Chapitre 35 - Tadhg

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Le 08 août 2022, Montpellier

     Heureusement, la vieille est descendue à l'arrêt suivant. Je crois que si elle avait continué encore une minute à dévisager Lucile et Sakura comme elle l'a fait, elle se serait retrouvée avec la trace de ma main sur la joue. Je déteste qu'on s'en prenne à ceux que j'aime, encore plus quand c'est pour balancer des trucs racistes et immondes à une gamine de quatre ans.

     Après près d'une demi-heure de tram, nous arrivons enfin au centre commercial Odysseum de Montpellier. Je n'aurais jamais cru penser cela un jour, mais je stresse à l'idée de rencontrer les parents de Lucile. Que vont-ils penser de notre relation ambiguë ? Est-ce qu'ils vont m'apprécier ? Me menacer ?
     Et Lucile qui se moque doucement en me voyant laisser échapper une longue expiration... Prenant un air désintéressé, je me renseigne tout de même histoire de me rassurer :
     — Ta sœur sera présente ?
     — Pourquoi, t'as peur qu'elle te saute dessus ? Elle est mariée, me taquine-t-elle, un sourcil levé.
     — Est-ce que je dois quand même m'attendre à des allusions interdites aux moins de dix-huit ans, ou elle saura se tenir juste quelques heures ?
     Elle pouffe mais ne répond pas, laissant Sakura la tirer en avant. Je me rince un peu l'œil, comme elle l'a fait tout à l'heure, sans aucune gêne : je crois qu'elle a très bien compris qu'elle me plaisait, et que c'est réciproque. Il ne me manque plus qu'à gagner notre guerre, maintenant...
     Par la plus grande des chances, Mathilde n'a pas pu venir. Un membre de la famille Legrand en moins, ce qui ne m'empêche pas de perdre mon sourire en découvrant le reste de la troupe au complet.
     — Vous devez être le docteur Gallagher ? devine facilement le paternel, une main tendue devant lui que je m'empresse de serrer. Louis, le grand-père de Sakura.
     — Appelez-moi Tadhg, « docteur » est réservé au CHU, l'informé-je. Votre petite-fille est vraiment adorable, vous avez de la chance !
     Il hausse un sourcil en resserrant sa prise autour de mes doigts, puis jette un œil sur Lucile.
     — Ma petite-fille est adorable, ou ma fille ?
     Je déglutis péniblement, jusqu'à ce que la principale concernée vienne me sauver des griffes du méchant papa protecteur. Elle en profite pour se moquer ouvertement, me laissant la joie de me dépatouiller avec sa mère, maintenant.
     Vanessa est beaucoup moins impressionnante que son mari : un mètre soixante, des cheveux coupés en carré plongeant, un sourire qui lui mange la moitié du visage...
     — Vous allez vous décider à inviter ma fille à sortir, un de ces jours ?
     — Maman !
     Oubliez ce que j'ai dit : elle est tout autant... folle ?
     Je ris nerveusement tandis que Sakura tire sur le bas de mon tee-shirt pour attirer mon attention :
     — Tu peux me prendre dans les bras ? J'ai mal aux jambes.
     Je craque face à sa bouille absolument adorable, la hisse sur ma hanche et me décide enfin à répondre à Vanessa :
     — Vous seriez prête à garder Sakura pour une soirée ? osé-je demander, ignorant le regard noir que me lance Lucile.
     — Je suis même prête à la garder un mois si c'est ce qu'il faut pour que ma fille ouvre enfin les yeux ! s'esclaffe-t-elle.
     Sakura nous dévisage à tour de rôle, accrochée à mon cou, et semble comprendre de quoi relève notre discussion puisqu'elle s'approche de mon oreille pour me glisser en chuchotant :
     — Moi, je veux que maman et toi deviennent amoureux. Comme ça, tu seras mon papa. T'es d'accord ?
     Elle a mal conjugué son verbe, mais ce n'est pas ce que je retiens.
     Tu seras mon papa.
     Tu. Seras. Mon. Papa.
     Tout sourire quitte mon visage, une boule se loge dans ma gorge. Mon cœur s'agite dans ma poitrine, pourtant je fais bonne figure en remettant Sakura sur ses pieds, pour m'accroupir à sa hauteur.
     — Je dois parler à ta maman, d'accord ?
     Lucile fronce brièvement les sourcils lorsque je lui fais signe de me suivre un peu plus loin, à l'abri des regards de sa famille. Je sais qu'elle n'est pas responsable de ce que dit sa fille, mais je ne peux pas garder ça pour moi.
     — Mes parents t'ont terrifié ? Je t'en voudrais pas, ils peuvent être un p...
     — Sakura m'a dit qu'elle voulait que je sois son papa, lâché-je dans un souffle, lui coupant la parole.
     Elle perd toutes ses couleurs, mord sa lèvre inférieure plusieurs fois, ouvre de grands yeux.
     — Elle n'a que ce mot-là à la bouche, depuis qu'on a croisé Damien, et je... Je lui ai déjà expliqué que ça ne fonctionnait pas comme ça, qu'on ne pouvait pas choisir son papa, mais t'as raison, je vais lui parler, lui expliquer encore une fois, et je t'assure que...
     Elle est paniquée, regarde derrière mon épaule, cherche ses mots. Je pose une main sur son bras et baisse légèrement la tête pour qu'elle me regarde enfin.
     — Je n'ai rien dit, Lucile. On sait tous les deux que beaucoup de choses ont changé entre nous, et Sakura a dû le remarquer, c'est tout. Je t'assure que c'est pas grave, OK ? On va lui parler, tous les deux.
     Elle approuve d'un hochement de tête, fait un pas vers moi, puis un second, avant de me prendre dans ses bras. Juste comme ça, sans réelle raison. Je reste un instant les bras ballants, puis la serre contre moi. Sa joue repose sur mon pectoral, ses mains dans mon dos, son parfum volette jusqu'à mon nez.
     Je ne résiste pas à l'envie de poser mes lèvres dans ses cheveux, profitant de ce rapprochement soudain qu'elle a elle-même décidé. Je veux rester ici jusqu'à la fin de ma vie.
     Bien trop vite, elle se détache de notre étreinte, recule de plusieurs pas, son visage devenant rouge d'embarras.
     — Je... Hum... Désolée. Tu...
     Elle gonfle ses joues, soupire lentement et passe une main dans ses cheveux, avant de reprendre :
     — Merci de me l'avoir dit. Sakura t'apprécie énormément, tu es dans sa vie depuis plus de trois ans, tu la connais par cœur... Elle avait besoin d'un modèle paternel, et tu as été là, mais elle doit comprendre que ça n'ira pas plus loin, confirme-t-elle en triturant ses doigts.
     — Arrête de te prendre la tête, joli cœur. Elle n'a que quatre ans, l'âge où l'on croit encore qu'il suffit de donner une feuille d'arbre à quelqu'un pour être amoureux. Laisse-la rêver encore un peu, laisse-la être une petite fée insouciante pour quelques années, elle aura tout le temps de découvrir la vraie vie plus tard.
     Aux coins de ses yeux, je remarque une unique larme qui menace de couler. Cette fois, c'est donc moi qui fait un pas vers elle et passe mes bras autour de sa taille, la collant contre moi avant de déposer un baiser sur son front.
     J'ai toujours eu du mal avec le contact physique, en dehors de mes patients. Mais avec Lucile... tout est naturel. Nos discussions, la façon dont son petit corps épouse le mien lorsqu'elle est contre moi... Est-ce que c'est à ça, que l'on reconnaît son âme-sœur ?

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant