TW : violences sexuelles
Le 07 août 2022, Montpellier
Demain, je fêterai mes vingt-cinq ans. Un quart de siècle, et l'impression d'avoir déjà porté tout le poids du monde sur mes épaules.
Pour l'occasion, je dois retrouver ma famille juste après la séance de kiné de Sakura, pour une partie de bowling. J'ai dû y jouer seulement deux fois, pourtant j'ai déjà hâte d'y être.Je n'ai pas eu de nouveau message venant de Tadhg. Tant mieux. J'ai eu quasiment quarante-huit heures pour me remettre les idées en place, et j'en suis arrivée à la conclusion que se lancer dans le jeu de la séduction était beaucoup trop risqué. Déjà, je n'aurais jamais dû commencer avec mon rentre-dedans à deux balles, et il n'aurait jamais dû y répondre. Ajouter à cela le fait que ma fille est malade, et qu'il est son kiné : une histoire entre nous, comme je l'ai déjà répété maintes et maintes fois, n'est pas envisageable, même une seconde.
En fait, je crois que je suis terrifiée à l'idée de faire entrer quelqu'un dans ma vie. Je n'ai eu personne depuis que Damien m'a larguée comme une vieille chaussette qu'on oublie dans la machine à laver, et on ne peut pas dire que ma relation avec lui ait été merveilleuse.Je n'avais pas encore dix-huit ans lorsqu'on s'est rencontrés lors d'une soirée à la fin du lycée. Il n'avait pas été scolarisé dans le même établissement que moi, et les probabilités pour que l'on se croise ce soir-là étaient quasiment nulles.
Pourtant, lorsque mon père m'a déposée devant la villa de l'un de mes camarades, il ne m'a pas fallu une heure pour tomber sous le charme de Damien. Grand, brun, des yeux noisettes... Il avait tout du mec parfait et gentil que j'imaginais comme mon idéal.
C'est lui qui est venu engager la conversation, en m'apportant un verre. On a parlé durant toute la nuit, on a dansé, et il m'a embrassé lorsqu'il a appris que nous allions tous les deux nous retrouver dans la même université à la rentrée qui suivait.
Entre nous, tout est allé très vite. Trop vite, même : deux semaines après notre rencontre, je lui offrais ma virginité, et on s'installait ensemble dès septembre. Mes parents m'avaient déjà mise en garde à de multiples reprises, mais je n'en tenais pas compte : j'étais amoureuse, heureuse, il était parfait.
Pourtant, très vite, il m'a reproché de ne pas le satisfaire entièrement sur le plan sexuel, parce que je refusais de lui faire des fellations. Ça ne faisait que cinq mois que nous étions ensemble, j'avais déjà à plusieurs reprises accepté de coucher avec lui sans en avoir réellement envie, parce qu'il était mon copain et que je me devais de lui faire plaisir.
Un soir, j'ai craqué. Je l'ai laissé me mettre à genoux et j'ai ouvert la bouche pour le prendre. J'avais l'impression de n'être réduite qu'à sa poupée gonflable, qu'il prenait pour se satisfaire et jetait quand il avait fini ses petites affaires.
Le rêve du premier amour s'est transformé en cauchemar, mais j'étais bien trop aveuglée pour m'en rendre compte. Mes copines de fac ont essayé de me faire entendre raison, en me disant qu'un couple, c'était avant tout du sexe consenti, pas accepté par la pression de l'un ou de l'autre. Mais il était mon premier : premier copain, premier baiser, première fois, premier amour...
Et puis un jour, il a décidé d'arrêter d'utiliser des préservatifs. Selon lui, ça gâchait tout son plaisir. Qu'importe si je ne prenais pas la pilule : « ça n'arrive qu'aux autres, non ? ».
Le jour de mes vingt ans, j'ai appris qu'un bébé s'était logé dans mon utérus. Je ne savais pas quoi faire, j'étais tétanisée : j'allais à peine entamer ma dernière année de licence le mois suivant, mon couple battait de l'aile... Mais déjà, je savais que cet enfant grandirait avec moi. Je n'allais pas avorter, je n'allais pas l'abandonner : je n'aurais pas pu survivre avec des regrets.
Le soir-même, quand Damien est rentré de son job d'été, je lui ai annoncé la nouvelle. Il m'a traitée de salope, il a maintenu que ce gosse n'était pas de lui... Il a été odieux, en balançant que ça allait gâcher sa vie et que si je gardais l'enfant, il partirait.
C'est ce qu'il a fait la semaine suivante. L'appartement où nous logions était payé par mes parents, donc il n'avait aucun moyen de me mettre dehors ; il a pris ses affaires lorsque j'étais absente, et il est parti, sans donner de nouvelles.
Tomber sur lui au cinéma, la dernière fois, a fait remonter tout l'enfer que j'ai vécu avec lui.Faire rentrer Tadhg dans ma vie, ça serait prendre le risque de redevenir un pantin dans une relation qui finirait par me tuer.
**
Je m'apprête à fermer la porte de la chambre de Sakura lorsque sa petite voix s'élève dans la pièce, me faisant revenir auprès d'elle.
— On pourra demander à papa de nous accompagner au bowling ? demande-t-elle doucement, déjà à moitié endormie.
— Je te l'ai déjà expliqué, mon cœur : papa, il est parti. Il a juste mis la petite graine de cerisier dans mon ventre pour que tu fleurisses, tu comprends ?
Ce mot a commencé à sortir de sa bouche le jour où l'on a croisé Damien au cinéma. Je voudrais le rayer de son vocabulaire pour le reste de sa vie, mais comment expliquer à une si petite fille qu'à la différence de ses camarades, son papa à elle n'a jamais rien voulu savoir sur elle ?
— Mais je sais, que papa est parti ! Je te parle de mon autre papa. Le docteur Gallalou.
Pincement au cœur, l'impression qu'on me plante un couteau dans la poitrine. J'aurais dû m'y attendre, à celle-là. Je ravale la boule qui s'est logée dans ma gorge avant de répondre :
— Chérie, le docteur Gallagher n'est pas ton papa, tu le sais hein ? expliqué-je en caressant ses cheveux.
— Mais toi non plus, ton papa c'est pas ton vrai papa. Pourtant tu l'aimes fort fort fort, non ?
J'acquiesce, prête à tout entendre de la bouche de ma petite fille.
— Bah moi, c'est pareil : mon vrai papa, je l'aime pas parce qu'il a jamais été là. Mais le docteur, il a toujours été là, alors je l'aime fort fort fort, donc c'est lui mon papa.
Je crois que je vais fondre en larmes devant elle. Quatre ans, et déjà tellement mâture...
— Ma puce, tu peux aimer le docteur très très fort, mais tu ne peux pas l'appeler « papa », d'accord ? finis-je par dire.
— Mais je dois l'appeler comment, alors ? Est-ce qu'il a un crénom, comme moi ?
Je retiens mon rire et m'allonge à côté d'elle, passant un bras autour de sa taille pour la serrer contre moi.
— Tout le monde a un prénom, chérie. Moi aussi, j'en ai un.
— Oui, je sais, c'est « maman » ! assure-t-elle, sérieuse.
Je pouffe.
— Non, « maman » c'est juste pour toi. Mon prénom, c'est Lucile, révélé-je, le sourire aux lèvres.
— D'accord. Bonne nuit, maman.
La logique d'un enfant. La logique de ma petite fille... c'est tellement doux, attendrissant... Et je me fais une promesse : Damien ne rentrera jamais dans sa vie. Il est hors de question qu'il la bousille comme il l'a fait avec moi.
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Et les mistrals gagnants...
RomanceLucile, vingt-quatre ans, élève seule Sakura, sa fille de quatre ans. Son "joli cerisier", comme elle aime tant l'appeler. Fort, robuste, qui peut traverser toutes les tempêtes. Seulement, parfois, les tempêtes sont trop puissantes pour un si jeune...