Chapitre 78

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Tsuchida regarde une dernière fois le numéro inscrit sur son écran de téléphone. Elle n'a pas la moindre idée de quoi faire, et ça la rend folle. Ce coup de fil qu'elle a reçu il y a trois jours, et qui lui a retourné la tête des journées entières. A un point qu'elle en a oublié de réagir quand Aomine lui a proposé d'aller voir ses parents. Sur l'instant, c'était le flou total, dans son esprit. Une heure plus tard, elle s'était maudite de tous les noms d'avoir bêtement acquiescé, avec la quantité de travail qu'elle a encore. A présent, elle se demande auprès de qui elle peut chercher conseil objectivement. Et peut-être que ce quelqu'un est son père.

- C'est peut-être une aubaine, finalement, d'être pas loin de lui.

Oui, c'est ce qu'elle s'est dit encore la veille avant de partir. C'est même ce qu'elle a dit au basketteur. Maintenant que le lit est vide, parce qu'il est partit chercher le petit déjeuner avec son propre père, en essayant de ne pas la réveiller, et elle avait joué le jeu, elle hésite.

- Parce que papa n'est pas la personne la plus objective que je connaisse, lorsque ça me concerne. Logique.

Elle est restée assise sur le rebord du lit tellement longtemps qu'elle en a la marque du cadrant en bois sur ses cuisses, et qu'elle en a légèrement mal quand elle se lève, décollant sa peau. Maintenant qu'elle est presque totalement guérie, elle se sent revivre. L'engourdissement de ses jambes lui est absolument égal.

Elle enfile un gilet par-dessus son pyjama, et descend aider en cuisine. Aomine-san, toujours en chemise de nuit aussi, a commencé à vider le lave-vaisselle, et à ranger les assiettes dans le placard, en prenant soin de laisser sorties les quatre tasses qu'il leur faudra pour le premier repas de la journée.

- Bien dormi ? lui demande la femme aux cheveux bleus.

- Oui, très bien, et vous ?

Elle remonte ses manches par réflexe, mais les redescend lorsque les vestiges verts de ses bleus lui sautent aux yeux. Ils ne se voient presque plus, mais elle les avait oubliés, à force de se balader tranquillement dans l'appartement du basketteur.

- Qu'est ce que tu as au visage ? s'inquiète-t-elle en se penchant en avant.

- Je suis tombée dans les escaliers il y a quelques temps, mais tout va bien. J'ai juste oublié de me maquiller avant de descendre.

C'est une bonne nouvelle, pour elle : elle est capable de se maquiller suffisamment bien pour qu'on ne remarque ni sa fatigue, ni ses rhumes, ni les traces de sa chute. Le fait qu'elle n'y a pas pensé ce matin la dérange, néanmoins.

- Vous savez où est Daiki ? demande-t-elle pour changer de sujet.

- Il est parti avec son père, chercher des pâtisseries pour le déjeuner.

Un court silence flotte, et la mère de l'étudiant dit soudain :

- Quand j'étais jeune, je me battais.

La musicienne tourne la tête vers elle, interloquée.

- Je me battais souvent. Je me suis battue jusqu'au lycée. Arrivée là, je faisais profil bas, je devais même avoir l'air d'une élève modèle, vu la tête que faisait Kagemori quand on s'est vraiment rencontrés.

Elle rit tendrement avant de reprendre :

- Je fumais. Et je te déconseille de le faire, ajoute-t-elle plus sérieusement. Enfin, tout ça pour dire que si tu as un problème, je peux t'apprendre à cogner, tu n'as qu'à demander.

Tsuchida rit franchement, la tête en arrière, emportée par l'incrédulité.

- Je ne connaissais pas cette partie de vous, Aomine-san.

La femme sourit, et poursuit son activité de rangement, torchon en main pour terminer de sécher la vaisselle récalcitrante.

- Il y a beaucoup de choses, que tu ne sais pas sur moi, dit-elle avec un clin d'œil.

Les deux Aomine s'assoient sur le premier banc qu'ils trouvent dans le parc.

- Alors, de quoi tu voulais me parler, si loin des oreilles indiscrètes ? commence son père avec entrain.

Son fils se doute en un instant qu'il feint l'amusement. Le fait est que Kagemori Aomine n'est pas une personne naturellement décontractée, et qu'en l'absence de sa femme, il a tendance à être plus sensible aux émotions des autres. Ce que doit lui crier le géant aux mèches bleu nuit, c'est qu'il a besoin d'aide.

- J'ai été accepté aux Etats Unis.

- ...mais... ? devine-t-il serrant ses mains l'une contre l'autre.

- Je vais refuser.

- Pourquoi ?

Sa surprise n'étonne pas Aomine. C'est vrai que ça a de quoi surprendre.

- Parce que je ne peux pas laisser Koike ici toute seule.

Aomine-san déglutit, cherchant ses mots. Il le regarde soudain, et son fils se sent comme un petit garçon, dans des vêtements trop grands.

- Et Tsuchida, qu'en pense-t-elle ?

- Je ne lui en ai pas parlé. Elle a eu assez de stress comme ça, ces derniers temps.

- Donc tu prends la décision pour deux, c'est ça ?

Honteux, Aomine acquiesce. Oui, c'est ça. Il ne lui laisse pas le choix. Parce qu'il sait qu'elle refusera qu'il laisse passer sa chance comme ça.

- Tu ne crois pas qu'elle va se mettre en colère.

- Peut-être pas... à ce point là, quand même, tente-t-il.

- Elle va t'arracher la tête, et je ne la connais pas tant que ça. Mais si elle s'entend aussi bien avec ta mère, c'est qu'elle a le même caractère. Les amis de Cho sont tous des dragons, marmonne-t-il. Tu dois lui en parler, c'est très important.

- Je ne peux pas ne pas la voir aussi longtemps, avoue-t-il en détournant les yeux. Et je ne sais pas... si elle pourra ne pas me voir aussi longtemps.

- Qu'est ce que tu racontes ? C'est plus dur, c'est vrai, mais il y a des écoles de musique aussi pas loin de ton école, qui font peut-être des échanges avec la sienne, tu ne crois pas ?

- Tu comprends pas.

- Daiki, réplique son père avec un froncement de sourcils, tu ne crois pas que tu as passé l'âge de la crise d'ado ? Tu peux choisir de rester avec la fille que tu aimes, même si ça te fait renoncer à la vie que tu avais choisie. Mais si tu renonce à un rêve pour elle, tu vas lui reprocher. Ce sera malgré toi, et ça prendra des années, mais tu le regretteras.

Les gens qui passent devant eux ne leur accordent pas d'attention. C'est un peu ça, l'avantage d'un parc. Mais ça donne l'impression à Aomine d'être complètement abandonné.

- A quoi tu as renoncé, toi ?

- Au basket, dit-il avec un sourire ironique.

Les larmes en gouttes de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant