Chapitre 48 - Tadhg

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Le 07 septembre 2022, Montpellier

     Pas de messages. Du moins, pas de demande de photos légèrement dénudées. Simplement un « Bonne soirée, on se voit demain ».
     Je suis tenté de lui faire un peu du boudin lorsque je les vois m'attendre dans le couloir, Sakura et elle. Ça ne dure pas deux minutes, parce qu'entre la petite puce qui court pour sauter dans mes bras et Lucile qui m'offre son plus beau sourire, il est évident que je craque.
     — Regarde, Tadhg, ce matin la madame elle m'a coupé les cheveux sur le front, parce qu'ils venaient dans mes yeux ! s'exclame la fillette, que je porte dans mes bras.
     — Waw dis-donc, tu es encore plus jolie comme ça, mademoiselle !
     Je fais un signe de tête à un collègue qui passe à côté, laissant Lucile passer devant pour entrer dans le cabinet – et en profite pour me rincer un peu l'œil.
     — C'est vrai ? T'as vu, maman aussi elle a coupé ses cheveux !
     Je lève les sourcils tandis que la concernée secoue légèrement la tête, dos à nous. Bordel... dix centimètres en moins.
     — C'est la journée du changement et personne ne m'a prévenu ? plaisanté-je en déposant Sakura sur le ballon de gymnastique, avant de jeter un regard en coin à Lucile.
     — Ça fait moins adolescente, non ? J'sais pas, j'ai envie de me sentir... Femme, ces derniers temps, lance-t-elle d'un ton désinvolte.
     Je passe à côté d'elle pour attraper le flacon de gel hydroalcoolique posé sur mon bureau, en profite pour frôler sa main.
     — You're beautiful, sweetheart, chuchoté-je dans mon autre langue natale, histoire que Sakura ne comprenne pas.
     Ses joues prennent une jolie teinte rosée tandis qu'elle serre brièvement mes doigts, puis elle se racle la gorge en me faisant les gros yeux. J'arrête de la mater et fais le tour de mon bureau.
     — Mademoiselle Sakura, j'ai le plaisir de vous annoncer que vous allez devoir prouver vos pouvoirs de fée samedi ! chantonné-je tout en sortant un dossier de mon tiroir, que je tends à Lucile en lui expliquant à voix basse : épreuves fonctionnelles respiratoires, ils ont oublié de te prévenir avant.
     Elle perd son sourire et pousse un long soupir en consultant toutes les feuilles habituelles qu'elle va devoir remplir.
     — Mais samedi, c'était l'anniversaire de Mia... ronchonne Sakura en croisant les bras, m'empêchant de poser mes mains sur sa cage thoracique pour commencer les exercices.
     — On l'invitera à la maison dimanche, si tu veux, d'accord ? propose sa mère en venant s'accroupir devant elle. Mais ça fait longtemps que les docteurs n'ont pas vérifié s'il restait de la poussière de fée dans tes poumons, chérie.
     Lucile tente de refaire naître son sourire, mais celui-ci reste cependant minime tandis que Sakura commence à pleurer.
     Je m'installe dans la même position que sa mère, passe mon pouce sur sa joue toute ronde.
     — Hé, ma puce... Ta maman a raison, tu sais. Le docteur Bachot veut juste regarder s'il reste encore du temps à tes ailes avant qu'elles ne retrouvent leurs couleurs, rien de plus.
     J'entends Lucile renifler discrètement à côté de moi. Si elle se met aussi à pleurer, je ne donne pas cher de moi...
     — Mais vous mentez, toi et maman ! Les fées, ça existe pas ! Manon, elle est en grande section et elle s'est moquée de moi quand j'ai dit que j'étais une fée, vous êtes des menteurs !
     Sa voix, cette fois, s'est transformée en cri qui me déchire les entrailles. Lucile sursaute et tombe sur les fesses, Sakura retire ses mains des nôtres et manque de partir en arrière. Je la rattrape au vol, l'assied sur mes genoux tandis qu'elle se débat de toutes ses forces, mais je ne la lâche pas pour autant.
     — Ma puce, les fées existent pour ceux qui veulent bien les voir. Ta maman, et tous les médecins ici, et moi, on les voit. C'est pour ça que l'étage de notre service est si bien caché : pour garder notre secret en sécurité, parce que certaines personnes ne croient pas en nous.
     Ses larmes de tristesse se transforment en larmes de colère, ses poings frappent mon torse sans me faire mal, alors que Lucile, la tête entre les mains, se balance doucement d'avant en arrière, ses épaules secouées par les sanglots.
     — C'est pas vrai ! Je te déteste, et je déteste maman ! Vous êtes méchants !
     J'essaie de la bercer dans mes bras, d'essuyer les gouttes d'eau perlant sur ses joues, mais elle ne décolère pas et continue de se révolter, encore et encore.
     Si je croise cette petite Manon, je lui refais le portrait, et je me fiche de son âge. Elle vient d'anéantir toute l'histoire que Lucile et moi avons créée pour expliquer les choses à Sakura, ne laissant qu'une petite fille qui pense qu'on lui ment par cruauté.
     — Sakura... Ta maman et moi, on t'aime très très fort : tout ce qu'on veut, c'est que tu gardes tes petites ailes de fée invisibles le plus longtemps possible. Comme pour toutes les petites fées qui viennent ici.
     — Mais je suis pas une fée ! Toi non plus, et maman non plus, et Manon elle a dit que j'allais mourir !
     Non. Non !
     Lucile relève subitement la tête, le visage ravagé par les pleurs, tandis que les miens commencent doucement à trouver une sortie. La petite puce, vidée de tout ce chagrin, arrête de se débattre et cache sa tête dans mon cou, peinant à retrouver sa respiration au milieu de l'océan de larmes dans lequel elle baigne.
     Je ne l'ai jamais vue dans un tel état.
     J'ai l'impression qu'on m'enfonce un couteau dans la poitrine, qu'on le remue à chaque fois que ses épaules tressautent entre mes bras.
     Je fais signe à Lucile de venir contre moi également, dépose un rapide baiser sur son front tandis qu'elle caresse la joue de sa fille, avant de murmurer :
     — Tu ne vas pas mourir, mon cerisier, tu m'entends ? Les racines se sont renforcées, et elles te maintiendront aussi longtemps qu'elles le pourront, mon cœur. Je sais que tu ne comprends pas tout, et que tu es très triste de ne pas pouvoir aller à l'anniversaire de Mia, mais je te promets que tu ne vas pas mourir...
     Elle s'étrangle sur ce dernier mot, pose sa tête contre mon épaule et ferme les paupières aussi fort que possible pour se retenir de pleurer à nouveau. Sakura, elle, commence doucement à se calmer et hoche la tête, ma main frottant son dos.
     — Toi aussi, tu promets que je vais pas mourir ? me demande-t-elle doucement, recroquevillée contre moi.
     J'embrasse son crâne et prends le temps de chercher les mots justes, avant de jeter un œil à Lucile.
     — Oui, ma puce : je te promets que tu vas vivre aussi longtemps qu'un vieux cerisier japonais, et que maman et moi serons toujours là pour toi, la rassuré-je.
     — Toujours toujours toujours ? Même quand on sera au pays des fées ?
     Sa question a le don de tirer un rire à Lucile, et Sakura se retire de mon étreinte pour aller se coller contre elle.
     — Pour toujours et à jamais, mon cœur. Même quand on devra quitter le pays des fées pour rejoindre l'univers, promet-elle en la serrant aussi fort que possible, le calme revenant dans la pièce, désormais emplie de promesses à tenir.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant