Chapitre 68 - Tadhg

34 5 1
                                    

Le 26 novembre 2022, Montpellier

     Je suis terrifié.
     Mes parents ont atterri hier, tard dans la soirée, et ont passé la journée à l'hôtel pour se reposer de leur voyage. Je leur ai proposé à plusieurs reprises de dormir chez moi, étant donné que j'ai une pièce de libre, mais ils ont refusé.
     Ils doivent venir dîner ce soir. Et rencontrer Lucile.
     Grégory et Pablo se chargent de garder Sakura, qui est sortie de l'hôpital il y a quelques jours et qui reprend peu à peu du poil de la bête. Ma jolie petite-amie a revêtu une robe-chemise lui arrivant à mi-cuisses sur des collants transparents, et elle a pris le temps de mettre une touche de mascara – bien que je lui ai répété qu'elle n'en avait pas besoin.
     Dans ma tête, mille interrogations se bousculent : est-ce qu'ils vont l'apprécier ? Est-ce qu'ils vont encore parler de mon frère aîné, bien que je ne l'aie jamais connu ? Est-ce que je vais devoir entendre leur sermon sur mon choix de carrière, de vie ? Est-ce qu'ils vont encore insister pour que je retourne vivre en Irlande, ce pays dans lequel je ne me sens pas chez moi ?
     — Koibito, tu me donnes le tournis, me prévient Lucile en passant ses bras autour de moi, collant sa joue contre mon torse.
     Je l'embrasse sur le front, essaie de détendre mes mâchoires crispées et enfouis mon visage dans son cou, que je mordille légèrement.
     — Je veux juste que cette soirée se passe au mieux, Lucile... avoué-je contre sa peau.
     L'une de ses mains remonte jusque dans mes cheveux, son nez se fourre contre mon épaule, et je sais que ma place est, et sera toujours, ici. Dans ses bras. Avec son odeur, sa chaleur, son corps.
     — C'est moi, qui devrait être flippée ! Vous allez pouvoir parler de moi sans que je comprenne un seul mot.
     Je lui promets de garder des conversations en anglais, et de lui faire la traduction si mes parents se décident à papoter en irlandais. Après un dernier baiser sur ses lèvres pleines, l'interphone sonne dans l'entrée, annonçant l'arrivée imminente de mes parents.
     Je déglutis péniblement avant d'aller ouvrir la porte, Lucile restant légèrement en retrait dans le salon.
     — Hey, honey !
     Ma mère est la première à me prendre dans ses bras, mon père se contente d'une tape sur l'épaule. Je les débarrasse de leurs affaires, ajoute qu'ils n'avaient pas besoin d'apporter une bouteille de vin, puis leur fais signe de rejoindre le salon. Lucile semble intimidée, mais ça ne dure qu'une seconde avant qu'elle fasse un pas en direction de mes parents.
     — Nice to meet you, Mr and Mrs Gallagher ! salue-t-elle dans ma langue natale, et je vois déjà qu'elle marque un point auprès de mes parents. I'm Lucile.
     — Oh, vous pouvez nous appeler par nos prénoms, darling ! annonce ma mère en butant sur chaque mot en français. Je suis Siobhan, et voici Tyron.
     Mon père tend une main à Lucile, qu'elle serre doucement en me jetant un coup d'œil.
     — She's my girlfriend, éclairé-je en passant un bras autour de sa taille.
     Elle rougit légèrement lorsque mes parents laissent échapper leur surprise dans un petit sursaut, avant de m'interroger du regard.
     — D'fhéadfá a bheith inis dúinn !
     Tu aurais pu nous le dire.
     — Je n'ai pas eu l'occasion de le faire, maman, marmonné-je en irlandais.
     — Tadhg ! Ça dure depuis combien de temps ?
     J'offre un sourire rassurant à Lucile, dont les yeux font l'aller-retour entre mes parents et moi, perdus.
     — Trois mois. Mais on se connaît depuis trois ans et demi.
     Je leur fais signe de s'asseoir pour couper court à la conversation, rejoins la cuisine pour récupérer l'apéro et écoute d'une oreille distraite la conversation qui débute entre ma mère et Lucile. Par moment, la première s'adresse à papa en irlandais, et je grimace légèrement lorsqu'elle aborde le sujet de la parentalité. Dans une heure, elle parlera de Ciaran, et à la fin de la soirée, elle me préviendra que sortir avec la maman d'une petite fille condamnée est une très mauvaise idée.
     Je les retrouve pour écourter le malaise qui s'empare de Lucile quand elle annonce être maman d'une petite fille, m'installe à côté d'elle et embrasse rapidement sa joue pour la rassurer.
     — Do you have a photo of her ? s'empresse de demander ma mère, qui ignore le raclement de gorge de mon père.
     Lucile sort son téléphone et l'allume sur la page d'accueil, puis le tend à mes parents.
     — Elle s'appelle Sakura, éclaire-t-elle avec un grand sourire.
     — Elle est très jolie ! Elle vous ressemble beaucoup. Et vous deux, alors ? Comment vous êtes-vous rencontrés ?
     Lucile se ratatine légèrement, reprend son téléphone en remerciant ma mère et tourne son visage vers moi, attendant que je prenne le relais. Je gonfle les joues et hausse les sourcils une longue seconde, puis me lance :
     — Je m'occupe de Sakura depuis ses un an. De fils en aiguille, on a fini par se rapprocher, tous les deux, expliqué-je grossièrement, histoire de ne pas m'aventurer trop loin.
     Et parce que je redoutais la réaction de mes parents, qui est immédiate : ma mère plaque une main sur sa bouche pour retenir son hoquet de surprise lorsqu'elle comprend que Sakura est malade, mon père me fait les gros yeux et secoue légèrement la tête. Lucile se mord les lèvres, gênée, tandis que je raffermis ma prise sur sa taille.
     — Ní smaoineamh maith é seo ar chor ar bith, Tadhg...
     Ce n'est pas du tout une bonne idée.
     — Maman, j'ai vingt-huit ans, je fais ce que je veux. J'aime Lucile, et j'aime sa fille : je n'ai pas besoin de ton avis. Ni de celui de papa, ajouté-le en le voyant ouvrir la bouche.
     Un silence s'abat dans la pièce, jusqu'à ce que je tape dans mes mains et leur annonce que le dîner est prêt. J'attends que mes parents s'attablent pour dégager une mèche de cheveux du visage de Lucile, puis me penche vers son oreille et murmure :
     — Tout va bien se passer, joli cœur. Ils t'adorent déjà.
     — Alors pourquoi ils parlent en irlandais ? s'inquiète-t-elle – à juste titre.
     Je cueille ses lèvres pour éviter de répondre, puis la guide auprès de mes parents d'une main dans le creux de ses reins.



     Plus aucune remarque à la con pour le reste du dîner. Je viens de servir le dessert, une tarte aux pommes que Lucile a préparée, lorsque ma mère revient à la charge :
     — Et de quelle maladie souffre votre fille ?
     Lucile m'interroge du regard, alors je me charge de traduire le mot « mucoviscidose » pour mes parents, en ajoutant que je ne travaille qu'auprès de ces patients.
     — Mais elle va bien, en ce moment, se dépêche de rassurer Lucile lorsque maman fronce les sourcils. Elle a été malade la semaine dernière, mais tout est rentré dans l'ordre.
     — Tant mieux, alors. Vous savez, parfois... Parfois, la vie ne nous offre pas tout le temps que nous souhaiterions avoir...
     La remarque de ma mère jette un petit froid dans la pièce, encore plus lorsqu'elle reprend la parole, touchant du doigt le sujet que je redoutais depuis le début : Ciaran.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant