Chapitre 16 - Lucile

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Le 26 juin 2022, Montpellier

>Damien, reçu à 14h32 : Elle est belle, notre fille. Je l'avais déjà remarqué sur les photos que tu m'as envoyées ces dernières années, mais la voir en vrai... Tu n'as pas le droit de refuser de me laisser la connaître, Lucile. Je ne te demande pas la Lune ; juste de rattraper le temps perdu avec elle, et qu'elle puisse rencontrer son petit frère.

     J'appréhendais déjà plus que de raison cette sortie aujourd'hui, mais j'avais promis à Sakura de l'amener voir son premier dessin-animé au cinéma. On a regardé tous les Toy Story hier, pour lui faire oublier le départ de Grégory, et elle a adoré ; j'ai donc pris sur moi pour prendre les transports en commun avec elle.
     Seulement, il a fallu que je tombe sur Damien. Je ne l'avais pas revu depuis peu après l'annonce de ma grossesse, lorsqu'il a claqué la porte de mon appartement en me jurant qu'il n'aurait aucun lien avec cet enfant.
     J'ai cru que j'allais vomir sur ses chaussures, devant ma fille. Ajoutez à cela le fait que lui et Tadhg se connaissent, et j'ai détesté le karma que je me traîne depuis des années. Jusqu'à ce que le kiné nous rattrape devant les portes intérieures du cinéma, je l'ai catalogué comme le même genre de connard que Damien ; sauf qu'il a pris ma défense, qu'il m'a donné raison, et qu'il a réussi à me faire sourire alors que j'avais juste envie de fondre en larmes.
     Le géniteur de Sakura n'a jamais pris de ses nouvelles, pas une seule fois. Je me suis obstinée à lui envoyer des messages, en espérant obtenir au moins un « bonjour » de sa part, mais j'ai arrêté de m'accrocher à cette illusion. Je suis certaine que si on ne s'était pas croisés tout à l'heure, il n'aurait pas demandé à créer des liens avec elle ; il est bien trop égoïste pour ça.

     — Maman ! Tu m'écoutes ?
     Je range mon téléphone dans mon sac sans prendre la peine de répondre à son premier texto depuis presque cinq ans et me reconcentre sur ma petite fille, installée entre Tadhg et moi dans le dernier rang.
     — Oui, ma puce ?
     — Tu veux goûter un pop-porn ?
     Elle a posé sa question à voix haute. Très haute, tellement que plusieurs mamans se retournent, une expression choquée sur leur visage. Tadhg rit dans sa barbe, je ne résiste pas à lui lancer un regard noir avant de répondre à ma fille :
     — Sakura, c'est un pop-CORN. Comme le C de « caillou ».
     Mademoiselle semble douter de ce que je viens de lui dire ; les yeux plissés, elle se tourne vers son kiné et lui parle à voix basse, de façon à ce que je ne puisse pas entendre.
     C'est alors que je prends conscience d'une chose : Sakura connaît Tadhg depuis trois ans, elle le voit presque tous les jours. C'est à lui qu'elle raconte ses journées d'école, ses petits bobos, c'est avec lui qu'elle a appris à dire le mot « chocolat » correctement... Il a toujours été là. Son modèle paternel, c'est lui.
     — Oui, chipie, ta maman a raison. C'est du pop-corn.
     Non mais je rêve, elle a fait confirmer à son kiné ce que je lui ai appris ? La tendresse qui avait pris part en moi redescend d'un coup tandis que j'ignore la lueur amusée dans les yeux de Tadhg.
     Les lumières de la salle s'éteignent, nous baignant dans l'obscurité, seul l'écran sur lequel défilent des publicités nous offrant un peu de lumière. Sakura laisse échapper un souffle de surprise, manquant de faire tomber le carton de pop-corn posé sur elle. Je m'empresse de le retenir, tout comme Tadhg, et nos mains se frôlent une seconde. La tension qui passe entre nous avec ce simple contact n'est pas du tout habituelle. Pas normale. Je dégage mes doigts la première, murmurant un « désolée » du bout des lèvres, tandis que son sourire quitte les siennes.
     — Waw, t'avais raison maman ! Elle est immense, la télé ! note Sakura sans se rendre compte du petit malaise installé autour d'elle.
     Je pouffe, tandis que la main de ma fille attrape celle de Tadhg sur l'accoudoir du fauteuil. Le contraste entre les petits doigts de Sakura et ceux, plus longs, de son kiné, est absolument adorable. Elle a crée de vrais liens avec lui, depuis toutes ces années. Le fait est que lui a compris ce dont ma fille avait besoin : d'un homme, autre que son oncle, capable de la faire sourire. Et il tient son rôle à merveille.

     Je n'aurais jamais cru possible que ma petite pipelette réussisse à écouter le film sans poser dix milles questions. Cependant, je dois dire qu'elle vient de m'étonner : elle a réussi à tenir sa langue pendant plus d'une heure, piochant dans les pop-corn un à un sans en laisser une miette.
     — C'était trop bien ! T'as aimé, docteur Gallalou ? Il est trop fort Buzz l'éclair, comme toi !
     J'ai profité du silence, je l'avoue ; mais je profite encore plus de la joie qui irradie de Sakura à la sortie du cinéma. Elle n'a toujours pas lâché la main de Tadhg, et ce dernier ne semble pas s'en soucier, si bien que je commence à me dire qu'il ne fait pas semblant, avec elle ; il l'apprécie vraiment, et pas seulement parce qu'elle est sa patiente.
     — Il est plutôt fort comme toi, petite demoiselle !
     — Et comme maman, aussi ! Pas vrai qu'elle est trop forte ?
     Je crois qu'elle est toujours autant décidée à nous faire tomber amoureux, cette canaille. Et je crois aussi que quelque part, j'ai beau la reprendre à chaque fois, j'apprécie le fait qu'elle se soucie de moi. Seulement, je n'ai besoin de rien d'autre qu'elle pour être heureuse ; l'amour avec un homme, j'ai donné une seule fois, et j'ai été déçue. Hors de question que je recommence sous peu.
     — C'est même la maman la plus forte du monde, que tu as ! T'as beaucoup de chance, tu sais.
     Ma petite fille réfléchit quelques secondes, entremêle ses doigts aux miens et regarde en l'air pour croiser le regard de Tadhg.
     — Je peux te la prêter si tu veux. Comme ça, on pourra passer toute la vie ensemble.
     Je crois que je vais pleurer, maintenant. D'un côté, je déteste le fait qu'elle se soit tellement attachée à lui ; s'il quitte le CRCM demain, elle ne s'en remettrait pas. D'un autre, je suis la plus heureuse du monde de voir qu'elle a trouvé un allié en lui.
     Tadhg, lui, éclate de rire en se mettant à la hauteur de Sakura :
     — J'ai déjà une maman que j'aime beaucoup, tu sais. Mais je te promets une chose : je serai toujours là pour toi. Si tu veux me confier tous tes petits secrets, je ne dirai rien à ta maman, d'accord ? Tu pourras toujours venir me parler.
     Une bulle de tendresse éclate dans ma poitrine, laissant une marque immense sur mon cœur. Mathilde et Grégory ont raison : cet homme est parfait en tous points. Mais entre lui et moi, il ne se passera jamais rien ; Sakura est la seule dans mon cœur et dans ma vie, je refuse d'y faire une place à quelqu'un d'autre.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant