Chapitre 30 - Lucile

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Le 05 août 2022, Montpellier

     Tadhg était en congés pour quinze jours, depuis le vingt juillet. Sa collègue a pris le relais de ses patients, mais Sakura a eu beaucoup de mal à se faire à une nouvelle dame ; je crois que les enfants et elle, ça fait deux, si bien qu'elle a réussi à faire pleurer ma fille à la fin de la première séance. Un exploit, quand on sait que Sakura est une tempête de bonne humeur à elle toute seule...
     Toujours est-il qu'aujourd'hui, elle va presque en trottinant vers le CHU, sa jupe remontant à chaque fois qu'elle sautille une nouvelle fois sur le trottoir.
     — Maman, dépêche-toi ! Je veux voir si le docteur Gallalou m'a rapporté quelque chose de son voyage ! me somme-t-elle tandis que je traîne un peu, mon bras tiré vers l'avant par la force qu'elle met dans sa poigne.
     — Chérie, on sera à l'heure ! Le docteur Gallagher ne va pas s'envoler.
     J'ai eu plusieurs jours pour réfléchir à ce que m'a dit mon frère, avant d'en arriver à la conclusion qu'il avait probablement raison : entre Tadhg et moi, une tension s'est installée, et un petit jeu de séduction a même débuté sans que je m'en rende compte. Finalement, qu'est-ce que j'ai à perdre, de rentrer dans ce manège ? Ma dignité ? Elle est restée sur la plage à Agde, quand je me suis aperçue que Tadhg avait tout entendu.
     Je vais avoir vingt-cinq ans, je n'ai absolument jamais tenté de séduire un homme, mais il y a une première fois à tout, non ?
     Autrement, je n'aurais pas pris le temps de mettre une touche de mascara et un peu de rouge à lèvres avant de partir pour l'hôpital. J'ai même sortie ma plus belle robe : rouge, avec des motifs floraux et un décolleté dans le dos. Pathétique, ma fille, pathétique...

     — Docteur Gallalou !!!
     Nous venons à peine de rejoindre l'étage que Sakura accourt vers Tadhg, qui la rattrape au vol et la soulève dans les airs. Je ne peux retenir mon sourire face à cette jolie image, mais reste cependant en retrait le temps de leurs retrouvailles.
     — Mademoiselle Sakura ! Mais dis-moi, tu as grandi en quinze jours ! s'amuse-t-il en la gardant dans ses bras, la joie illuminant son visage.
     — C'est parce que j'ai mangé plein de légumes ! Maman, elle a dit que c'était important, de manger de la salade comme les petits lapins.
     Mon souffle se coupe lorsque les prunelles de Tadhg s'accrochent aux miennes, son sourire ne le quittant pas. Je m'avance enfin pour les rejoindre, puis le soignant ferme la bouche avant de déglutir plusieurs fois, sa pomme d'Adam roulant sous la peau de son cou.
     — Salut, finis-je par dire, gênée de le sentir me reluquer des pieds à la tête.
     — Salut.
     Un silence s'ensuit, jusqu'à ce qu'il repose Sakura au sol et fasse un pas vers moi, nos regards toujours accrochés.
     — Tu t'es maquillée ? s'étonne-t-il, et mon cœur se met à faire des saltos arrières dans ma cage thoracique. Ça te va bien.
     Mayday, mayday, Lucile à terre. J'ouvre la bouche pour le remercier, la referme sans piper mot, l'ouvre à nouveau... et me mets à bégayer à moitié lorsque les mots réussissent à sortir de ma bouche :
     — Me... Merci. T'as... Heu... Bronzé. C'est... Super. Cool.
     Putain, il va falloir que je prenne des cours de drague avec mon frère et ma sœur, moi...
     
Il pouffe, pince les lèvres pour se retenir et baisse la tête en croisant les bras sur son torse.
     — Ça fait plus de deux semaines, Lucile, tu comptes être gênée devant moi encore longtemps ? demande-t-il, avant de tirer sa lèvre inférieure entre ses dents.
     Oh le con, il me cherche ! C'est quoi, ce truc méga sexy avec sa bouche, maintenant ? Crise cardiaque. Je vais hyperventiler, suer à grosses gouttes, me retrouver avec des yeux de panda si mon mascara se fait la malle.
     — Gê... Non ! Pourquoi je serais gênée ? C'est toi, qui devrait avoir honte d'écouter une discussion privée !
     Il éclate d'un rire franc, tourne les talons et va ouvrir la porte de son cabinet, Sakura s'impatientant devant. Je prends une grande inspiration avant de me glisser entre le chambranle et lui, sens son souffle sur ma joue alors qu'il avoue doucement :
     — Vous m'avez manqué, toutes les deux.
     La seconde d'après, mes pieds s'emmêlent et je manque de me fracasser la tronche par terre. Il ne peut pas dire des trucs pareils sur le ton de la confidence, merde !
     
Évidemment, au moment où je me sens partir en avant, un bras passe autour de mon abdomen et je suis finalement projetée en arrière, contre le torse de Tadhg. Sakura, de dos, n'assiste pas à la scène, et heureusement d'ailleurs ; elle n'aurait pas manqué de nous demander si cette fois, nous sommes amoureux.
     — T'es tombée sous le charme, joli cœur ?
     J'explose de rire, son bras toujours autour de moi, avant de reprendre mes esprits :
     — C'est une technique de drague, ta phrase à deux balles ? Tu peux mieux faire, Tadhg...
     Satisfaite de voir que cette fois, c'est moi qui lui cloue le bec, je me dégage de son emprise et m'installe sur ma chaise habituelle, regardant ma petite fille monter sur un tabouret, puis plisser les yeux et demander :
     — Je peux tousser de la poussière de fée, maintenant que vous avez parlé ?
     Je me moque lorsque Tadhg passe une main dans ses cheveux et rejoint ma fille, l'air totalement dérouté. Finalement, je ne suis pas la seule à être à la ramasse en matière de drague...
     
— J'arrive, petite fée. Mais d'abord, j'ai quelque chose à te donner...
     Il fouille une seconde dans le sac à dos posé sur son bureau, puis en sort une énième peluche de petit renne, cette fois.
     — Les rennes font partis de l'emblème de l'Irlande. Celui-ci m'a embêté pour que je le prenne avec moi, donc il est pour toi, explique-t-il, tandis que Sakura s'empresse de le lui prendre des mains.
     — Wow, merci, il est trop beau !
     Elle serre la peluche contre elle, la garde sur ses genoux pendant toute la séance, tandis que j'essaie d'ignorer le regard brûlant de Tadhg posé sur moi toutes les cinq minutes.
     Grégory et Mathilde avaient raison : entre lui et moi, il n'y a plus seulement une petite histoire d'amitié.

     Je pense mon calvaire terminé lorsque nous quittons l'hôpital, mais c'était sans compter sur le message que je reçois juste avant l'heure du dîner :

>Doc. Gallagher, reçu à 18h57 : Je rêve, ou tu as essayé de me séduire en t'apprêtant, aujourd'hui ? C'est très mal, Lucile. Je suis bien meilleur dragueur que toi, tu perdras si tu veux jouer à ce petit jeu avec moi.

     Protégée par l'écran, je n'hésite pas avant de taper ma réponse :

>Moi, envoyé à 18h58 : Parce qu'on joue, maintenant ? Et si je n'en ai pas envie ? Tu es beaucoup trop sûr de toi, Tadhg, ça te perdra...

>Doc. Gallagher, reçu à 19h00 : Tu viens de déclencher une guerre, espèce de sorcière. Prépare tes armes, parce que je compte bien gagner la bataille ; et quelque chose me dit que j'ai plus d'expérience que toi...

     Je pouffe comme une pauvre adolescente amourachée, réfléchis une seconde, avant de capituler :

>Moi, envoyé à 19h02 : Que le meilleur gagne, alors !

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant