Chapitre 7 - Tadhg

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Le 03 mai 2020, Montpellier

     Comme je m'en doutais déjà, Lucile revient au bout d'une petite demi-heure à peine. Deux sacs dans les mains, elle file déjà à la cuisine pour tout ranger, avant de venir nous rejoindre dans le salon.
     — Alors ? Elle est bien encombrée ? Est-ce que c'est grave ?
     — Tout va bien, elle a bien évacué, arrêtez de vous inquiéter.
     Elle roule des yeux tandis que je termine le dernier exercice, Sakura nous offrant son plus beau sourire à moitié édenté.
     — D'ailleurs, vous auriez pu profiter un peu plus, vous savez. Rester enfermée, ce n'est bon pour personne, continué-je pour combler un peu le silence.
     — Vous voulez juste me dégager d'ici, en fait ? Je sais que ma fille vous adore, mais quand même !
     Son air amusé me fait sourire ; la maman inquiète est toujours là, mais elle arrive à se détendre un peu, parfois, maintenant. Je crois que le fait de rencontrer d'autres jeunes parents qui se retrouvent dans le même cas qu'elle lui a fait prendre conscience que Sakura n'était pas la seule enfant à devoir vivre avec la mucoviscidose. Étrangement, elle a même su trouver les mots, la première fois qu'ils se sont croisés, pour rassurer les parents du nouveau-né.
     — Bon, mademoiselle devrait passer une excellente journée, maintenant ! On se dit à demain ? Je passerai plus tard qu'aujourd'hui, pour la laisser dormir un peu plus. Vous devriez vous y mettre aussi, d'ailleurs.
     — Et vous, vous dormez assez ? Vous passez vos journées à courir chez vos patients, et vous venez ici de plus en plus tôt. Mon appartement n'est pas une auberge, vous savez.
     Petit côté passif-agressif, dis-donc !
     — L'un de mes collègues a la Covid, j'ai récupéré ses patients. Des journées chargées, mais Sakura est la seule qui ne se plaint pas si j'appuie un peu trop fort, j'en profite.
     D'ailleurs, la petite puce descend du canapé et s'assied à même le sol, près de la table basse, avant de déboucher un feutre et de se mettre à dessiner sur sa feuille.
     — Vous me dites sans cesse de penser un peu plus à moi qu'à Sakura, pourtant vous faites passer vos patients avant vous-même. C'est pas un peu contradictoire, ça ?
     Elle marque un point ; pourtant, ce boulot, c'est ma raison de vivre. Une vocation, depuis tout petit. Une part de moi, je crois, a retenu la vision des larmes de mes parents. Faire un autre enfant après en avoir perdu un premier, c'est condamner le second à vivre dans l'ombre de son aîné, qu'il n'a pas connu. C'est, du moins, ce que j'ai toujours ressenti.
     — Vous connaissez le dicton : faites ce que je dis, mais pas ce que je fais.
    Elle pince les lèvres en me raccompagnant à la porte, sans rien dire de plus.

     Mon patient suivant a trente ans. Ses séances de kiné ne sont plus quotidiennes, ce qui ne l'empêche pas, malheureusement, d'être un cas désespéré. Il est en attente d'une greffe de poumons depuis plus de deux ans, et je suis sûr que l'espoir est la seule chose qui le maintient en vie.
     Certains penseront que je suis sans cœur, d'autres diront que c'est ce qui est demandé à ceux travaillant dans le médical : ne pas s'attacher. Ça ne fait qu'un an que j'ai commencé à travailler, mais des patients atteints de la mucoviscidose, j'en ai déjà vu mourir plus d'un. Aucun ne m'a fait faillir, donné envie de tout arrêter. Si je peux rendre leur vie un peu plus supportable, en les aidant à reprendre leur souffle et en leur remontant le moral dans les jours plus difficiles, je considère que j'ai fait ma part du travail. Quelque part, j'ai l'impression de me rendre utile, de les aider ; ce que je n'ai jamais réussi à faire avec mes parents, malgré tout un tas de tentatives par le passé.
     J'ai laissé tomber lorsqu'ils sont retournés vivre en Irlande, après onze ans passés en France. Ils m'ont juste prouvé que ça ne servait à rien de tenter de sauver quelqu'un qui n'a pas envie de l'être, alors j'ai arrêté de m'accrocher à l'espoir qu'un jour, ils me voient comme leur fils, et non plus comme une roue de secours présente dans leur vie pour éponger leur peine.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant