Chapitre 38 - Tadhg

34 4 1
                                    

Le 19 août 2022, Montpellier

     Stressé comme un adolescent qui a son premier rencard, moi ? Totalement.
     Je transpire, j'étouffe, je suffoque. Bon sang, je n'ai pas eu de rendez-vous avec une femme depuis... Trois ans, peut-être même plus.
     Je dois une fière chandelle aux parents de Lucile, qui ont accepté de garder Sakura pour la soirée. Autrement, la petite brune qui hante mes pensées aurait annulé notre rencard, et j'aurais passé ma nuit à me demander si elle veut vraiment la même chose que moi, ou si elle me fait simplement marcher.

     Les mains moites, j'arrive à peine devant son immeuble et l'aperçois déjà : cheveux retenus par une petite pince à l'arrière de son crâne, dégageant son visage tout en laissant ses longueurs flotter contre son dos, petite robe rouge évasée au niveau de la taille, légère touche de maquillage...
     — Wow, laissé-je échapper en arrivant à sa hauteur.
     Ses joues prennent une teinte rosée adorable tandis que je me penche pour lui faire une bise, une main posée sur son bras.
     — Pitié, ne me dis pas que j'en ai trop fait ! s'inquiète-t-elle lorsqu'elle détaille ma tenue : jean noir, tee-shirt blanc, veste en jean en prévision de la soirée.
     — Tu es parfaite, joli cœur.
     Elle rougit encore plus et lève les yeux au ciel, me laissant ensuite la guider jusqu'à ma voiture, stationnée plus loin. Lucile pointe le véhicule du doigt, se tourne lentement vers moi et demande :
     — C'est ta façon de me kidnapper pour me tuer, c'est ça ?
     Je pouffe puis lui ouvre la portière, en parfait gentleman que je suis.
     — J'ai envie de beaucoup de choses te concernant, mais sûrement pas de te découper en morceaux, annoncé-je tandis qu'elle s'installe.
     Je ferme la portière avant qu'elle ne réponde puis fais le tour, prends une grande inspiration et rejoins la place du conducteur. Bon sang, elle a mis du parfum.
     — Je peux savoir où tu m'amènes, dans ce cas ?
     — T'es aussi impatiente que ta fille, Lucile, commenté-je en la voyant croiser les bras. Tu verras quand on sera arrivés.

     Les cinq premières minutes se passent dans un silence de mort. Du coin de l'œil, je la vois se triturer la peau autour des ongles, sa jambe tremblotante et ses yeux tournés vers la vitre. Dans un moment de légère dérive, j'enlève ma main du levier de vitesse et attrape la sienne, faisant reposer mon poignet sur sa cuisse.
     Mon geste a le don de lui faire river son regard autre part : sur mes doigts, qui tracent des cercles sur le dessus de sa main.
     — Je peux entendre les rouages de ton cerveau d'ici, joli cœur. Déstresse, Sakura est en sécurité, et je t'ai promis que tu n'allais pas le regretter, assuré-je.
     — Je sais, c'est juste que... Je crois que c'est l'une des premières fois où elle va dormir ailleurs qu'à la maison, et elle avait l'air super heureuse de préparer ses affaires, mais imagine s'il lui arrive quelque chose, et que je ne suis pas là pour elle ? Je sais pas moi, elle pourrait tomber, ou manquer d'oxygène, ou pleurer parce qu'elle veut un autre doudou mais qu'elle n'en a pris qu'un. Puis c'est la première fois que je sors sans elle, je crois même que c'est la première fois qu'un homme m'invite à sortir, j'ai l'impression d'être une empotée et je ne sais pas du tout ce que je suis censée faire, dire, ou...
     — Lucile, tu t'égares... la prévins-je alors que je retiens le sourire qui menace de se former sur mes lèvres. Tout va bien se passer, on va passer une très bonne soirée, tu n'es pas une empotée, tu peux dire et faire ce que tu veux, je m'en fous.
     Je jette un œil vers elle, croise son regard une seconde avant de reposer mes yeux sur la route, son sourire timide terminant de me séduire pour ce soir, si tôt.
     — Arrête, finit-elle par chuchoter, si bas que je pense avoir mal entendu.
     — Que j'arrête quoi ?
     Elle se tourne à nouveau pour regarder le paysage, passe sa main restée libre dans une mèche de ses cheveux échouée sur son épaule, puis s'explique :
     — D'être aussi gentil, compréhensif, à l'écoute... Arrête d'être toi, parce que je ne le mérite clairement pas.
     Si je n'étais pas lancé à cent-trente kilomètres-heures sur l'autoroute, j'aurais pilé net pour la regarder dans les yeux avant de lui répondre. Malheureusement, je dois me contenter de presser encore plus sa main dans la mienne, le sanglot dans sa voix sur ses derniers mots ayant manqué de me faire lâcher le volant.
     — Qu'est-ce qui te fait dire que tu ne le mérites pas ? Bon sang, Lucile, tu es une maman formidable, une femme extraordinaire, les racines les plus fortes que j'ai eu l'occasion de rencontrer. Tu te rends compte du courage qu'il faut pour devenir maman d'une petite fille malade à seulement vingt ans ? Et toi, tu gères tout ça d'une main de maître, tu fais passer Sakura en premier pour tout, tu portes l'univers sur tes épaules sans jamais te plaindre, sans jamais craquer... Je suis plus qu'admiratif de qui tu es, joli cœur, lâché-je sans reprendre mon souffle, dans l'espoir qu'elle comprenne enfin qu'elle a bien plus de valeur que n'importe qui d'autre sur Terre.
     Un seconde passe, puis cinq, puis dix.
     Elle n'a toujours pas repris la parole lorsque je me gare sur un parking à Marseillan plage.

     Enfin, après ce qui m'a paru être une éternité, alors que j'ouvre la portière de la voiture et la rejoins, elle fait un premier pas vers moi, avant de totalement réduire la distance qui nous séparait pour se blottir dans mes bras. Je m'empresse de refermer mon étreinte sur elle, dépose mes lèvres sur son cuir chevelu en l'entendant renifler.
     — Je suis en train de gâcher notre première sortie, Tadhg, soupire-t-elle, son souffle s'échouant contre mon biceps.
     Je prends son menton d'une main pour qu'elle me regarde, resserre mon autre bras autour d'elle.
     — Tu ne gâches rien du tout, c'est parfait. Je t'avais dit que ce soir, c'était juste toi et moi, sans honte, sans barrières, pour qu'on apprenne à se connaître ; et tu viens de m'offrir une occasion parfaite pour te prouver que tu mérites absolument tout l'or du monde, la rassuré-je.
     J'essuie une unique larme qu'elle n'a pas pu retenir, dans l'unique but de me faire penser à autre chose qu'à sa bouche qui appelle la mienne. Pas maintenant, pas après ça.
     Elle mérite d'avoir un baiser sous la pluie, digne des plus grandes romances cinématographiques. Elle mérite un dîner aux chandelles, un bouquet de roses, des milliers d'étoiles et un million de « je t'aime ».
     Elle mérite qu'on lui chuchote sa force, qu'on lui conte son courage, qu'on lui crie sa valeur et qu'on lui hurle des sentiments qu'elle a encore trop peur de ressentir.
     Dans ce mistral qui souffle toujours plus fort, je serai celui qui protégera le cerisier endommagé et les racines abîmées.

Et les mistrals gagnants...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant