce n'est pas habituel, mais c'est comme ça. Surtout qu'une femme couverte de bleus... il connait, et il déteste. Le visage de sa sœur s'imprime dans son esprit et il secoue la tête en jurant.

- Si ça avait été moi, Aomine, je l'aurais tué, celui qui lui a fait ça, à ta nana, marmonne-t-il.

La vision d'Aburaya au loin lui permet de se ressaisir, et il force son plus beau sourire pour lancer :

- Rassure-moi, t'as pas encore payé l'addition ?

- Je ne suis pas encore rentré, rit-il en secouant la tête.

- Tu m'as attendu longtemps.

- Pas du tout, juste dix minutes. Le temps qu'il faut pour quitter le lit de ta Bulle, j'imagine.

Le plus grand rit, amère :

- Ouais, mais non. Tu dis ça parce que t'es jaloux, c'est tout. Trouve-toi quelqu'un.

Ils entrent tandis qu'il lui répond :

- Je veux me trouver une fille avec laquelle je vais rester longtemps, comme Aomine. Enfin... ne le prends pas mal.

L'autre secoue la tête à son tour.

- Je ne le prends pas mal. Awa est ma relation la plus longue depuis un moment, tu me diras. Ça pourrait rentrer dans tes critères.

Avant qu'ils ne s'installent, leur table fétiche en vue, son ami lui attrape le bras :

- Hé, plus sérieusement, si tu veux retourner la voir, vas-y.

Obata secoue la tête, désabusé :

- Mec, de quoi tu me parle. Je passe la soirée avec toi.

- Tu fais une drôle de tête, c'est tout, répond-il en le lâchant. Vous vous êtes disputés ?

Il se laisse tomber sur sa chaise en soupirant, et le plus petit l'imite, avec un peu moins de brusquerie.

- Aomine est rentré, lâche-t-il finalement. Avec Tsuchida.

- Il est carrément revenu avec elle ? C'était si grave ? demande-t-il en retirant sa veste.

Le rire sinistre de son voisin de table lui dresse les poils de ses bras, et il se penche en avant pour poursuivre, les sourcils froncés.

- Ah, à ce point ? Qu'est ce qu'il lui est arrivé ? Merci, dit-il ensuite à la serveuse qui leur apporte la carte.

Obata secoue la tête, contrarié :

- J'en sais rien, ils n'en n'ont pas parlé. Mais... Si tu avais vu son état, tu aurais la même gueule que moi.


Les larmes en gouttes de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant