Le 28 septembre 2022, Montpellier
Mon souffle se coupe, ma tête me lance, ma jambe tremble sous la table. Il le sait. Je ne sais pas comment, mais il le sait.
— Insinuez-vous que le kinésithérapeute de Sakura, exerçant au centre hospitalier universitaire de Montpellier dans le service pneumologie, allergologie et oncologie thoracique, entretient une liaison avec avec madame Legrand qui pourrait compromettre le bien-être et la sécurité de Sakura ?
Bordel, la seule chose qui pourrait compromettre le bien-être et la sécurité de ma fille, c'est de ne pas rester avec moi.
— Oui, votre honneur.
— Bien. Monsieur Argentier, retournez vous asseoir. Monsieur Gallagher est appelé à la barre.
Je fronce les sourcils un instant et me retourne d'un bloc lorsque la porte s'ouvre en grinçant derrière moi. Il est là. Il est venu. Tadhg m'offre un sourire rassurant en passant à côté de moi, puis le juge reprend :
— Pouvez-vous vous présenter, monsieur ?
— Tadhg Gallagher, né le treize décembre mille-neuf-cent-quatre-vingt-quatorze à Carlow, en Irlande, kinésithérapeute de Sakura depuis trois ans et cinq mois au centre de ressource et de compétence de la mucoviscidose du CHU de Montpellier.
Il jure ensuite de dire seulement la vérité, et les questions commencent.
— Monsieur Gallagher, pouvez-vous nous parler de la relation entretenue entre madame Legrand et sa fille ?
— Madame Legrand est la mère la plus dévouée qu'il m'ait été donné de rencontrer, votre honneur. Elle n'a raté qu'un seul rendez-vous médical en plus de quatre ans afin de passer un entretien d'embauche, elle n'hausse jamais le ton sur Sakura et elle fait passer le bonheur de sa fille en priorité.
— Sakura vous semble-t-elle en manque d'un modèle paternel, monsieur ?
Non, elle ne l'est pas : elle a Tadhg.
— Non, votre honneur. C'est une petite fille stable, heureuse, très avancée sur le plan langagier, et qui n'a jamais perdu le sourire. Elle bénéficie du cadre nécessaire pour grandir sereinement.
— Monsieur Argentier vient d'insinuer que madame Legrand et vous-même entreteniez une relation amoureuse. Est-ce vrai, monsieur ?
Tadhg se retourne une seconde, croise mon regard et pince les lèvres, avant de reporter son attention sur le juge.
— Oui. Cependant, notre relation n'altère pas mon jugement concernant la maternité de madame Legrand : vous auriez pu me poser cette même question l'année dernière, ma réponse aurait été la même.
À deux mètres sur ma gauche, j'entends Damien soupirer d'un air blasé.
— Madame Legrand vous a-t-elle parlé de la relation qu'elle entretenait avec monsieur Argentier ?
— Oui.
— Vous a-t-elle semblé avoir été traumatisée d'une quelconque façon par cette relation ?
Il t'a violée, Lucile.
— Oui, votre honneur. Elle avait du mal à parler, elle pleurait, et monsieur Argentier l'a menacée à plusieurs reprises par message ces dernières semaines.
— Pensez-vous que Sakura sera en danger si son géniteur obtient sa garde, monsieur Gallagher ?
— Oui, je le pense.
Je reprends ma respiration à mesure que le visage de Damien se décompose. Je vais gagner.
— Merci, monsieur, ça sera tout. Peut-on faire rentrer mademoiselle Sakura Legrand ?
Une minute après, ma petite puce se retrouve face à un homme inconnu qui commence à l'interroger. Elle ne cesse de chercher mon regard tandis que je l'encourage d'un sourire.
— Est-ce que ta maman est gentille avec toi ?
— Oui. Maman, elle me fait toujours des cheveux trop beaux, et elle joue avec moi.
— Elle te gronde, des fois ?
Sakura fronce les sourcils en secouant la tête de gauche à droite, le juge lui demande de répondre avec des mots.
— Maman elle me gronde jamais jamais. C'est la meilleure.
Ma toute petite... tellement si grande, aujourd'hui.
— Sakura, tu sais qui est le monsieur assis derrière toi ?
Elle le dévisage une seconde, pose son regard sur un point derrière moi et sourit.
— Maman elle a dit que c'était mon papa, mais moi je veux pas qu'il soit mon papa. Je veux rester avec maman pour toujours toujours.
— Tu n'as pas envie d'avoir un papa ?
— Non, moi je veux juste être avec maman et aller voir le docteur Gallalou pour tousser de la poussière de fée.
Le juge semble un instant attendri, avant de reprendre son air détaché.
— Tu peux retourner avec elle, Sakura, je te remercie.
Elle court vers moi et saute sur mes genoux tandis que je l'embrasse sur la joue, puis l'audience est levée le temps de la délibération.Non seulement Damien a demandé la garde de Sakura, mais étant donné qu'il ne l'a pas reconnu avant son premier anniversaire, il a aussi demandé à exercer l'autorité parentale qu'il n'a pas encore. Mon avocate est plus que confiante quant à l'issue du procès : un juge ne laissera jamais une petite fille de quatre ans et demi partir avec un homme qu'elle ne connaît pas, qui a abusé de sa mère et qui n'a pas demandé ses droits plus tôt.
Tadhg est sorti lorsque Sakura a été appelée. Attendant devant le tribunal, il me rattrape au vol lorsque je lui saute dessus, m'accroche à son cou et l'embrasse, avec bien plus de force que toutes les autres fois. Tant pis si Sakura nous voit : ma petite fée, qui a tellement voulu que l'on tombe amoureux, laisse échapper un cri de surprise qui me fait éclater de rire lorsque je me décolle des lèvres de Tadhg.
— Vous êtes amoureux, maintenant ? s'empresse-t-elle de demander.
Un coup d'œil entre lui et moi, dix mille promesses d'avenir, et Tadhg se met à sa hauteur :
— Oui, ma puce. Tu veux bien me la prêter ?
Dans le même temps, mes parents nous dévisage avec un air satisfait, ma mère chuchote un « je le savais », mon père un « tu le mérites, chérie » ; ils l'approuvent, ils l'acceptent dans notre famille.
— Oui, mais pas tout le temps !
Un instant plus tard, Sakura s'avance et accroche ses bras dans la nuque de Tadhg, qui la soulève du sol et la serre dans ses bras.
— Promis, ta maman restera toujours ta maman ; mais je suis très content que tu acceptes de me la prêter.
Je grave cette image dans ma tête puis caresse la joue rondelette de ma fille lorsque Tadhg passe un bras autour de ma taille pour me coller contre lui. Notre premier câlin à trois...
— Haaan, est-ce que ça veut dire que vous allez vous faire des bisous comme papy et mamie ? se rend-elle compte à voix basse, ce qui me fait pouffer.
— Oui, chérie ; c'est ce que font les personnes amoureuses, expliqué-je.
Les lèvres de Tadhg forment les mots « Je t'aime » sans que l'on entende sa voix, puis il les pose sur ma tempe une seconde avant de reposer Sakura.
— Tu m'avais dit que tu travaillais, chuchoté-je alors, parce qu'il me doit quelques explications.
— Mo ghrá, tu pensais vraiment que j'allais vous laisser tomber aujourd'hui ? Je t'ai promis de toujours être là, je te rappelle...
Oubliant presque la présence de ma fille, je scelle nos lèvres pour capturer ce bonheur, ces sentiments qui ne font que grandir depuis un mois.
— Je t'aime, koibito.
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Et les mistrals gagnants...
RomanceLucile, vingt-quatre ans, élève seule Sakura, sa fille de quatre ans. Son "joli cerisier", comme elle aime tant l'appeler. Fort, robuste, qui peut traverser toutes les tempêtes. Seulement, parfois, les tempêtes sont trop puissantes pour un si jeune...