Chapitre 85

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Depuis toujours, Aomine sait à quel point les colères de sa compagne peuvent être volcaniques. C'est précisément la raison pour laquelle il ne s'énerve jamais après elle, et essaie le plus souvent de résoudre leurs maigres conflits par la discussion. Mais lorsqu'il la voit, adossée à l'une des rambardes protégeant le trottoir de devant l'école, au beau milieu de la semaine, il n'a pas besoin de voir l'expression qu'elle affiche pour savoir que cette fois, ce ne sera pas possible.

Elle ne regarde que lui, le visage neutre, mais tremblante de contrariété. Au point que les quelques personnes qui la connaissent de vue n'ont même pas osé lui faire un signe de la main.

Si elle est là à midi, c'est que quelque chose est arrivé.

- Oh, elle a pas l'air commode, aujourd'hui, s'étonne Obata.

- Vous devriez y aller, dit-il sans s'arrêter, ça va pas êt' beau à voir.

Les deux autres basketteurs s'arrêtent, pour le voir s'avancer, d'un pas aussi décidé qu'ils sont incertains.

- Tu crois que ça va aller ? demande Aburaya.

Surpris que ce soit lui qui lui demande, son camarade se tourne vers lui, sans quitter le couple des yeux.

- J'imagine qu'il reviendra en vie. Il faut qu'ils parlent, de toute façon.

Tsuchida n'a pas fermé l'œil de la nuit. Ce que lui avait sa camarade la veille l'avait plus que perturbé. Elle avait parlé avec Momoï, au petit déjeuner, et ce qu'elle lui avait dit l'avait glacée : normalement, Aomine aurait dû recevoir ses résultats depuis un mois bien tassé. Et il ne lui en n'avait pas parlé une seconde. « Il t'en a parlé, à toi ? », lui avait demandé l'étudiante en journalisme.

La musicienne n'avait pas répondu. Quelque chose clochait, et en deux minutes de discussion avec les étudiants qui sortaient de l'école, elle avait rapidement appris qu'il avait été pris, mais n'avait pas encore donné sa réponse.

En bref, elle ne décolère pas du trajet, mais Aomine ne rien non-plus, préférant qu'elle éclate chez lui que dans la rue.

Ce qu'elle fait à la seconde où la porte est refermée, et qu'il ouvre la bouche :

- Tu comptais m'en parler quand ?

- Je suis désolé. Je voulais le faire moi-même, ce week-end, quand tu allais venir, répond-il coupable.

- Et quand est la date limite de réponse ?

- J'irais pas, Koike.

Elle rit. Elle rit et il en frissonne.

- Tu n'iras pas ? Tu ne vas pas aller là-bas ? répète-t-elle. Pourquoi ? Et si tu me dis que c'est parce que je suis là, que je ne suis pas capable de m'occuper de moi sans toi, ou une autre connerie du genre, je te préviens que je te trainerais moi-même signer cette feuille...

Il s'approche d'elle en ouvrant les paumes :

- Koike...

- Ne me touche pas ! crie-t-elle. J'ai été assez claire avec toi, Daiki. Ma musique est toute ma vie, et cette école, c'est mon rêve.

- C'est bien pour ça que je te demande pas de choisir quoi que ce soit ! Tout est déjà décidé, je reste là avec toi, et tu n'as à t'inquiéter de rien, poursuit-il en faisant encore un pas.

Mais elle pause les mains sur son torse, et le repousse faiblement :

- Non. Tu ne comprends pas.

Il recule. Comme s'il avait suffit qu'elle prononce ces mots pour lui faire comprendre.

Tsuchida se redresse un peu, et continue, la gorge nouée :

- Il est hors de question que tu fasses un choix pour moi, que je ne suis pas capable de faire pour toi. Parce que moi, je n'ai pas hésité. Je n'ai pas su comment te le dire, mais je n'ai pas hésité à accepter. Il faut que tu y ailles, Daiki. Parce que tu sors avec une personne qui n'a pas ton sens du sacrifice.

Il fronce les sourcils et elle serre les poings.

- De quoi tu parle ?

- J'ai été prise pour un stage en Italie. C'est une opportunité, parce que c'est seulement proposé aux deuxièmes années qui ont toutes les chances de valider leur dernier semestre, autant dire, aux meilleurs. Et c'est l'occasion pour moi...

Elle n'arrive pas à continuer. Pas en le regardant dans les yeux, parce qu'elle ne s'imaginait pas une seconde qu'il ne serait pas prit. . Elle n'arrive pas à lui dire qu'elle comptait partir l'esprit tranquille.

Ce qui la met en colère, c'est qu'à cause d'elle, il va peut-être manquer la chance de sa vie, alors qu'elle...

- Je veux faire de la musique, chuchote-t-elle en baissant la tête. Je veux voir des opéras, là d'où ils viennent. Je veux... je veux faire des choses dans le monde que je ne peux pas faire ici, et je pensais que tu comprendrais, parce que tu allais partir aussi.

Il la dévisage longuement, désemparé. Il n'avait pas pensé à ça une seconde. Elle avait tellement changé au fil du temps qu'il avait oublié pourquoi elle l'avait attiré dès le départ : c'est une fille brillante qui ne lui demanderait jamais quelque chose qu'elle n'était pas prête à faire elle-même pour sa passion. Et c'est ce génie de la musique qui lui a permis de passer outre tout ce qui pouvait se trouver au travers de sa route.

En fait, non. Elle n'a pas changé. Elle a simplement évolué en quelque chose qui le dépasse complètement.

- Tu... quoi ? En Italie ? Mais tu...

Il se tait. Il comprend, sans comprendre.

- Je suis désolé. Koike. Désolé que ça ne se passe pas comme tu veux.

Tsuchida se redresse brusquement, le regard noir.

- Comme je veux ? Tu fais des choix qui concernent ta vie en fonction de moi, sans me demander avant si je serais prête à en assumer le poids ! Tes choix sont faits à cause de moi !

- Oui, parce que c'est comme ça qu'on se construit une vie quand on est en couple !

- Je ne veux pas à avoir à faire ce genre de choses, répond-elle sans hésiter. Je ne veux pas que ma vie soit décidée par quelqu'un d'autre que moi. Parce que personne ne sait mieux que moi de quoi je suis capable. Et que personne ne sait mieux que moi ce qu'il se passe dans ma tête.

Les narines frémissantes comme s'il venait de courir pendant des heures, et les sourcils froncés au point de froncer son nez, il lâche après une seconde de silence :

- Si tu veux te prouver quelque chose, Koike, fais-le toute seule. J'en ai assez de faire pour toi, et de ne recevoir que des reproches en retour.

Elle sourit, les yeux humides.

- Okay. Alors ravie de t'avoir rencontré, Aomine.

Elle pivote et attrape la porte. Il ne la retient pas lorsqu'elle claque, et qu'il se retrouve tout seul dans l'appartement. Ni lorsque celle de l'immeuble résonne dans la cage d'escalier, et encore moins lorsqu'il l'entend partir en courant, de sa fenêtre mal isolée de salon.

Koike est devenue ingérable, en entrant dans cette école. Et quoi qu'il lui dise, il sait qu'elle aura toujours le dernier mot.

- Elle reviendra.


Les larmes en gouttes de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant