Chapitre 10 - Lucile

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Le 05 avril 2022, Montpellier

     — Mesdemoiselles, je vous souhaite la bienvenue à la fête d'anniversaire de la plus gentille petite fée de toute la ville ! nous accueille Tadhg à peine la porte ouverte.
     Il se décale d'un pas pour nous laisser entrer, et ma petite puce se met à sautiller sur place, les yeux grands ouverts, un large sourire sur son visage.
     — Waaaaw ! C'est toi, qui a fait ça ?
     Des ballons sont accrochés au plafond, ne laissant pas un seul espace de libre ; au mur, une grande banderole annonce « Joyeux Anniversaire ! » et, juste en dessous, un autre ballon représentant le chiffre 4 voltige avec la ventilation du cabinet.
     — Moi ? Non. Des petits lutins sont venus me voir juste avant ton arrivée, pour me souffler à l'oreille qu'aujourd'hui était un jour merveilleux ; une seconde après, mon bureau était prêt pour célébrer ton anniversaire.
     Samedi, Sakura n'a pas décroché un mot de toute la séance. Lorsqu'il lui a demandé ce qui n'allait pas, elle lui a avoué qu'aucune de ses copines de l'école ne pouvait venir demain, pour la fête d'anniversaire qu'elle a voulu organiser. Mon cœur était déjà brisé de l'avoir récupéré toute triste à la sortie de l'école la veille, et les larmes qu'elle a laissées échapper ont fini de m'achever. Alors voir qu'il a pris du temps pour préparer tout ça, juste pour lui redonner le sourire... merde, Mathilde avait raison, il y a deux ans : il est parfait.
     — Est-ce qu'il y a un gâteau, aussi ? Et des cadeaux ?
     — Sakura, chérie, ce n'est pas quelque chose qu'il faut demander, ça.
     Elle m'ignore, bien trop absorbée à essayer d'attraper la ficelle d'un ballon. Mon regard croise celui du kiné, et je lui adresse un sourire en murmurant un « merci ». Mon cœur rate un battement lorsqu'il me sourit en retour, nos yeux restant accrochés une longue seconde avant qu'il détourne le regard.
     — Avant le gâteau, petite chipie, on va devoir tousser de la poussière de fée, d'accord ?
     — Est-ce que tu peux regarder le bras de maman, d'abord ? Elle s'est fait un bobo hier.
     Je sens mes joues chauffer lorsque le docteur Gallagher reporte son attention sur moi, les sourcils légèrement froncés.
     — Juste une mauvaise position, j'ai dû me froisser un muscle, expliqué-je, le voyant s'approcher d'un pas.
     — Je peux jeter un œil ?
     Je m'apprête à protester, mais la petite puce qui nous dévisage à tour de rôle, un petit sourire en coin, m'en empêche :
     — Allez, maman, le docteur Gallalou, il est trop doué pour soigner les bobos !
     Je soupire et enlève mon gilet, dévoilant mon épaule droite. Rien que de l'effleurer me fait légèrement grimacer, mais je serre les dents.
     — Vous pouvez lever l'épaule ?
     Planté devant moi, avec le même air soucieux qu'il a parfois lorsque Sakura a du mal à prendre sa respiration, il attend que je fasse le mouvement et pose une main sur ma clavicule, l'autre sur mon poignet. Assise face à lui, je n'ose pas relever la tête.
     Il me fait faire quelques rotations, appuyant légèrement à l'endroit exact où la douleur se fait ressentir. Après bien deux minutes, il finit par s'écarter, et ma peau, réchauffée par la paume de sa main, est à nouveau exposée à la température ambiante, bien plus fraîche.
     — Vous avez raison : vous vous êtes froissée un muscle. Vous avez une balle de tennis, chez vous ?
     J'acquiesce, ignorant le petit pouce qui se lève derrière le dos de Tadhg.
     — Il faudra faire quelques exercices pour essayer de dénouer tout ça. Allez, mademoiselle, à ton tour maintenant !

     Il a vraiment prévu un gâteau. Et des cadeaux. Deux, pour être exacte : un livre de coloriage, et une nouvelle peluche, cette fois-ci en forme de renard. Sakura a déjà repris deux fois du gâteau, moi qui avait passé la journée à lui préparer son plat favori : les lasagnes. Bon, au moins, le déjeuner est prêt pour demain...
     — Dites, docteur, est-ce que vous avez une amoureuse ?
     — Sakura !
     — Bah quoi, j'ai pas le droit de demander ?
     Elle a toujours été un peu trop curieuse, cette maligne. Je suis sûre à quatre-vingt-quinze pourcent que ma sœur n'est pas innocente, dans l'histoire ; madame me demande sans cesse si le kiné « sexy, charmant et qui fait mouiller les petites culottes » m'a invitée à sortir au détour d'une conversation sur l'état des poumons de ma fille. Et je ne blague pas.
     — Et toi, chipie, tu as un amoureux ?
     Haussant les épaules, Sakura lève les yeux au ciel.
     — Bah oui ! Je suis plus un bébé ! Alors, t'as une amoureuse, ou pas ?
     Le principal concerné me jette un coup d'œil, probablement pour s'assurer que je ne suis pas à l'origine de tout ça.
     — Non, je n'ai pas d'amoureuse.
     — Maman non plus, elle a pas d'amoureux. Tu veux devenir le sien ?
     J'avale ma salive de travers, une quinte de toux s'ensuit inévitablement. Tadhg, lui, éclate d'un rire nerveux. Quant à Sakura, elle attend patiemment la réponse, concentrée sur lui.
     — Ça ne marche pas comme ça, tu sais.
     — Ah bon ? Pourtant, Elliot, il a juste demandé si je voulais être son amoureuse parce que je suis jolie, et j'ai dit oui. Tu trouves pas maman jolie, toi ?
     OK, je vais finir par la faire sortir d'ici par la peau des fesses si elle continue. Du haut de ses quatre ans, elle n'a pas du tout conscience de l'éléphant qui s'installe dans la pièce. Je sens le regard de Tadhg posé sur moi, mais je fais tout pour éviter de le croiser.
     — Je n'ai pas dit ça, mais quand on est grand, il y a plein d'autres choses qui font que deux personnes sont amoureuses.
     OK, comment faire comprendre gentiment que je ne suis pas du tout son genre, merci ma fille !
     — Est-ce que ça veut dire qu'un jour, maman et toi vous serez amoureux, peut-être ?
     — Chérie... On ne décide pas de qui on tombe amoureux, tu sais, argumenté-je.
     Elle fronce les sourcils, l'air de ne pas totalement comprendre, et pointe du doigt le dessin qu'elle a dessiné pour le kiné, scotché sur le mur.
     — Mais regarde, maman, le docteur a mis mon dessin pour le regarder tous les jours, et toi aussi t'es dessus ! Ça veut dire que vous pouvez être amoureux, tous les deux.
     — Sakura, je crois que ta maman et moi, on est assez grands pour se débrouiller seuls, d'accord ? C'est très gentil à toi de vouloir lui trouver un amoureux, mais ce n'est pas ton rôle, tu comprends ?
     Sa lèvre inférieure se retrousse tandis qu'elle baisse la tête, terminant son morceau de gâteau en silence.
     — On peut y aller, maman ? Je suis fatiguée.
     Il est à peine dix-huit heures, mais elle a terminé ses exercices il y a une demi-heure, et avec sa journée d'école juste avant, elle tombe tout le temps de fatigue aux alentours de vingt heures. Aussi, je l'aide à ranger ses cadeaux, remercie Tadhg pour sa surprise, et regarde ma fille, toute déçue, marcher trois pas devant moi, elle qui me tient pourtant tout le temps la main.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant