-2 - Lucile

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Le 01 avril 2023, Osaka

     Notre avion vient tout juste d'atterrir au Japon. Le voyage a été long et fatiguant, pour Sakura encore plus. Elle a eu une bonne crise de toux dans l'avion, si bien que je m'en suis voulue de devoir lui faire faire un tel trajet avec son état. Pourtant, Tadhg a géré d'une main de maître, m'a rassurée, et tout est rentré dans l'ordre – autant que possible, du moins.
     Je ne me fais toujours pas à l'idée que Sakura l'appelle papa. Pourtant, c'est tellement naturel, la façon dont elle prononce ce mot, comme si elle l'avait fait toute sa vie. Comme si Tadhg avait toujours été son papa – ce qui est en partie vrai, pour moi
     — Bon, prochaine destination... annonce mon père en mimant un roulement de tambour. Yoshino, le pays des cerisiers !
     Dans une heure et demie, je vais me retrouver dans le bourg où je suis née. Celui que je n'ai jamais connu. En compagnie des deux personnes qui m'ont offert une famille, des parents, une chance d'être aimée.
     Je suis terrifiée. À la fois à l'idée de retrouver la trace de mes parents biologiques et d'en apprendre plus sur ma venue au monde, et à la fois à l'idée d'avoir fait tout ce voyage pour rien.
     — Ça va, joli cœur ? me demande Tadhg en laissant Sakura partir devant avec mes parents.
     Il m'embrasse avant que je donne ma réponse, une main sur ma taille, puis s'écarte légèrement et pose son front contre le mien.
     — Ça va aller, affirmé-je.
     Il hoche la tête, emprisonne ma main dans la sienne et me traîne à sa suite pour rejoindre le reste de notre petit groupe.
     Dehors, les températures sont fraîches. L'air du Japon n'est pas si différent de celui de la France, alors que j'ai l'impression de reprendre mon souffle. Les yeux fermés, Sakura prend une grande goulée d'air avant de courir vers Tadhg et moi et de s'accrocher à nos jambes.
     — C'est trop beau ! Regarde, papa, là-bas il y a un gros nuage en forme de chat !
     Deux semaines que je dois retenir mes larmes à chaque fois qu'elle l'appelle comme ça. Parce que bon sang, je ne l'ai jamais vue aussi heureuse, aussi vivante. Et ça me brise le cœur de savoir que tout ça va s'arrêter.
     — En forme de chat ? Moi, je vois plutôt un petit loup... Et maman, qu'est-ce que t'en penses ?
     — Mmmh... J'en pense que mademoiselle a raison : c'est un chat.
     Plus loin devant, je remarque ma mère qui nous mitraille avec son appareil, mon père qui observe l'horizon, dos à nous.
     Ils ont accepté de faire tout ce trajet pour moi. Pour que je connaisse mes racines, alors même qu'ils ont passé leur vie à m'aimer, à me prouver sans cesse que je n'avais aucune raison de chercher des réponses.
     — Traîtresse, chuchote Tadhg tout bas en me pinçant la fesse.
     Je lui tape le bras en gloussant, tourne légèrement mon visage vers lui et l'embrasse rapidement :
     — Mauvais joueur, rétorqué-je.
     Il rit, prenant Sakura dans ses bras pour que l'on gagne le taxi que mes parents viennent de dénicher. L'un des seuls ayant suffisamment de place pour notre groupe, et qui nous déposera à l'arrêt de train.

     La route jusqu'à Yoshino est juste superbe. De petites villes en villages, les paysages japonais nous offrent un palmarès de couleurs, de temples, parfois même de gratte-ciels et de villes bondées qui nous piègent dans les embouteillages. Sakura s'extasie à chaque fois qu'elle tourne la tête, tout comme moi. Mes parents restent muets, mais n'arrêtent pas de filmer, de prendre des photos, de nous faire sourire. Tadhg, une main posée sur ma cuisse, ne cesse d'embrasser ma joue et ma tempe, en me répétant que c'est le plus beau voyage de sa vie.
     — Lucile, regarde en face !
     Je sors de mes pensées et essaie d'apercevoir ce qui met ma mère dans un tel état, avant de découvrir une mer de fleurs roses à quelques kilomètres de là. Dans les hauts-parleurs, on nous annonce que nous arrivons à Yoshino. Le pays aux trente mille cerisiers.
     Nous n'allons pas nous y attarder aujourd'hui ; il est déjà tard, et avec le décalage horaire, on ne profitera pas suffisamment. Mais il était primordial de débuter ce voyage là où tout a commencé pour moi.
     — Maman, c'est des cerisiers !
     — Oui, chérie. Ce sont des Sakura, expliqué-je en la prenant sur mes genoux. On ira les voir demain, d'accord ? D'abord, on va aller à l'hôtel et faire un gros dodo.
     J'ai à peine terminé ma phrase que Sakura s'endort dans mes bras. Je caresse lentement ses cheveux en regardant par la vitre du train, jusqu'à ce qu'il s'arrête à la gare de Yoshino.
     Nous prenons ensuite un taxi pour rejoindre l'hôtel déniché par Tadhg, situé à vingt minutes d'ici. J'avais peur de profiter de l'argent d'inconnus pour ce voyage, mais force est de constater qu'à ce moment précis, ça n'a aucune importance : ma fille va découvrir les cerisiers en fleurs, je vais découvrir mes racines, et il nous reste deux ans pour faire toutes les choses qu'elle veut.

     — Alors, t'en penses quoi ? demande Tadhg une fois que j'ai posé Sakura dans le lit.
     Je balaie la pièce du regard. Déjà que l'entrée de l'hôtel était sublime, avec sa façade ressemblant à un temple et ses hôtesses plus qu'amicales, la chambre me laisse sur les fesses. La décoration y est typiquement japonaise, la pièce est assez petite, mais offre un lit double ainsi qu'un autre, simple, pour les enfants. La salle de bains, elle aussi, est petite, décorée de bambous. Et surtout, c'est l'un des seuls hôtels du coin qui accepte les enfants...
     — C'est... C'est parfait, affirmé-je avant de trouver une place contre son torse. C'est absolument parfait.
     Il embrasse mon crâne en passant ses bras autour de ma taille, lève mon menton d'une main et cueille mes lèvres :
     — Tu crois qu'on pourra passer notre vie ici ?
     Je lui frappe l'épaule et secoue la tête, avant de me hisser sur la pointe des pieds pour l'embrasser à mon tour.
     — C'est tentant... Mais nous sommes parents, monsieur Gallagher, lui rappelé-je.
     Il me soulève du sol en passant ses mains sous mes genoux, puis me laisse tomber sur le lit que nous allons partager.
     — Tes parents garderont Sakura demain, pour qu'on aille chercher des réponses...
     Je soupire longuement face à cette réalité-ci. Demain, je partirai à la découverte de ma naissance. De mon passé. De mes premiers jours de vie.
     Et j'ai peur de découvrir des choses que je ne voudrais pas.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant