Le 28 mai 2023, Gignac
Après cette désillusion, Sakura est retournée s'attabler avec ses petits copains. Elle rit, elle joue, elle mange bien – du moins, de ce que je peux voir de ma place. Lucile, elle aussi, se détend peu à peu. Elle se charge de la séance d'aérosol suivante, revient avec un air légèrement fatigué sur le visage, mais m'offre un sourire avant de me rassurer :
— Une dame est rentrée pendant qu'elle toussait, j'ai eu le droit aux questions et aux regards compatissants. À croire que ma fille et ma vie de mère se résument à la mucoviscidose...
— Mmmh... Notre fille se résume aussi à son petit caractère de chipie et à toutes les fois où elle a voulu qu'on devienne amoureux, et toi, tu te résumes à un cœur énorme et des soirées d'oubli dans mes bras, la taquiné-je en lui embrassant l'épaule.
Je la tire pour l'asseoir sur mes genoux, ignorant le sourire fier sur les lèvres d'Olivier et le geste obscène de Marc – toujours en couple, toujours aussi gamin malgré ses trente ans.
— Bon, qui veut danser ? s'exclame Sabrina en tapant dans ses mains. Personne ? Olivier ? OK, je vais chercher mon fils, espèce de mari indigne !
Je cache mon rire dans le cou de Lucile, reçois une miette de pain sur le bras et sens ma petite protégée se détacher de mes cuisses pour me tirer la main.
— Moi, je vais danser aussi. Tu viens ?
Je secoue négativement la tête, elle roule des yeux en rejoignant Sabrina, Carine et Julie et se dandine au rythme d'une chanson de Taylor Swift. Du coin de l'œil, je remarque Elliot et Sakura se lever à leur tour, faire quelques pas en direction de la piste de danse et se prendre par les mains pour danser – à leur manière d'enfants de cinq ans. Ils sont beaucoup trop mignons, aussi je fais signe à Olivier de se retourner et le préviens :
— Si ton fils brise le cœur de ma fille, toi et moi, c'est terminé.
Ils ne sont pas au courant que les jours de Sakura sont comptés. Ils ne savent pas toute la rancœur qui tambourine dans ma tête, dans celle de Lucile, contre je ne sais quel dieu. Si bien que lorsque je leur ai annoncé que j'avais adopté officiellement Sakura, les trois mousquetaires m'ont regardé, les yeux écarquillés, avant de me demander si j'étais devenu fou. Non. J'ai seulement voulu offrir un papa à cette petite puce pour les mois qui lui restent.
— C'est dingue, quand même. Ça ne fait pas un an que t'es avec Lucile, et sa fille devient la tienne... lâche Marc dans un souffle. Tu nous as pas tout dit, c'est ça ?
Putain, il me connaît trop bien... Je passe une main dans mes cheveux, jette un œil à Lucile, puis à Sakura, d'où émanent un bonheur pur et parfait. Puis je me décide à tout leur dire, au risque de plomber l'ambiance :
— Au mois de janvier, quand elle a passé les tests habituels... Ils se sont rendus compte que ses poumons étaient en train de lâcher. Sans aucun signal d'alerte, rien du tout, avoué-je en ravalant la boule qui se forme dans ma gorge. Ils lui donnent deux ans maximum, sauf si des poumons neufs arrivent avant.
Un silence de plomb s'abat sur notre table. Olivier lâche un « merde » en regardant à nouveau les enfants, Marc se mord la lèvre et baisse le regard.
— Putain, Tadhg...
— Je sais, le coupé-je. C'est injuste, trop jeune, foutue muco, et j'en passe. On commence à se faire une raison, avec Lucile, à récolter un maximum de souvenirs, et à laisser les ailes de la petite fée se colorer pour qu'elle prenne son envol.
Je triture un bout de serviette entre mes doigts, jusqu'à sentir une main se poser sur mon épaule. Lucile. Qui n'a, au vu du sourire qu'elle m'offre, rien entendu.
— Julie m'a dit qu'ils allaient commencer les slows. Vous venez ?
Je ne perds pas de temps et me lève, puis l'embrasse. Elle passe ensuite un doigt entre mes sourcils, et demande :
— Vous parliez de quoi, pour tirer une telle tronche à un mariage ?
Je me force à sourire, la fais tourner sur elle-même et la colle contre mon torse, tout près de mon cœur, là où est sa place.
— De rien, mo ghrá. Du fait que je suis fou amoureux de toi.
Je vois à son léger froncement de sourcils qu'elle n'est pas dupe, mais elle secoue la tête et passe ses mains derrière ma nuque. Elle pouffe en regardant par-dessus mon épaule, nous fait tourner pour que je vois à mon tour.
— Elle lui marche sur les pieds !
À quelques mètres de nous, Elliot et Sakura essaient de faire comme les adultes. Le petit bonhomme, en costume avec nœud papillon, fait danser la petite fée, qui n'arrête pas de s'emmêler et d'écraser les orteils de son compagnon.
— Elle tient de sa mère, joli cœur. T'es en train de me perforer avec tes talons, gloussé-je en resserrant mes bras autour d'elle.
Elle s'excuse et repose sa tête contre mon épaule, les yeux fermés.
Et j'essaie d'imaginer notre vie, dans deux ans, lorsque Sakura sera partie. J'essaie d'imaginer l'état dans lequel sera Lucile, cette maman-courage qui a toujours tout donné pour sa fille, qui l'a toujours fait passer avant tout, avant sa carrière professionnelle, avant sa vie sociale.
Mon sourire s'estompe légèrement, mon cœur se fissure.
Sans Sakura, rien ne sera plus jamais pareil, et j'ai deux ans pour profiter de notre famille.
— Je t'aime, Lucile, susurré-je contre ses cheveux.
— Je t'aime, Tadhg. Mais t'es en train de m'étouffer.
Je ris et relâche la pression autour de son corps, puis dégage une mèche de cheveux qui s'est échappée de sa coiffure.
— Tu vas m'épouser, alors ? C'est une demande officielle.
— Oui, monsieur Gallagher. Je vais t'épouser.
Mon cœur bat un peu plus fort, pour elle. Mon sourire s'élargit.
Huit mois. Huit mois de nous, et je suis prêt à me lancer pour l'éternité. Parce que c'est une évidence, le destin, le souhait le plus cher de notre petite fée.
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Et les mistrals gagnants...
RomanceLucile, vingt-quatre ans, élève seule Sakura, sa fille de quatre ans. Son "joli cerisier", comme elle aime tant l'appeler. Fort, robuste, qui peut traverser toutes les tempêtes. Seulement, parfois, les tempêtes sont trop puissantes pour un si jeune...