Chapitre 56

80 10 4
                                    

Aomine se lève de sa chaise en grimaçant. Il n'a pas vu sa copine depuis maintenant deux semaines, lors de la rencontre, et elle lui manque. Ils ne s'appellent plus depuis non-plus. Ou du moins, à une fréquence bien plus réduite que leur habitude. Il comprend qu'elle commence à faire des liens avec les gens de son école, et qu'elle a trouvé du travail maintenant qu'elle s'occupe de la composition des chansons du groupe qu'elle a rencontré, mais sa hantise, c'est qu'elle finisse par l'oublier. Et avec les examens de fin de trimestre qui arrivent...

Il attrape le courrier dans sa boite aux lettres en rentrant. Il est un peu surpris par la taille de l'une d'elle et de son épaisseur, mais les mains pleines, ne peut qu'attendre d'entrer dans son appartement pour en regarder l'envoyeur : elle est coincée entre deux autres et un magasine de publicités.

Il laisse finalement le tout sur la table.

- J'vais m'prendre une pu-rée de douche.

Il n'en sort qu'une dizaine de minutes plus tard, et se prépare à manger dans la foulée. Ce n'est qu'en posant son assiette sur la pile de courrier qu'il se souvient de la lettre épaisse. Il la fait glisser vers lui et hausse les sourcils.

- Koike ?

Il l'ouvre d'un coup de manche de fourchette, et en fait sortir un CD et une clef USB. Le petit mot qui accompagne le tout le fait vaguement sourire : « Je pense que ça pourrait t'aider. En tout cas, c'est pour toi que je l'ai fait. ». Il branche la clef sur son câble convertisseur, et branche le tout sur son téléphone.

Il y a une vingtaine de fichiers dessus. Et chaque dossier comprend deux pistes : « Avec Voix », et « Instrumental ». Il espère qu'elle sera celle qui chantera, et qu'elle est celle qui a joué la plupart des instruments qu'il entendra. Il enfile ses écouteurs. Quand la piste démarre, il l'entend et sursaute :

- J'imagine que tu n'as pas attendu pour mettre la piste en marche, alors je vais être brève.

Elle rit.

- J'espère que tu reconnaîtras les moments que j'ai mis en musique... bonne écoute à toi.

Il reconnait les premières notes comme étant du koto. Les notes s'enchainent, avant de se superposer, et de se poursuivre.

Après tout ce qu'il a entendu d'elle, il s'attendait à être cloué sur place. Ce qui est loin d'être le cas. La musique lui donne une envie folle de se relever, de sortir, et de se mettre à rejouer au basket. Il coupe la piste aussi sec, confus. Ce qu'elle lui a présenté cette fois-ci n'a rien à voir avec ce qu'elle fait, à son style. Non, ce qu'il entend, c'est son style à lui.

Il fait glisser le contenu entier sur son téléphone, et débranche la clef. Il n'est pas encore vingt heures, et il sait que le gymnase sera encore ouvert. Les portes de l'école ne se ferment que pour vingt-deux heures. Il a encore le temps de faire frapper le ballon sur le sol.

Le revoir arriver alors qu'il ne reste jamais aussi tard fait rire les trois camarades de classe qui sont restés. Il ne leur adresse pas un regard. Certains ont des cours de langue jusque tard, alors il comprend qu'ils ne se soient pas encore entrainés.

- Tu n'as pas des écouteurs sans fil ? demande-t-il soudain.

Iwanaga Taishi, parce que c'est à lui qu'il s'adresse même sans le regarder, hoche tout de même la tête :

- Ouais. J'ai. Pourquoi ?

- Je voudrais écouter de la musique. Mais les miens ont un fil. Ça va me gêner si je dois balader mon portable.

Taishi se déplace pour attraper la petite boite dans son sac. Les trois autres jouaient sur un demi terrain, installés en large du terrain de base. Il se doute qu'Aomine ne va pas s'entraîner avec eux, il le fait rarement, quand il est là à cette heure là. L'étudiant l'attrape, connecte l'appareil au sien, et les mets.

- Merci, dit-il avant de poser ses affaires par terre, le long du mur.

Il appuie sur le bouton de la bille dans son oreille, et la piste se remet en marche du début :

- J'imagine que tu n'as pas attendu pour mettre la piste en marche, alors je vais être brève. J'espère que tu reconnaîtras les moments que j'ai mis en musique... bonne écoute à toi.

La musique démarre, et il commence à faire rebondir la balle. Il commence à jouer, emporté par le mouvement, et s'arrête lorsque le panier est marqué. Ce n'est pas que ça ressemble à son style, mais qu'il y correspond parfaitement. Il se laisse entrainer par le rythme, si bien que le tempo donne la vitesse de battement de son cœur, et que les crissements des instruments lui rappellent celui de ses propres chaussures.

- Ça y est. Tu as remarqué ? demande-t-elle au beau milieu. C'est ton jeu que j'ai adapté. Ça te plait ? Essaie de ne pas trop forcer non plus... mais amuse-toi bien, ton ancien jeu était vraiment bon aussi.

Il se mord la joue dans un sourire féroce. Il rattrape le ballon, et se remet à jouer. Il se fait de plus en plus aux morceaux qui s'enchainent : il reconnait les matchs, et contre qui il les a joués. Il se rend compte de l'écoute incroyable dont elle a fait preuve pour produire un trésor pareil. Une transcription parfaite.

Les autres joueurs le regardent faire avec envie, jusqu'à ce que le coach entre dans la salle pour les avertir de la fermeture imminente de l'école. C'est le moment que choisit Tsuchida pour faire décoller le morceau : Aomine accélère tant et plus, lance, rattrape, détend ses gestes, se baisse encore, et marque. Ils pourraient être plusieurs sur le parquet que ça n'aurait pas d'importance. Il a déjà joué ce match. Mais ce n'est pas seulement le match qu'il connait. C'est cet ensemble de mouvements qu'il a réalisé des milliers de fois et qu'il fait depuis des années.

- Qu'est ce qu'il lui prend ? demande le coach à demi émerveillé. C'est ça que tu dois faire en match, petit. C'est pour ça que t'es là.

Les trois autres haussent les épaules.

- Je ne sais pas, il écoute quelque chose. Il m'a demandé mes écouteurs.

Aomine s'arrête finalement, riant doucement, entre deux inspirations. Il appuie sur la bille en croisant le regard de son coach, et la retire de son oreille.

- Vous m'avez parlé ?

- Pas encore. T'écoute quoi ? La radio ?

- Non... de la musique.

- Et ça te donne la niaque comme ça ? rit l'homme en lui attrapant l'épaule.

- C'est un morceau de ta copine ? ricane un autre derrière.

Aomine détourne le regard, cette fois terriblement gêné.

- Oh, je peux écouter ? demande le coach en le lâchant.

Il s'éloigne pour attraper son téléphone, et déconnecte les écouteurs. La piste se relance d'elle-même et il n'a pas le temps de l'avancer que la voix de Tsuchida reprend, cinq secondes avant l'arrêt de l'enregistrement :

- Bon champion, j'imagine que tu viens de faire les deux heures de piste sans pauses, alors arrête de courir dans tous les sens, et vas boire quelque chose, s'il-te-plaît.

Les gars se mettent à rire, et la musique reprend, plus douce. Cette fois, ils se figent et c'est à Aomine de rire avant de couper :

- Ouais, c'est l'effet Koike.

Les larmes en gouttes de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant