Le 08 août 2022, Montpellier
Je vais revoir Lucile, aujourd'hui. Je doute de savoir comment me comporter avec elle, j'ai l'impression d'avoir à nouveau seize ans et d'essayer de draguer ma première petite-amie, je me suis changé trois fois pour finalement décider de rester simplement moi : jeans, tee-shirt, baskets.
Pas de messages, néant total. Est-ce qu'elle regrette de s'être lancée dans ce truc avec moi ? Je sais que notre relation a pris un virage à cent-quatre-vingt degrés, et que ça peut lui faire peur ; mais ça sera quoi, le jour où je vais vouloir l'embrasser, ce que je meurs d'envie de faire depuis des mois ? Elle va prendre peur, demander qu'on change de kinésithérapeute pour Sakura, refuser de me faire une place dans sa vie.
Trop de prise de tête, mon gars, détends-toi !
Toujours est-il que je veux tenter ma chance, et gagner cette petite guerre qui vient à peine de débuter entre nous. Qu'importe si ça doit prendre des mois ou des années : j'ai attendu, je peux encore attendre, et Lucile a besoin, en premier lieu, d'être sûre de savoir dans quoi elle se lance.**
— Bonjour, docteur Gallalou !
Dans sa petite robe jaune et ses chaussures noires, Sakura ressemble à une abeille, aujourd'hui. Les cheveux attachés en deux petites tresses collées sur son crâne, elle tire presque sa mère par la main pour la traîner derrière elle.
Les yeux rivés sur ses chaussures, Lucile ne semble pas décider à tenter de me séduire. Dommage...
— Bonjour, petite abeille ! Prête pour ton massage du jour ? demandé-je, d'un ton que je veux enthousiaste.
Voir cette gamine si à l'aise dans mon cabinet, voire même dans les couloirs du service en général, me fout à chaque fois un coup au cœur. Pourtant, elle est encore plus heureuse que tous les autres enfants que je connais.
Elle s'installe sur le tabouret comme à son habitude tandis que je lance un clin d'œil à sa mère en guise de salutation. Cette dernière roule des yeux avec un sourire malin aux lèvres. Première approche de la journée : réussie.
— Dis, tu savais que maman elle s'appelle pas maman ? s'exclame Sakura, comme si cette information venait juste de lui revenir.
Je prends un air étonné en ouvrant la bouche, tandis que Lucile hausse les épaules à mon intention.
— Ah bon ? Tu veux dire que ma maman à moi non plus, elle s'appelle pas maman ?
— Mais nooon ! Elle a un crépon, elle aussi ! explique la mini-puce en se tapant le front.
— Un pré-nom, chérie, la reprend Lucile, qui retient son rire.
Sakura lève les yeux au ciel en se débarrassant de ses sandalettes, l'air blasé que sa mère la reprenne.
— Toi aussi, t'as un prénom ? s'informe-t-elle, ses jambes balançant d'avant en arrière.
J'échange un regard avec Lucile, dont le sourire est encore plus radieux que d'habitude lorsqu'elle pointe un doigt vers sa fille en chuchotant « elle attend ».
— Bien sûr, je m'appelle Tadhg, révélé-je, ce qui vaut à Sakura un hoquet de surprise.
— Je préfère le prénom de maman, alors. Je peux t'appeler Lucile, comme elle ? C'est plus joli.
Cette fois, j'éclate de rire, vite suivi par Lucile. Un coup d'œil entre nous, et s'en est terminé pour moi : mon cœur lui appartient déjà, il faut juste qu'elle s'en rende compte.
Moue boudeuse et bras croisés, Sakura nous dévisage à tour de rôle avant de s'écrier :
— C'est pas gentil de se moquer !
Reprenant mon sérieux, je me lave les mains avec le gel hydroalcoolique avant de sortir une sucette de mon tiroir.
— Regarde ce que j'ai pour toi, petite fée : à la pomme, tes préférées !
Est-ce que je suis en train d'acheter une petite fille pour qu'elle se déride et me laisse commencer la séance ? Totalement. Est-ce que ça fait de moi un mauvais soignant ? Peut-être.
— J'ai changé maintenant, je préfère à la fraise. Mais maman les adore ! Tu peux lui donner, ça me dérange pas.
Oooh, il ne fallait pas me le dire deux fois, ça : je tends la sucrerie à Lucile, mais elle décline poliment d'un signe de la main, fixe ses yeux dans les miens et annonce avec un sourire canaille :
— Non merci, je suis pas trop sucette.
Le double-sens de ses mots parvient bien trop vite à mon cerveau. Bon sang, il y a encore un mois, elle aurait rougi en disant ça, et aujourd'hui, elle garde son sérieux tandis que je suis le con qui se liquéfie sur place.
Je déballe la sucette, la met lentement dans ma bouche en sortant exagérément la langue, puis lance d'un ton désinvolte :
— Tant pis, elle sera pour moi !
Lucile secoue légèrement la tête d'un air blasé tandis que je laisse mon regard se perdre sur son décolleté, peu prononcé mais suffisant pour réveiller mes fantasmes.
On se réveille, Tadhg, Sakura est dans la pièce !À la fin de la séance, tandis que Sakura remet ses chaussures en acceptant enfin une sucette à la pomme, Lucile joue exagérément avec une mèche de ses cheveux laissés lâchés. Elle arrête net lorsque sa fille prend la parole :
— Dis, Tadhg, tu veux venir avec maman et moi au bowling ? C'est son anniversaire aujourd'hui !
Étonné par sa proposition et cette petite révélation, je reste bien cinq secondes cloué sur place avant de poser mon regard sur la principale concernée.
— Je crois que c'est plutôt à ta maman de proposer ça, non ? m'amusé-je en voyant Lucile perdre ses couleurs avant de me lancer un regard noir.
— Elle a dit que je pouvais inviter une copine, mais j'ai pas envie. Toi, t'es un meilleur copain que ceux de l'école. Alors, tu veux venir ou pas ? s'obstine Sakura.
La petite se met à faire les yeux doux à sa mère, qui finit par craquer, pour mon plus grand bonheur. La lèvre inférieure tirée entre ses dents, un éclat nouveau brillant dans ses yeux, elle acquiesce, son regard toujours accroché au mien.
— On t'attend dans la salle d'attente, je suppose ? demande-t-elle en se relevant, avant de laisser Sakura rejoindre la porte qui mène au couloir. J'ai hâte que tu rencontres ma famille, docteur Gallagher, ça promet d'être marrant...
Oh, la garce. C'est pour ça, qu'elle a accepté que je vienne : pour que je passe un interrogatoire avec les Legrand. Et moi qui étais ravi d'y aller...
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Et les mistrals gagnants...
RomanceLucile, vingt-quatre ans, élève seule Sakura, sa fille de quatre ans. Son "joli cerisier", comme elle aime tant l'appeler. Fort, robuste, qui peut traverser toutes les tempêtes. Seulement, parfois, les tempêtes sont trop puissantes pour un si jeune...