-4 - Lucile

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Le 02 avril 2023, Yoshino

     Tout correspond. Le pyjama, la couverture, la peluche. Le mot qui accompagnait mon couffin.
     J'ai réussi. Ça n'a pris que quelques minutes sur place pour que je retrouve mes origines.
     Je manque de m'étrangler avec mes pleurs lorsque je sors la photo de mon sac à main, la tend à l'homme assis en face de moi, le regarde ouvrir de grands yeux et prendre sa tête entre ses mains.
     Mon grand-père.
     — J'ai passé vingt-cinq ans à chercher à retrouver ta trace, annonce-t-il. Vingt-cinq ans à en vouloir à ma fille d'avoir abandonné son bébé...
     Tadhg reste en retrait, ne comprenant sûrement rien à ce que l'on raconte. De mon côté, je peux enfin mettre à profit mes sept ans de cours de japonais, et apprendre mes origines.
     — J'ai été adoptée en France, expliqué-je en ravalant mes larmes. L'orphelinat a attendu quelques mois pour essayer de retrouver une trace, une mère, une famille, mais rien n'est sorti.
     Il me dévisage quelques secondes, baisse les yeux vers ses mains liées devant lui.
     — Tu lui ressembles tellement... Je n'en reviens pas.
     — Vous savez pourquoi elle a fait ça ?
     — Notre famille n'avait pas d'argent. Ton géniteur était un homme marié, déjà père, qui ne voulait pas débourser un sous pour toi... Alors un jour, sans prévenir personne, elle est partie en Chine. Quelques années plus tard, elle nous envoyait cette photo, sans plus de précision. Ta grand-mère a passé le reste de sa vie à essayer de la retrouver, de te retrouver, toi, et elle est morte sans avoir réussi... Puis le nouveau compagnon de ma fille m'a contacté pour m'annoncer son décès. Il disait qu'elle n'avait pas les idées claires, qu'elle répétait sans cesse qu'elle était un monstre, et qu'il ne comprenait pas. Elle a fini par se tuer.
     Je ne m'étais jamais montée de film sur ma naissance. Je n'avais jamais rien imaginé, jamais rien cherché à savoir.
     Pourtant, maintenant que j'ai la vérité, j'ai l'impression qu'un poids dont j'ignorais l'existence quitte mes épaules.
     Je ne suis pas née au Japon. Ma mère n'a pas voulu de moi. Mais elle s'en est voulue.
     — Comment s'appelait-elle ? demandé-je d'une petite voix, en tenant fermement la main de Tadhg dans la mienne.
     — Sakura.
     Mes larmes redoublent. Quelle était la probabilité pour que je donne à ma fille le prénom de ma mère biologique, sans même le savoir ?
     Tadhg passe ses bras autour de moi, m'embrasse la tempe, tandis que je reprends ma respiration et relève les yeux vers l'inconnu.
     — Je suis maman, avoué-je alors. D'une petite fille, qui s'appelle Sakura.
     Je crois qu'il a du mal à avaler l'information. Il reste trois minutes à me regarder en silence, finit par se lever et vient poser une main sur mon épaule.
     — Quel âge a-t-elle ?
     — Cinq ans.
     C'est moi qui fais le premier pas vers lui. Qui me lève du sofa, et qui le prend dans mes bras.
     Parce que j'ai attendu plus de vingt-cinq ans pour découvrir mes racines, et que cet homme, cet inconnu, a passé sa vie à se demander où était passée sa petite-fille.
     Parce que j'ai une famille, en France. Des parents, des frères et sœurs, des grands-parents. Mais qu'aujourd'hui, j'en découvre également une ici. Au Japon. Et que je peux enfin arrêter d'avoir peur que l'on m'abandonne, enfin reprendre ma respiration.
     — Je m'appelle Akifumi, se présente-t-il enfin.
     Il se détache de mon étreinte pour me tenir par les épaules, un léger sourire aux lèvres, alors que je me présente à mon tour.
     Puis la conversation reprend. Je lui présente Tadhg, je lui montre une photo de ma famille, de ma sœur, de mon frère, de ma fille, il sort l'album contenant les photos de la sienne, d'une mère biologique jamais connue, d'une grand-mère décédée sans savoir où j'étais, d'une vie à laquelle j'aurais pu appartenir.
     Durant plus de trois heures, chacun parle à tour de rôle. Les liens se tissent, les rires s'élèvent, Tadhg prend part à la conversation tandis que je fais la traduction, et le visage du vieil homme devient serein. Sur son front, les rides d'inquiétude se font moins marquées. Sur ses lèvres, le sourire se fait plus large.
     Dans mon cœur, la douleur de l'abandon se tait.

     Le soir-même, alors que nous rentrons à peine à l'hôtel, mes parents se précipitent vers moi pour me prendre dans leurs bras.
     Je leur explique tout, je leur raconte ce que j'ai appris, je leur montre une photo de la femme qui m'a donné la vie, des grands-parents démunis qui ont cherché à me retrouver, je leur promets que je serai toujours leur fille, à eux seuls.
     Et puis les larmes se tarissent, Sakura s'endort sur mes genoux, mes parents regagnent leur chambre.
     La pièce se fait silencieuse, Tadhg m'embrasse, je dépose ma fille dans son lit.
     — J'arrive pas à croire que tout ça est réel, avoué-je à demi-mot alors que je suis installée contre Tadhg, sous les draps que nous partageons.
     — Tu te sens bien ? ose-t-il demander, ses doigts traçant des cercles sur mon épaule.
     Je lève les yeux vers lui, contemple son profil, sa mâchoire, son nez, ses lèvres, embrasse son cou.
     — Plus que bien. Je me sens plus légère, et prête à traverser les deux ans de tempête qui nous attendent.
     Parce que malgré cette journée, malgré ce poids envolé, un autre reste sur ma poitrine. Un poids qui ne disparaîtra jamais, pas même lorsque mon cerisier n'aura plus aucune fleur.
     Le mistral a décidé de souffler encore plus fort qu'avant. Il a décidé de déraciner l'arbre, laissant les racines impuissantes.
     Et je suis prête à les faire tenir aussi longtemps que possible, maintenant.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant