Tsuchida est déjà en train de gratter les cordes d'un koto laissé à sa disposition quand Aomine le trouve dans le salon. Il s'étire, habillé à la va-vite, perturbé par la place froide qu'elle a laissé dans leur lit. Il était pourtant certain d'avoir passé au moins la moitié de la nuit avec elle, mais a-t-elle seulement dormit ?
Elle bouge les doigts d'une manière tout à fait décharnée, dans des grands mouvements brusques et automatiques. Tous les muscles de ses épaules sont tirés au maximum, saillants sur ses épaules pourtant moelleuses, d'après ses souvenirs, et soudain, elle s'arrête, se penche, à quatre pattes au dessus de l'instrument devant lequel elle s'était agenouillée.
Elle rature, modifie, lâche le crayon, fait craquer sa main droite, et reprend. Jusqu'à ce qu'il lui arrache les mains de l'instrument d'un mouvement brusque. Elle grimace sous la douleur musculaire que lui lance son épaule courbaturée, mais il ne la lâche pas une seconde, et la fait se lever.
Elle sait pourquoi il fait ça. Elle sait qu'il doit être terriblement en colère. Après tout, il n'est pas encore six heures du matin, elle ne sent plus les muscles de son dos, et chacun de ses membres gémissent de douleur. Mais peut-être que ce qui l'interloque le plus, ce sont ses doigts. Ses petites pulpes de peau à vifs, qui saignent d'avoir été trop grattées, alors qu'elle avait des onglets aux doigts de la main droite pour gratter les cordes.
Il ne dit rien. C'est terrifiant de ne pas l'entendre dire quoi que ce soit. Parce qu'il parle pourtant beaucoup. Mais elle n'a pas envie d'entendre cette inexistence de sons lui dire à quel point il s'inquiète pour elle.
Tsuchida n'a pas le courage de se débattre. Elle est pieds nus, la marque rouge du parquet marqué sur la peau, le tissu de son pyjama imprimé dans ses genoux, et elle se traine à demi courbée, épuisée par l'effort. Elle ne fait que regarder les pieds mats frapper le sol avec contrariété.
Parce que c'est ce qu'il ressent maintenant. De la contrariété. Lui qui ne peut rien lui dire, d'abord parce qu'il est pareil, mais en plus parce qu'il se sent mal à l'aise à l'idée de se mettre en travers de sa musique. Que répondrait-elle ? Comment le prendrait-elle ? Le mettrait-elle de côté, s'il lui barrait la route ? Même s'il tente de protéger sa santé ?
Il la fait asseoir sur le lit, et entre dans la salle de bain. Elle n'a pas le temps de l'entendre retourner l'armoire à pharmacie que l'eau coule, et qu'il arrive avec une trousse zippée. L'eau coule toujours.
- Qu'est ce que-
- Pas maintenant, la coupe-t-il. Il faut vraiment être mordue pour faire de la musique à s'en faire saigner les mains ! Mais depuis combien de temps elle y est ?!
Elle attend sagement qu'il sorte de quoi nettoyer ses doigtes doucement, un par un avec le désinfectant, s'attendant à ce qu'il lui bande ensuite les doigts. Ce qu'il ne fait pas. A la place, il lève le bas de son t-shirt, et elle s'offusque :
- Mais !
- Tu ne vas pas aller dans la baignoire habillée, si ?
Elle détourne les yeux, fronce le nez, et lève les bras, les doigts endoloris. Il soupire, fait passer son haut par-dessus sa tête, et pour une fois, se fait violence pour ne pas lorgner sa poitrine.
- Si je ne reste pas fâché un peu, elle ne comprendra pas qu'elle ne doit pas recommencer.
Il l'aide à se déshabiller, et l'accompagne dans la salle de bain. Quand il a les muscles trop noués, sa mère lui fait couler de l'eau bien chaude pour l'aider à se détendre. Une technique qu'elle a sûrement perfectionné des années durant avant de toujours trouver la bonne température, et le bon mélange de savon pour faire de la mousse, mais pas de trop...
Elle grimpe dans la baignoire. Il la regarde faire, les lèvres pincées, et décide de s'asseoir à côté, sur le sol. Il n'y a certainement pas la place d'être deux dans le bac, de toute façon. A moins qu'ils ne se coincent l'un contre l'autre, et ce n'est pas du tout ce à quoi il doit penser pour le moment. Silencieuse, Tsuchida commence à l'inquiéter. Elle ne dit rien, songeuse, et il ne sait pas si elle réfléchit à son comportement à lui, au sien, ou encore à sa partition, qu'il l'a obligée à arrêter.
Lentement, la main de la musicienne pend le long de le baignoire, et il ne peut que tendre la sienne jusqu'à la toucher.
- Tu es en colère ? demande-t-il à mi-voix.
Elle plante ses yeux noirs dans les siens.
- C'est toi qui l'es, non ?
Il secoue la tête, la gorge nouée.
- Non. Je ne peux pas être fâché contre toi. Je n'y arrive pas.
Elle attrape ses phalanges, et se rapproche en pliant les genoux contre la paroi, le cou penché par-dessus le rebord.
- Désolée.
- Tu t'es fait mal.
- Désolée.
- Tu n'as pas assez dormi.
- Je suis désolée, répète-t-elle encore.
Et elle est prête à recommencer, plusieurs dizaines de fois si c'est ce qu'il lui faut pour qu'il ne soit plus contrarié après elle. Elle tremble. Ça ne se voit pas, ça ne se sent pas, mais tout son corps, et toutes ses peines tremblent. Et brutalement, Koike Tsuchida se déteste d'avoir peur.
Mais Aomine se redresse et elle peut l'embrasser. D'abord légèrement, effrayés l'un par l'autre, et le pianissimo qui en résulte la laisse pantelante. Il l'embrasse à la serrer contre lui, à bout de souffle, et à recommencer entre deux grandes goulées d'air. Elle noue ses bras si fort autour de lui qu'elle en a mal aux épaules. Elle voudrait lui dire ce qu'elle a sur le cœur. Sauf que les mots ne sortent pas. Elle a l'impression de s'étouffer avec, et que ses émotions débordent, éclaboussant le sol d'eau moussue.
Et Tsuchida voudrait pleurer.
Alors elle s'agrippe à lui plus fort, et l'embrasse de plus belle, tirant les petites mèches de cheveux qu'elle peine à attraper dans sa nuque, maintenant qu'il les a à nouveau coupés.
- Avant que tu n'arrives, la musique n'était que des sons que j'aimais. Maintenant, je la comprends.
Il fronce les sourcils et entre-ouvre les yeux, surpris de la nouvelle texture de ses joues, et la bouche collée résolument à la sienne, l'adolescente se met à pleurer.
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Les larmes en gouttes de pluie
Fiksi PenggemarTome 2 Avançant sur le chemin qu'ils se sont obstinément tracé, une seule question se pose à eux : quelle est la limite d'un génie ? Si Aomine et Tsuchida se dirigent vers l'école de leurs rêves, ils ne doivent pas oublier qu'ils ne sont pas leur pa...