Le 01 novembre 2022, Agde
Je me réveille avec ses caresses sur mon bras. Entrouvrant un œil, je découvre Tadhg en train de m'observer, un léger sourire aux lèvres, que j'embrasse dans la seconde qui s'ensuit.
— Tu m'en a collé une pendant la nuit, s'amuse-t-il en caressant la peau nue de mon épaule.
— T'as dû le mériter. Règle des vingt minutes le matin, t'as oublié ?
D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours détesté me réveiller. Déjà petite, je traînais au lit jusqu'à ce que ma mère me prive de couverture, et lorsque j'ai eu Sakura, j'ai profité du cododo et de l'allaitement pour prolonger les grasses matinées. Pourtant, je crois que je pourrais changer mes habitudes dans les bras de l'homme qui a réussi à se faire une place dans mon cœur. Je crois que je pourrais passer le reste de ma vie à me réveiller contre lui, à entendre son rire rauque, sa voix encore ensommeillée, à sentir ses lèvres dans mes cheveux.
— Il est quelle heure ? demande-t-il près de cinq minutes plus tard, ses mains commençant à doucement descendre vers mes fesses et mes cuisses.
Je gigote pour attraper mon téléphone, le repose sur le matelas et enfouis mon visage dans son cou.
— Sept heures et demi. Sakura va bientôt se réveiller, indiqué-je.
— J'ai le temps de t'offrir le début d'une excellente journée ?
Je n'ai même pas besoin de lui demander d'explications, son ton malicieux s'en charge suffisamment. Lui aussi, il a déjà envie de plus ; plus de corps à corps, plus de plaisir, plus de respirations qui s'entremêlent et de cœurs qui battent à l'unisson.
— Pas question qu'on fasse ça à la va-vite. Enfile ton tee-shirt, tout le monde doit déjà être debout et je suis sûre que Mathilde va venir nous déranger dans moins de vingt minutes.
Il marmonne dans sa barbe, desserre son étreinte autour de moi et tend le bras pour récupérer son vêtement, resté par terre depuis notre petite séance de découverte. Je profite qu'il soit assis sur le bord du lit pour laisser mon regard se balader sur les muscles de son dos, de ses biceps, ose m'approcher et dépose un petit bisou sur son omoplate. Il tourne légèrement la tête, la mâchoire contractée et le front plissé, puis demande :
— Est-ce qu'on est allé trop vite, hier soir ? J'ai pas envie que tu te sentes forcée, Lucile. Si tu regrettes, ou si tu veux qu'on attende pour faire d'autres trucs, tu peux me le dire.
Je reste une seconde à le regarder, les yeux ronds et les sourcils légèrement froncés, puis lui offre mon sourire le plus sincère.
— Tadhg, tout était parfait. J'en avais très envie, et j'en ai encore très envie maintenant, mais je préférerais éviter à ma fille la vision de sa mère et de son kiné à poil dans un lit, plaisanté-je à moitié. En revanche... Si tu n'as rien de prévu ce soir et cette nuit...
Il pouffe et m'embrasse, au moment-même où la poignée de la porte s'abaisse lentement. Nous nous décollons pile lorsque Sakura entre dans la pièce, son doudou contre elle et les yeux encore pleins de fatigue, qu'elle frotte de ses poings.
— On peut aller donner le cadeau à papy ? demande-t-elle déjà, visiblement peu surprise de trouver Tadhg avec moi.
D'ailleurs, elle a même l'air plutôt heureuse lorsqu'elle nous rejoint sur le matelas pour se blottir contre moi, ses pieds sur les cuisses du kiné. J'embrasse ses petites joues rondelettes et démêle ses cheveux à l'aide de mes doigts.
— Oui, chérie, on va descendre. Mais d'abord, il va falloir que tu ramollisses la poudre de fée dans tes poumons.
Elle proteste un peu tandis que Tadhg fouille dans mon sac à la recherche du nébuliseur, qu'il pose sur le visage de Sakura lorsqu'elle finit par accepter.
À cet instant, j'ai l'impression que nous formons une vraie famille, tous les trois. Un papa, une maman, un enfant. Et bon sang, ça me plaît...
— Lucile, tu nous joues un morceau ?
La voix de mon paternel coupe la discussion que j'avais avec mon frère, qui me fait signe d'y aller. Chaque année, depuis que je sais jouer du piano, je suis chargée de jouer notre chanson préférée à tous les deux, celle qui est aussi devenue la berceuse de Sakura. Mistral Gagnant. Elle a pris une nouvelle résonance depuis que je suis maman, que j'ai appris la maladie de ma fille : un jour, le rire de ma fille cessera de lézarder les murs, de s'envoler aussi haut que les cris des oiseaux, et je vis avec la peur constante que ce jour arrive bien plus tôt que prévu.
— Lucile ?
Je sursaute et sors de mes pensées, pose une minute le regard sur Tadhg et Sakura, qui jouent aux Barbie dans le salon, puis hoche la tête et m'assieds devant le piano. Comme chaque année, maman s'empresse de prendre son téléphone pour me filmer, papa s'installe sur une chaise tout près, mon frère et ma sœur me regardent depuis le canapé. Je pose les premiers accords, puis commence à chanter. Je pourrais laisser mes doigts voguer sur les touches les yeux fermés tellement j'ai l'habitude.
De couplets en refrain, je laisse ma voix percer le silence de la pièce, jusqu'à voir Sakura du coin de l'œil s'approcher à petits pas. Elle s'arrête juste à côté, commence elle aussi à chanter, et j'ai du mal à retenir mes larmes lorsque je termine le morceau et la serre contre moi. Nous deux contre le reste du monde.
— Je peux envoyer la vidéo à The Voice ? questionne Grégory, ce qui a le don de me faire rire.
Je secoue négativement la tête, laisse mes parents me prendre dans leurs bras.
— On est tellement, tellement fiers de toi, chérie, me glisse mon père dans l'oreille. On t'aime très fort.
— Moi aussi, je vous aime, assuré-je en ravalant mon sanglot. Merci pour tout.
Ma mère, elle, n'attend pas une seconde avant de me montrer la vidéo. Elle pointe du doigt Tadhg, que l'on aperçoit en arrière-plan, et zoome sur lui avant de chuchoter :
— Regarde comme il te regarde, chérie. Il est fou amoureux de toi, et je suis plus qu'heureuse que tu sois tombée sur lui.
Effectivement, on peut deviner dans ses yeux tout l'amour qu'il me porte. Si j'avais encore ne serait-ce qu'un petit doute sur ses sentiments, il est balayé par cet éclat de fierté qui brille dans ses iris et par son sourire fier aux lèvres.
Je me retourne pour m'approcher de lui, son bras passe autour de ma taille et me colle totalement contre son torse. Un baiser sur mon front, une main qui caresse le bas de mon dos, l'impression d'avoir trouvé ma place dans l'univers.
— Tu es incroyable, mo ghrá.
— Arrête, c'était rien... rougis-je.
Il prend mon menton dans sa main, me forçant à relever le visage, puis m'offre un long baiser qui efface le monde alentour.
— Si je dis que tu es incroyable, c'est que tu es incroyable, Lucile. Extraordinaire, et je crois que je ne connais même pas assez de mots, que ça soit en français, en anglais ou en irlandais, pour te le dire. Je t'aime, joli cœur.
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Et les mistrals gagnants...
RomanceLucile, vingt-quatre ans, élève seule Sakura, sa fille de quatre ans. Son "joli cerisier", comme elle aime tant l'appeler. Fort, robuste, qui peut traverser toutes les tempêtes. Seulement, parfois, les tempêtes sont trop puissantes pour un si jeune...