Le 08 août 2022, Montpellier
Cette étreinte éveille en moi des tas de sentiments que je me refusais de ressentir. Son odeur, mélange de parfum masculin et de transpiration, fait palpiter mon cœur. Ses lèvres contre mon front déclenchent l'envol d'une centaine de papillons logés dans mon ventre. Le surnom qu'il me donne, que je pensais être simplement pour me déstabiliser, insuffle l'envie de l'embrasser, de nouer nos langues pour ne plus jamais les séparer.
Sakura a gagné : je suis tombée amoureuse de lui.
Lorsqu'il se recule enfin pour poser une main sur ma joue, je déraille et manque de me hisser sur la pointe des pieds pour goûter à sa bouche. Il caresse ma pommette du pouce, nos regards plongés l'un dans l'autre hurlant tout ce que l'on ne dit pas avec des mots, et chuchote, juste assez fort pour que je l'entende :
— Joyeux anniversaire, Lucile.
Je souris timidement, à la fois gênée de ce rapprochement si soudain entre nous et heureuse à l'idée qu'il puisse se passer quelque chose, dans quelques temps, qui aille au-delà de la simple amitié.
Je le veux, je le désire, je l'aime. Je veux qu'il reste le modèle paternel de ma fille, qu'il devienne mon pilier pour affronter les tempêtes, qu'il fasse partie de notre vie.
— Merci, bredouillé-je, ignorant le frisson qui me parcourt de la tête aux pieds.
Ses yeux dérivent vers mes lèvres, si bien que je peine à prononcer ma phrase suivante :
— On devrait retourner là-bas, mon frère et son copain doivent être arrivés.
Tadhg déglutit et acquiesce, rompant le contact de nos peaux.Je passe devant lui pour rejoindre ma famille, me fait prendre en otage par Grégory qui se jette sur moi et me frotte les cheveux.
— Bon anniversaire, sœurette préférée ! chantonne-t-il dans mes oreilles, manquant de me percer les tympans.
— Lâche-moi, idiot !
Soudain, son attention est absorbée par l'arrivée de Tadhg, quelques secondes après moi. Grégory me jette un regard surpris, arque un sourcil et me libère enfin. Sakura en profite pour courir dans mes bras tandis que je la rattrape au vol.
— Papy, il a dit que vous êtes allés vous faire des bisous. C'est vrai ? demande-t-elle innocemment, ravivant mon envie d'aller me planquer loin d'ici.
— Non, ma puce, papy a raconté n'importe quoi.
Je jette un regard noir à mon père, qui se marre doucement tout en continuant sa discussion avec le kiné et Pablo.Enfin, nous finissons par débuter la partie de bowling. Parce que je n'en ai quasiment jamais fait et que c'est la première fois pour Pablo, nous décidons de faire des équipes, plus ou moins égalitaires : mes parents forment un premier duo, mon frère et son copain un second, tandis que Tadhg, Sakura et moi nous mettons en trio. Je n'ai pas eu mon mot à dire, et je m'en moque : ma fille semble être la plus heureuse au monde de se retrouver avec son kiné et moi.
— Allez petite fée, à toi de commencer ! encourage Tadhg lorsque Sakura se place devant l'espèce de toboggan sur lequel elle devra poser sa boule.
La langue tirée, les sourcils froncés, elle se concentre tandis qu'il l'aide à viser, et pousse de toutes ses forces sur la boule, qui renverse une quille. Le deuxième lancer en fait tomber trois de plus, et c'est sous mon regard stupéfait que Sakura retourne s'asseoir avec nous, sur les bancs placés juste derrière la zone de lancers. Je vais me ridiculiser face à une petite fille de quatre ans, si ça ce n'est pas la honte...
Pablo réussit également un spare, ils se liguent tous pour que je sois la prochaine à jouer, si bien que je m'avance, la boule à la main, démoralisée par avance de la honte que je vais avoir. Tadhg, qui prend son rôle de capitaine de l'équipe un peu trop au sérieux, s'arrête à côté de moi, un bras croisé, l'autre relevé, se grattant le menton de la main. Je fais la moue en le regardant, commence à reculer mon bras pour donner le plus d'élan possible à la boule, lorsque je le vois quitter du coin de l'œil son poste. Je sursaute tandis qu'il pose les mains sur ma taille, me fait légèrement pivoter et baisse un peu mon poignet.
— Si tu pars trop en arrière, tu seras forcément trop entraînée en avant quand tu lanceras. Essaie de rester à dix ou quinze centimètres maximum de tes hanches, et bloque d'un coup sec ton bras quand il entre dans ta vision périphérique, m'explique-t-il, son visage beaucoup trop près du mien pour que j'arrive à tout comprendre.
J'entends d'ici le rire de mon frère lorsque Tadhg dépose un baiser sur mon crâne, tente de cacher mon malaise et garde les yeux fixés sur la piste lorsque le kiné reprend sa place à côté.
Si Mathilde était là, elle aurait fait un malaise, ou elle aurait hurlé dans la salle.
Je vise, j'applique ses conseils, et je tire. La boule prend un peu de vitesse, se rapproche dangereusement de la rigole de droite mais réussit à toucher deux quilles. J'attends qu'elle revienne, me remets en position et réalise mon deuxième lancer, abattant cette fois cinq quilles.
Plutôt satisfaite, je rejoins ma place et ignore le sourire fier de Tadhg, qui applaudit joyeusement.
— T'es trop forte maman, c'est sûr qu'on va gagner ! s'extasie Sakura, qui ne tient pas en place et sautille devant moi.
— Bien joué, joli cœur.
Je tousse plusieurs fois dans le but de cacher ce surnom, mais je devine aux regards de Grégory qu'il n'est pas dupe. Heureusement pour ma santé mentale, mes parents sont en train de se mettre en place, étant les deux suivants à jouer. Ils se chamaillent comme deux adolescents, et je les envie : moi aussi, un jour, je veux connaître une histoire d'amour comme la leur.Le dernier à jouer est Tadhg. Il me lance un clin d'œil avant de rejoindre la démarcation au sol, et sitôt qu'il a le dos tourné, mon frère se laisse tomber à côté de moi, une canette de soda à la main.
— « Joli cœur », hein ? Tu l'as mis dans ton lit ? D'ailleurs, vous faisiez quoi, tous les deux, dans ce petit recoin à l'abri des regards, mmh ? s'amuse-t-il.
— Rien du tout, abruti, m'indigné-je un peu trop abruptement pour que ça passe comme une vérité. On parlait, c'est tout.
— Sérieux, Lulu, t'as vu comment il te bouffe du regard ? J'ai cru qu'il allait te foutre à poil, quand t'as joué !
Je croise les bras sans lui répondre, bien trop concentrée sur la boule qui roule, roule... puis fait tomber toutes les quilles.
— Va plutôt sauver Pablo de l'interrogatoire qu'il est en train de subir, et fous-moi la paix ! Ma situation amoureuse ne regarde que moi, assené-je lorsque Tadhg échange un check avec Sakura.
— Tu as dit « situation amoureuse », j'ai entendu ce que je voulais, je m'en vais. Allez sœurette, à ce rythme-là, dans une semaine tu vois son service trois pièces !
Je m'étrangle avec ma salive, pince fortement le bras de mon idiot de frère. Il le retire vivement, sa canette laissant échapper une bonne quantité de liquide qui atterrit sur ma robe. Je vais le tuer.
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Et les mistrals gagnants...
RomanceLucile, vingt-quatre ans, élève seule Sakura, sa fille de quatre ans. Son "joli cerisier", comme elle aime tant l'appeler. Fort, robuste, qui peut traverser toutes les tempêtes. Seulement, parfois, les tempêtes sont trop puissantes pour un si jeune...