CERISE SUR LE GÂTEAU.

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   - Sandra ? Comment la retrouver ? demanda Alexander.

   Il n'était nullement étonné par la demande de son frère. C'était dans l'ordre des choses puisque si l'on voulait parler de la famille Goodmayer, il fallait y intégrer Sandra. La belle, la sublime Sandra ! Douce, sensible et discrète. Elle avait toujours cherché à passer inaperçue. Pour échapper aux foudres de son père. Machiste jusqu'à la moelle, il considérait les filles comme des pouliches juste bonnes à servir les mâles et à assurer leur mission de porteuses. Par sa finesse et son obstination, elle avait réussi à tromper la vigilance de son père et le duper en jouant à la soumise. Servile, par comédie, elle apportait à son père ses savates, lui lisait le journal quand il était trop fatigué, lui préparait son café... De petits gestes qui faisaient d'elle une soumise. Résolue à étudier pour fuir son enfer terrestre, elle prenait son mal en patience. Petite, elle ne comptait déjà que sur elle-même. Rejetant l'aide de quiconque, elle faisait face à ses besoins. Seule. A dix ans, elle commença à multiplier elle aussi les petits emplois singeant son grand frère qui était son modèle. Étudier, briller, obtenir les meilleures notes, réussir pour décrocher une bourse et pouvoir s'envoler. Pour se payer ses études, à dix ans, elle se rendit dans un immeuble où la plupart des  habitants possédaient des animaux de compagnie et leur proposa de les emmener se promener à des heures fixes, contre un salaire décent. Elle allait toujours loin pour tromper la surveillance de son père et éviter les ragots. En tant que fille, il ne lui prêtait pas un grand intérêt ce qui la servait bien : passer inaperçue et ainsi faire ce qu'elle voulait. Dans le même immeuble, elle fit la connaissance d'une vieille veuve qui avait un bouledogue. Impotente et ne pouvant plus aller à sa guise, elle accepta les services de la petite Sandra, une fille si aimable et si polie. Puis vint la requête de venir pour lui faire la lecture. Ou encore jouer avec elle aux cartes, aux échecs,... Vive et intelligente, elle fit de l'immeuble son univers où l'on avait constamment besoin d'elle pour de menus services. Chacun était satisfait. Les adultes ne profitaient point de son innocence, et elle se faisait un argent de poche très conséquent sans avoir à trop se fatiguer. L'argent gagné servait à s'acheter ses affaires scolaires. Comme son père ne venait que pour les repas, son intérêt pour elle était à peine perceptible, pour ne pas dire inexistant.

   Une vie qui arrangeait la petite Sandra.

  Certes, son désir de voir son père se comporter comme les pères de ses camarades la brûlait, mais elle ne l'aurait jamais avoué. Pour cela, elle n'ébauchait jamais d'amitié de peur de se retrouver obligée de fournir des explications, de se justifier...

   En connaissance de cause, Sandra préféra la solitude à une amitié synonyme de curiosité. Amie des livres, elle ne trouvait aucun problème avec les études.

   Alexander ne le savait pas mais Sandra partit, elle aussi, le jour de sa majorité. Sa hâte de partir, de voler de ses propres ailes, de devenir pleinement autonome ne pouvait plus être contenue. Grâce à ses économies de petite fille prévoyante, Sandra put se payer un studio et prendre son envol. Ayant souffert des multiples brimades de son père et assisté au dédain auquel devait faire face sa mère, continuellement, sa résolution de ne pas vivre le même calvaire lui donna la force de couper le cordon ombilical avec les siens. Et surtout avec ce père pastiche bon juste à crier des ordres, hurler et critiquer sans jamais penser à cajoler.

   Alexander, en prenant de l'âge et à cause de la maladie de son père avait appris à pardonner, à oublier. Ou plutôt à ignorer les défauts de son père pour pouvoir lui offrir une vieillesse plus douce et plus décente. Même avec sa grande rancune et sa colossale fureur, il ne se résignait point à abandonner celle qui l'avait porté dans son ventre, avait veillé l'enfant qu'il avait été et nourri de son sein... Et son père était...son père. Avec sa dernière crise, Alexander avait compris que William Goodmayer était de l'ancienne école. Selon lui, étaler ses sentiments au grand jour relevait de la faiblesse. Un vrai homme était celui capable de se faire respecter avec un simple regard. Faire trembler les siens était un signe de sa suprématie. Faire preuve de gentillesse et de délicatesse signifiait s'ôter toute prétention au respect, à la considération. Alexander n'acceptait aucunement une telle attitude froide et guindée. Cependant, il essayait de comprendre et d'excuser. Autrement il lui serait impossible de colmater les lambeaux de sa famille.

POUR L'AMOUR D'ELLE. (TERMINÉE). Où les histoires vivent. Découvrez maintenant