POUR L'AMOUR D'ELLE. (TERMINÉE).

FACE CACHÉE.

   

      " Peut-être bien que non".

   La phrase tournait en boucle dans la tête d'Alexander qui descendait en bas en empruntant l'ascenseur. Il venait de se faire expulser de la chambre par Alexa qui insistait pour qu'il rejoigne les autres autour de la table du dîner familial. Une sorte de veillée funèbre différée. Ils auraient normalement dû organiser un repas ou une réception mortuaire mais étant donné les circonstances, la chose fut retardée, non pas annulée. Kirsten avait prévu une sorte de réunion des deux familles en vue, d'une part, de consolider les liens entre leurs membres et d'une autre part, de soutenir Mary et Alexander dans leur douloureuse perte. Quant à Sandra, on ne savait jamais à quoi elle pouvait réellement penser, ni ce qu'elle pouvait bien ressentir. Une vraie tombe. Son mutisme devenait lassant.

   Tout en se rapprochant du rez-de-chaussée, Alexander se disait qu'il lui aurait mieux valu insister pour qu'Alexa l'accompagne chez eux au lieu d'avoir cédé à sa demande. Ils avaient déjà un besoin urgent de communiquer et avec sa dernière réplique, l'urgence devenait priorité, exclusivité. Quelle mouche l'avait piquée de proférer une telle ineptie ? Et puis, d'ailleurs, que signifiait une telle boutade ?

   Ineptie ? Boutade ? Pour lui, les termes paraissaient trop mous. Le mot "bombe" aurait été plus approprié, plus adéquat et plus révélateur de ce qu'il ressentait, de ce que les propos lui avaient fait, par quoi il l'avait fait passer.

    Alexander avait l'impression d'avoir reçu une douche froide, d'avoir reçu sur la tête un coup de massue, d'immerger en pleine eau et de manquer d'air. Ses oreilles bourdonnaient, son cœur battait la chamade et sa vue se brouillait. La même phrase revenait inlassablement dans son esprit tel ce leitmotiv harassant et obsédant, telle cette montre oscillant de gauche à droite et vous emmenant avec elle dans son va et vient vous empêchant de songer à autre chose, d'échapper à son emprise.

   Alexa avait sûrement juré de le tuer, de le rendre fou ou du moins de le priver de toute quiétude. Comment allait-il supporter le dîner avec tous les doutes et toutes les angoisses qui l'assaillaient ? Comment pourrait-il prendre part à la conversation ou se montrer attentif à l'égard de sa mère et de sa sœur tout en sachant que son avenir avec Alexa était en jeu ? Comment se faire le soutien des autres lorsque l'on est incapable de l'être pour soi-même !?

   Il aurait été prêt à donner cher pour connaître le fin mot de l'histoire, mais il lui fallait faire les quatre volontés d'Alexa. Pour parler, il fallait être deux et tant qu'elle ne serait pas prête, inutile d'insister. Il savait que l'explication lui aurait demandé un petit mot, un petit signe, mais elle le laissait bien mijoter. Sa vengeance était à la hauteur de la faute. Toutefois, il avait cru comprendre qu'elle lui avait pardonné ! À vrai dire, non. Elle attendait le bon moment pour... lui régler son compte. Or, pour cela, il faudrait qu'il soit encore de ce monde et grâce à elle, il ne risquait point de faire long feu !

  - Alors, Alexander ! Rassuré ? le questionna Vlad dès qu'il l'eut aperçu.

   Quelle ironie !

    Ces Rasmussen avaient le chic de manier l'ironie comme ils jonglaient avec les affaires et les billets verts ! Le mot adéquat aurait dû être "chamboulé" ! Mais, comme Vlad était toujours dans les petits secrets de sa petite sœur, il devait exceller dans l'antiphrase ! Pourtant la mine de ce cher frère lui mit la puce à l'oreille. Et si, comme d'habitude, il se hâtait de tout interpréter de façon négative !? Pourquoi toujours tout voir en noir ? Si Alexa lui cachait  quelques secrets inavouables, comme le quitter et l'abandonner à son triste sort, est-ce que Vlad aurait cet air serein et paisible ? Est-ce que les Rasmussen se fatigueraient à faire preuve de gentillesse et d'amabilité? Pourquoi se préoccuper de gens qui allaient sortir de leur vie définitivement ?