Chapitre 3 - Lucile

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Le 09 avril 2018, Centre de ressource et de compétence de la mucoviscidose, CHU de Montpellier

      — ... a reçu les deux gènes défectueux CFTR, de votre part, et de celle de son géniteur. Sakura a le variant le plus courant, le F508del. Pour faire simple, les variants du gène ne permettent pas à la protéine de fonctionner correctement, donc la viscosité des sécrétions s'épaissit. Ça touche majoritairement les poumons, le pancréas, les intestins et le foie.

     Trop d'informations, en si peu de temps. Le test de dépistage de la mucoviscidose, réalisé sur chaque nouveau-né, s'est révélé positif, comme le prévoyait le médecin. Après d'autres tests complémentaires pour confirmer le diagnostic, nous voilà donc, Sakura, mes parents et moi-même, au CRCM du CHU où elle est née, pour nous aiguiller sur la prise en charge de la mucoviscidose. Depuis deux jours, j'ai l'impression d'être plongée dans un mauvais rêve. J'alterne cauchemars et insomnies, ne réussissant pas à fermer l'œil plus de deux heures d'affilée. Je me perds dans la contemplation de ma petite fille, et j'imagine sa vie, avec la maladie. Des allers-retours à l'hôpital, c'est donc à ça que j'ai condamné mon enfant ?

     — Il y a également un risque de déshydratation plus important chez ces patients, et votre fille peut souffrir d'infections respiratoires répétées. Sachez que Sakura aura un suivi à vie, avec des séances de kinésithérapie du thorax. On organisera également plusieurs hospitalisations de jour ou de nuit, pour nous permettre d'adapter la stratégie thérapeutique en fonction de son état de santé.
     J'ai l'impression de retourner sur les bancs de l'université, en train de prendre des notes comme une acharnée pour ne rien oublier. Si l'on m'avait dit, lorsque je suis tombée enceinte, que ça serait si dur d'être maman... je crois qu'en fait, je n'aurais rien changé. Bon sang, un si petit être, déjà tellement fort, n'est pas là par hasard ; je sais que Sakura est arrivée dans nos vies pour que l'on s'accroche encore plus à ceux auxquels on tient.
     — Essayez de continuer l'allaitement aussi tard que possible, c'est le meilleur pour elle. Une supplémentation sodée sera également nécessaire, ainsi que des vitamines en compléments, pour augmenter ses apports nutritionnels et éviter la déshydratation.
     — Ça sera possible, d'avoir une feuille qui résume tout ça ? finit par questionner ma mère, me voyant écrire de plus en plus vite pour tenter de suivre.
     — Bien sûr, vous aurez toutes les informations nécessaires. Nous n'allons pas vous laisser plonger dans le grand bain sans préparation.
     Je grimace au choix de ses mots. « Plonger dans le grand bain », sérieux ? On parle d'une maladie qui va affecter la vie de ma fille, qui va lui coûter des années d'hospitalisation étalées sur toute une vie, j'ai plutôt l'impression de plonger en plein océan, dans ses profondeurs les plus extrêmes, et de me noyer sous la tonne d'informations qui me tombe au visage depuis deux jours.
     — Quelle est l'espérance de vie ? demandé-je finalement, mes poings serrés sur mes genoux.
     — Quarante-sept ans.
     Petit soulagement ? Non, pas vraiment. Ce ne sont que des chiffres ; ma Sakura peut très bien partir avant, et je le sais. En clair, je viens de donner la vie, et je sais que, potentiellement, elle durera moins longtemps que la mienne.

     Après plus de trois heures de rendez-vous avec l'équipe médicale, il est convenu que Sakura et moi rentrerons à la maison en fin de journée, le temps de faire une dernière vérification de sa santé. Après cela, enfin, ma vie de maman va débuter. Pas comme je l'avais espéré, mais je m'en moque.
     L'ordonnance que me tend le pédiatre avant notre sortie m'effraie un peu. Sakura présente une insuffisance pancréatique exocrine, ce qui rallonge la liste de toutes les prescriptions notées sur le papier.
     — Je vous dépose chez toi, et je file à la pharmacie, d'accord ?
     — Papa, ça va, je peux me débrouiller. De toute façon, on a déjà un premier rendez-vous demain, je passerai prendre tout ça sur le chemin. Rentrez vous reposer, ça va aller.
     Je n'en pense pas un mot, mais j'ai toujours réussi à rester forte devant mes parents. Ce n'est pas la mucoviscidose qui aura ma force, parce que Sakura va en avoir besoin, désormais.
     Malgré ma demande, mon père repart dès que nous arrivons chez moi. Ma sœur a pris de son temps hier soir pour nettoyer de fond en comble l'appartement, l'hygiène étant plus qu'importante avec un bébé atteint de la mucoviscidose, et même la chambre de Sakura a été passée au peigne fin. Aussi, c'est relativement sereine que je la dépose dans son berceau, dans lequel je l'ai tant imaginée ces derniers mois.
     Elle est calme. Elle ne pleure quasiment pas, même quand elle a faim. Comme si elle avait peur d'être trop vivante.
     — Maman t'aime, mon joli cerisier. Tu vas voir, à nous deux, on va la combattre, cette foutue maladie. Tu vas vivre aussi longtemps que possible, mon cœur. Maman ne te laissera jamais tomber.
     Elle laisse échapper un petit bruit, tourne la tête sur le côté, et se rendort à poings fermés. Après une minute à l'imaginer plus âgée, je me remue, efface toutes les pensées négatives de ma tête et rejoint ma mère, qui m'attend dans le salon.
     — Si tu veux retourner à la maison quelque temps, ma chérie, notre porte te sera toujours ouverte.
     — Je sais, mais je crois que c'est mieux si je reste ici. C'est plus près du CHU.

J'ai grandi à Agde, où mes parents et mon petit frère habitent toujours, avant de venir sur Montpellier pour mes études. Faute d'avoir eu une place en résidence universitaire, mes parents prennent de leurs économies pour payer le loyer de mon petit appartement, dont l'unique chambre, qui était à l'origine la mienne, a été transformée en chambre d'enfant pour Sakura.
     — Tu sais ce que tu vas faire, pour ta Licence ?
     J'étais censée terminer ma dernière année mi-juin, et lorsque j'ai appris ma grossesse, je me suis dit que je reprendrais les cours le mois suivant la naissance. Mais maintenant... Rien n'est pareil, et je ne me sens pas capable de laisser mon cerisier si tôt.
     — Je prendrai les cours sur le Drive que l'on a, et j'enverrai un mail à mes profs pour expliquer mes absences aux TD. Je veux rester avec elle aussi longtemps que possible.
     — Et pour les examens ?
     — J'irai les passer. Ça va aller, maman, vraiment. Vous êtes là, Mathilde est là, et je suis sûre que Grégory acceptera de garder sa nièce une heure ou deux pour que je puisse réviser.
     Je vois à son regard qu'elle retient ses larmes, avant de craquer complètement. La tête entre les mains, ses épaules tressautent au rythme de ses sanglots, et je m'autorise à craquer, moi aussi. Parce que pour la première fois depuis que l'on a posé le diagnostic, je me rends compte de tout ce que la mucoviscidose implique, de tout ce qu'avoir un bébé implique, et j'ai peur de ne pas avoir les épaules pour supporter tant de poids.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant