Chapitre 45 - Tadhg

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Le 30 août 2022, Montpellier

     Lucile a récupéré Sakura hier soir, lorsque je lui ai promis de rester dormir chez elle la nuit. J'ai passé la soirée à l'aider à terminer ses cartons, à lui voler un baiser lorsque sa fille avait le dos tourné, à me demander ce que j'avais bien pu faire pour mériter une telle femme dans ma vie.
     Je sais qu'elle doute, qu'elle a peur, que les menaces de Damien la font culpabiliser ; mais ce n'est sûrement pas ça qui va m'empêcher de l'aimer.
     Par chance, j'ai gardé contact avec l'une de mes amies du lycée, devenue avocate. Avec l'accord de Lucile, je lui ai envoyé un message en lui donnant toutes les informations nécessaires, et même pour elle, il est impensable que Damien ait la garde de Sakura. Elle ne porte pas son nom de famille, il ne l'a jamais reconnue, n'a jamais cherché à la rencontrer avant cette sortie au cinéma... Son seul but, c'est d'emmerder Lucile, de la faire craquer pour qu'elle lui accorde un droit de visite.
     Je serais prêt à adopter Sakura si ça peut empêcher ce malade mental de poser ne serait-ce qu'un seul doigt sur elle.

     — Tadhg, tu peux m'aider à dessiner un nuage ?
     La petite voix enfantine me tire de mes pensées. J'hoche la tête, frôle le bras de Lucile au passage et m'installe à même le sol, à côté de Sakura. Allongée par terre dans l'appartement désormais entièrement vidé de ses meubles, elle dessine depuis plus d'une heure tandis que l'on terminait de remplir le dernier carton.
     — Un nuage... En gris, alors ? demandé-je en piochant un crayon de couleur mal taillé.
     — Alors il faudra qu'on rajoute de la pluie et un arc-en-ciel ? Maman, elle dit toujours que quand les nuages sont gris, c'est parce qu'il va pleuvoir.
     Je retiens mon sourire et acquiesce, puis commence mon dessin en suivant les indications de la petite commandante.
     — Pourquoi t'as passé la nuit à la maison ? finit-elle par demander, Lucile manquant de s'étrangler avec sa salive derrière nous.
     Je cherche un mensonge crédible, pas certain que sa mère apprécie que je balance notre relation si rapidement. Sakura a besoin d'un cadre, et tant pis si je n'en fais pas partie tout de suite.
     — Il faisait un gros orage quand j'ai voulu partir, alors maman m'a proposé de rester ici, expliqué-je.
     Elle laisse passer une longue minute durant laquelle elle continue son dessin dans un coin de la feuille, puis relève la tête vers sa mère :
     — Ça veut dire que je peux retourner tousser de la poussière de fée avec lui, maintenant qu'il est revenu ?
     Lucile croise mon regard, rougie lorsque je lui lance un clin d'œil et s'assoit en tailleur devant nous.
     — Oui, chérie. Tu te souviens de ce que je t'ai dit, quand le docteur Mouillerac est venu à la maison ?
     J'arque un sourcil et attends patiemment que Sakura éclaircisse mes questions :
     — Que Tadhg devait faire un petit voyage au pays des fées pour vérifier si tout allait bien, mais qu'il allait vite revenir.
     Oh, bon sang, je fonds. Encore plus lorsqu'elle vient s'installer sur mes genoux, passe son bras non plâtré autour de mon cou et me serre contre elle, avant de chuchoter :
     — Je veux plus jamais que tu partes. Maman elle était très triste, et moi aussi.
     Un bras autour d'elle, l'autre cherchant le contact avec le genou de Lucile, je ravale la boule qui s'est formée dans ma gorge.
     — Moi aussi j'étais très triste, ma puce, avoué-je tout aussi bas. Mais je ne partirai plus sans vous deux, d'accord ?
     Elle manque de me donner un coup lorsqu'elle hoche la tête, Lucile murmurant un « merci » derrière son dos.

     Plus de deux heures plus tard, les premiers cartons ont été déposés dans leur nouvel appartement. Plus grand que celui qu'elles quittent, Sakura commence déjà à sortir ses jouets dans sa chambre tandis que je me charge de commander des pizzas pour le déjeuner, Lucile passant un coup de balais rapide afin de nous préparer un pique-nique intérieur.
     Je raccroche une minute plus tard et passe un bras autour de sa taille, avant d'embrasser sa joue.
     — Tu sais que ça va être un supplice, de garder mes distances devant Sakura ?
     Elle pouffe et entremêle sa main à la mienne, puis tourne la tête, nos visages se retrouvant à quelques centimètres l'un de l'autre.
     — C'est soit ça, soit toute la ville est au courant dans la journée, plaisante-t-elle alors que je la balance d'un pied sur l'autre, dans une petite danse improvisée. Tu peux déjà être sûr qu'elle va dire à toute ma famille que tu as dormi ici.
     — Sur le sol, précisé-je en souriant.
     Je dépose un baiser sur sa mâchoire avant de reprendre :
     — Est-ce que tu te sens un peu mieux, joli cœur ?
     Elle hausse les épaules et se tortille pour me faire face, plus apaisée que lorsque je l'ai trouvée hier.
     — Ça sera le cas quand j'obtiendrai la garde exclusive de ma fille, bredouille-t-elle en m'offrant toutefois un petit sourire.
     Je capture ses lèvres une seconde, me recule lorsqu'un brouhaha se fait entendre dans la nouvelle chambre de Sakura et vérifie qu'elle ne soit pas en train de nous espionner, puis dégage une mèche du visage de Lucile.
     — Je te jure que si je le croise, je le tue, menacé-je. Il ne touchera pas à un cheveu d'elle.
     — Et si les juges préfèrent croire un homme à la tête d'un groupe immobilier qui vaut des milliers, bientôt marié et père de famille, plutôt qu'à une maman quasiment fauchée qui a laissé son corps devenir un terrain de jeu pour une vidéo ? s'inquiète-t-elle, évitant mon regard.
     — Lucile, tu t'occupes de ta fille depuis plus de quatre ans, tu te démènes pour lui offrir une vie la plus normale possible et elle n'a jamais manqué de rien, encore moins des soins médicaux dont elle a besoin. Tu crois vraiment que les juges vont laisser une petite fille partir avec un homme qu'elle ne connaît pas, qui n'a jamais rien fait pour la connaître et qui ne saura probablement pas gérer tout ce que la mucoviscidose implique ? tenté-je de la rassurer. Tu as vingt-cinq ans, la tête sur les épaules, un boulot à mi-temps qui te permet de gérer les rendez-vous à l'hôpital ; lui, il ne pourra jamais passer autant de temps avec Sakura.
     Elle se met sur la pointe des pieds, m'embrasse longuement et pose son front contre mon menton.
     — Merci, Tadhg. Merci d'avoir débarqué dans ma vie, d'avoir tout chamboulé, et d'avoir accepté de m'aider à remettre de l'ordre dans tout ce bordel.
     — Merci à toi de me laisser une place pour t'aider, joli cœur. Je serai là aussi longtemps que tu voudras bien de moi.
     Cette fois, son rire s'élève dans la pièce tandis qu'elle se dégage de mon étreinte, puis me lance par-dessus son épaule :
     — Ça fera un paquet d'années alors, je te préviens !

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant