Chapitre 74 - Lucile

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Le 14 décembre 2022, Montpellier

     — Maman, on pourra aller voir le Papa Noël après ?
     Ça, c'est la chose la plus merveilleuse de la vie : voir un enfant s'extasier et compter les jours qui le séparent de l'arrivée du Père Noël. Sakura ne déroge pas à la règle, et vient de nous casser les oreilles pendant deux heures pour faire une nouvelle liste de cadeaux. J'ai refusé en lui expliquant que le Père Noël avait déjà probablement bouclé toutes les commandes, et qu'il était trop tard pour en ajouter de nouveaux.
     — On ira plutôt ce week-end, d'accord ? Tadhg va nous attendre pour tousser la poussière de fée, l'informé-je en lui remettant son bonnet, après une pause bien méritée au Starbucks du Polygone.
     Nous avons passé la journée entière à vadrouiller dans les rues, et il est déjà seize heures. Le temps que nous rejoignons le CHU, on sera certainement en retard pour la séance de kiné, mais juste pour le sourire qui n'a pas quitté le visage de ma fille aujourd'hui, je m'en fiche.
     Grégory part devant, tenant la main de Sakura alors que nous traversons la Place de la Comédie. Mathilde et moi restons quelques pas derrière, et ce que je redoutais depuis ce matin arrive enfin : ma sœur me lance un sourire en coin, un clin d'œil suggestif et se rapproche de moi.
     — Bon... Ton Irlandais, alors ? s'enquérit-elle sans se départir de sa bonne humeur.
     — Disons que ça marche plutôt bien... Sur tous les plans, lâché-je rapidement.
     Elle plisse les yeux avant de me lancer son regard de grande sœur, celui dont elle a le secret et qui veut dire : « va falloir m'en raconter plus, Lulu, ou je vais sonder ton âme jusqu'à tout découvrir ». Oui, je ne plaisante pas.
     — Je pensais que tu exagérais avec le sexe, éclairé-je plus bas, mais j'avoue que quand c'est consenti, ça a quelque chose de magique. Un vrai moment d'intimité, de partage, et d'amour.
     Je n'ai jamais été du genre à me confier sur ma vie privée. Peut-être parce que la seule fois où j'ai osé le faire, mes amies de l'université ont eu raison et que j'ai refusé de les écouter tant qu'il en était encore temps. Pourtant, Mathilde et Grégory sont les seuls avec qui je sais que je peux parler librement, sans peur d'être jugée, et qu'ils sauront me dire ce qu'il y a de mieux pour moi.
     — Mais vous n'avez pas... Boum-boum, quoi, souligne-t-elle en faisant passer son index droit dans un cercle formé par son pouce et son index gauche.
     Très classe, de faire ça en public !
     — Mathilde ! la réprimandé-je en tapant son bras. Non, on n'a pas encore fait... ça. Il n'empêche qu'il me satisfait déjà.
     Elle s'arrête subitement, me retient par le poignet et approche sa bouche de mon oreille pour demander :
     — Il a réussi à te faire jouir ?
     J'écarquille les yeux, cherche du regard n'importe quoi susceptible de faire passer mon suicide pour un accident, mais acquiesce honteusement.
     — Il te répare, Lulu. Le kiné méga sexy répare ce que l'autre fils de pu... Mauvaise fille, se corrige-t-elle en voyant Sakura et Grégory nous rejoindre, a brisé. Il recolle les morceaux de ton cœur, et il n'y a qu'à voir la façon dont il te regarde pour se rendre compte de tout l'amour qu'il te porte.
     — Alors pourquoi j'ai l'impression d'être en plein rêve, qui risque de partir en fumée le jour où je vais me réveiller ? avoué-je dans un souffle.
     Grégory m'offre un large sourire et pose une main sur mon épaule, avant d'assurer :
     — Alors ne te réveille jamais, Lucile. Laisse le rêve continuer, laisse Tadhg t'aimer, laisse-le te rendre heureuse et te redonner goût en l'amour.
     — Et si je ne méritais pas tout ça ? Imagine que ça se termine mal entre nous, et que je doive trouver un autre kiné pour Sakura...
     D'ailleurs, cette dernière n'écoute pas un traître mot de notre conversation, bien trop absorbée par un groupe de pigeons qui picorent des bouts de pain non loin de là.
     — Arrête de te prendre la tête, sœurette. Vous vous aimez sincèrement, tous les deux, il a été là à chaque étape importante, il n'y a aucune raison pour que ça se termine mal – ou que ça se termine tout court, d'ailleurs.
     Je le remercie avec un petit sourire légèrement forcé et laisse mes deux acolytes de toujours me traîner jusqu'à l'arrêt de tramway, Sakura dans les bras de son oncle.

>Moi, envoyé à 16h14 : Tu m'en veux, si je te dis qu'on risque d'avoir un peu de retard ? On n'a pas vu le temps passer...

>Tadhg, reçu à 16h15 : Sakura a voulu s'arrêter devant toutes les vitrines pour regarder les décors ?
Ça dépend... tu acceptes de rencontrer Camille, Marc et Olivier samedi soir ? Les femmes de Camille et Olivier seront là, et il y aura un petit de l'âge de ta fille.

>Moi, envoyé à 16h17 : Comment t'as deviné ?
Mmmh... T'es sûr que t'as pas envie de jouer au célibataire encore un peu ?

     — Mais t'es conne ou quoi ?!
     Je m'écarte de Grégory en cachant l'écran de mon téléphone, les sourcils froncés.
     — Lucile, putain, tu viens d'insinuer que vous n'étiez pas en couple ! reprend-il en ignorant les coups d'œil des autres passagers du tram.
     — D'où tu lis mes messages, déjà ? rouspété-je. Et qui te dis que j'ai insinué ça ?
     — « Jouer au célibataire », Lulu. Le mec veut que tu rencontres ses meilleurs potes, et tu lui demandes s'il veut pas plutôt « jouer au célibataire ».
     — Bah écoute, on veut pas tous jouer à touche-pipi comme tu viens de le demander à Pablo, me défends-je avec un sourire mesquin aux lèvres. Moi aussi, je sais lire, frérot.
     Il laisse échapper un long soupir et passe une main dans ses cheveux, avant de me faire signe qu'on arrive à l'arrêt de tramway où l'on doit descendre, Sakura et moi.
     Je lui lance un dernier regard noir puis sors, ma fille essayant de sauter les quelques flaques d'eau, vestiges du déluge de pluie qui nous est tombé dessus il y a quelques jours.


     — Mesdemoiselles, comment allez-vous depuis ce matin ? demande Tadhg en s'accroupissant pour embrasser la joue de Sakura. T'as passé une bonne journée, ma puce ?
     — Avec maman, on va aller voir le Papa Noël bientôt, tu viendras ?
     Il acquiesce avant de la laisser entrer dans le cabinet, vérifie qu'il n'y a personne dans le couloir et m'embrasse très brièvement.
     — Faudrait pas que j'arrête de jouer au célibataire, assène-t-il bien plus sèchement que d'habitude.
     Oh, OK. Grégory avait raison : il l'a mal pris...
     — Tadhg... J'ai pas écrit ça méchamment, bien sûr que je veux rencontrer tes amis, assuré-je en le retenant par le poignet.
     Il me coule un regard moins enjôleur que ce matin, dégage son bras et me fait signe d'entrer.
     — On parlera de ça plus tard, tranche-t-il.
     Putain, j'ai foiré. J'ai merdé grave.
     — Tonton il a dit que cette année, le Papa Noël il va m'amener encore plus de cadeaux ! s'extasie Sakura en retirant doudoune, gilet polaire et pull rose bonbon.
     — Tu as dû être très sage, alors, la félicite Tadhg.
     Il prend place derrière elle pour les exercices habituels, sans me regarder une seule fois. Et dans ma tête, je m'imagine déjà que tout est terminé.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant